L’Aube
Chanson
française – L’Aube – Marco Valdo M.I. – 2017
Cette
canzone est une évolution d’une canzone léviane que Marco Valdo
M.I. avait écrite à partir d’un passage de L’Orologio, roman
étonnamment poétique de Carlo Levi. Cette évolution se justifie
par le contexte auquel renvoie la jeunesse de Carlo Levi – le Turin
de la guerre (1915 sqq) où le jeune Carlo (lycéen – il était né
en 1902) le nez sur les Alpes et les grands massacres sur fond blanc
prenait le parti du refus de cette guerre. Il faut dire qu’il avait
de l’ascendance, sa mère, prénommée Annetta, était la sœur de
Claudio Treves, journaliste et militant socialiste et pacifiste
convaincu. Claudio Treves fut un précurseur de l’antifascisme et
d’un antifascisme net et clair, irrémédiable. Déjà en 1915, il
affronta au sabre et saigna à l’oreille le futur dictateur.
Cependant, après la débâcle de Caporetto et redoutant l’invasion
de l’Italie par les Austro-hongrois, sans abandonner ses
convictions internationales et pacifiques, il s’engagea et
rejoignit le front.
Dans
les années qui suivent la guerre, il participe activement au combat
des socialistes. C’est le temps où l’Italie (essentiellement au
Nord) est secouée par des mouvements révolutionnaires et parcourue
par de violentes bandes armées réactionnaires, qui par la force la
plus bestiale écrasent tous les espoirs émancipateurs.
Quand
le fascisme, mis au pouvoir par la monarchie et les possédants, en
vient à enlever et assassiner ses opposants politiques
parlementaires, dont notamment, le député socialiste Giacomo
Matteotti, Treves (comme tous les dirigeants socialistes) est
contraint à l’exil, d’où il continua – à sa manière – la
lutte contre le fascisme, jusqu’à sa mort dans la petite chambre
qu’il occupait dans un petit hôtel à Paris.
Cependant,
dans la canzone, il ne s’agit que d’une évocation, d’un moment
fantasmatique, car le jeune Carlo à ce moment de sa vie (vers
1915-17, né en 1902, il était adolescent) était trop âgé pour
être l’enfant ici évoqué ; de plus, son père n’était
pas mort à ce moment. C’est donc la reconstruction d’une enfance
hypothétique, mais vraie, de cette vérité poétique, plus vraie
d’être inventée.
Dans
le fond, cette chanson pourrait être celle de ces millions d’enfants
que la guerre priva de père ou en fit de lointaines images, parfois
entrevues lors de rares retours. Souvent même, en finale,il ne resta
que cette image et quand on sait les gueules cassées, on se dit
qu’il valait mieux qu’il en fut ainsi. Dans ces cas-là, on
trouve bon que certains pères ont la fâcheuse habitude de mourir.
Mais
combien il y en eût-il de ces bambins orphelins perdus, éperdus qui
cherchaient la consolation – la leur et celle de leur mère –
dans les effusions des matins blancs ?
La
canzone continue.
L’enfant
a vieilli ; l’enfant se souvient. L’enfant est-il devenu un
de ces partisans, dans le blanc des Alpes ? Où sont-ce d’autres
grondements qu’il entend ? D’où viennent-ils ? D’où
reviennent-ils tout le temps ? D’ici, d’ailleurs ou d’autre
part. Deux choses : primo, le malheur qui frappe l’enfance
perdure tout au long de la vie – à en mourir ; secundo,
jusqu’à présent (Est-ce le reflet de la guerre de cent mille
ans ?) mais toujours dans le lointain reprennent les
grondements. Regrets de l’enfance, regret de l’absent, serait-ce
cette obsession qui réveille les grondements ?
La
guerre se poursuit dans la mémoire ; elle n’a jamais fini
d’en finir avec elle-même.
Ainsi
Parlait Marco Valdo M.I.
À
l’aube de ma vie,
Quand
j’étais gamin,
À
l’aube de ma vie,
J’avais
ce plaisir malin ;
Ce
plaisir du matin,
Mon
plaisir,
Mon
vrai grand plaisir,
Au
matin,
À
l’aube,
Mon
plaisir de roi,
À
l’aube,
Mon
plaisir à moi
Était
D’aller
dans le lit de ma mère
Quand
mon père
Était
parti au loin.
À
l’aube
Quand
j’étais gamin
Dans
le lit de ma mère.
À
l’aube.
Quand
mon père
Était
au loin
À
l’aube,
Dans
un prétendu voyage,
Moi,
je savais bien,
Au
matin,
Sorti
de mon lit-cage
Qu’il
était dans une tranchée,
Ma
mère à peine éveillée,
Je
me levais
Et
je courais
Et,
je sautais tout de suite
Dans
le vrai lit,
Dans
ce gigantesque lit
Sans
limites,
Dans
cet immense lit,
Cette
grande mer calme,
Aux
îles sans palmes,
Ce
Pays enchanté des blanches collines,
Blanches
comme les sommets des Alpes.
La
tête sous
Les
draps de lin,
Le
matin,
La
tête sous
Les
draps de lit,
À
l’aube,
Quand
j’étais petit,
Très
tôt,
À
l’heure de l’assaut,
À
l’heure valeureuse,
Où
sonnaient les clairons,
Où
crépitaient les mitrailleuses,
Où
grondaient les canons.
À
présent,
À
l’aube levée,
Dans
la tranchée, l’obus est tombé,
Le
régiment s’est couché,
Et
ne s’est plus relevé.
De
l’autre côté de l’enfer,
Il
guerroie sous terre.
Moi,
j’étais au paradis
Des
tout-petits
À
l’ombre ténébreuse
De
la caverne du matin.
Dans
la grotte merveilleuse,
Dans
ce paradis enfantin,
Perdu
pour toujours, maintenant
Pour
toujours et pourtant
À
l’heure de l’aube,
Dans
ma tête,
Reprennent
les grondements.
Mon
enfance est si loin à présent,
Cependant,
dès l’aube franche,
Sur
les mêmes montagnes blanches,
Soudain
reprennent les grondements.
Quand
mon père
Était
au loin
À
l’aube,
Dans
un prétendu voyage,
Moi,
je savais bien…