dimanche 3 septembre 2017

L'Aube

L’Aube
Chanson française – L’Aube – Marco Valdo M.I. – 2017




Cette canzone est une évolution d’une canzone léviane que Marco Valdo M.I. avait écrite à partir d’un passage de L’Orologio, roman étonnamment poétique de Carlo Levi. Cette évolution se justifie par le contexte auquel renvoie la jeunesse de Carlo Levi – le Turin de la guerre (1915 sqq) où le jeune Carlo (lycéen – il était né en 1902) le nez sur les Alpes et les grands massacres sur fond blanc prenait le parti du refus de cette guerre. Il faut dire qu’il avait de l’ascendance, sa mère, prénommée Annetta, était la sœur de Claudio Treves, journaliste et militant socialiste et pacifiste convaincu. Claudio Treves fut un précurseur de l’antifascisme et d’un antifascisme net et clair, irrémédiable. Déjà en 1915, il affronta au sabre et saigna à l’oreille le futur dictateur. Cependant, après la débâcle de Caporetto et redoutant l’invasion de l’Italie par les Austro-hongrois, sans abandonner ses convictions internationales et pacifiques, il s’engagea et rejoignit le front.
Dans les années qui suivent la guerre, il participe activement au combat des socialistes. C’est le temps où l’Italie (essentiellement au Nord) est secouée par des mouvements révolutionnaires et parcourue par de violentes bandes armées réactionnaires, qui par la force la plus bestiale écrasent tous les espoirs émancipateurs.
Quand le fascisme, mis au pouvoir par la monarchie et les possédants, en vient à enlever et assassiner ses opposants politiques parlementaires, dont notamment, le député socialiste Giacomo Matteotti, Treves (comme tous les dirigeants socialistes) est contraint à l’exil, d’où il continua – à sa manière – la lutte contre le fascisme, jusqu’à sa mort dans la petite chambre qu’il occupait dans un petit hôtel à Paris.
Cependant, dans la canzone, il ne s’agit que d’une évocation, d’un moment fantasmatique, car le jeune Carlo à ce moment de sa vie (vers 1915-17, né en 1902, il était adolescent) était trop âgé pour être l’enfant ici évoqué ; de plus, son père n’était pas mort à ce moment. C’est donc la reconstruction d’une enfance hypothétique, mais vraie, de cette vérité poétique, plus vraie d’être inventée.
Dans le fond, cette chanson pourrait être celle de ces millions d’enfants que la guerre priva de père ou en fit de lointaines images, parfois entrevues lors de rares retours. Souvent même, en finale,il ne resta que cette image et quand on sait les gueules cassées, on se dit qu’il valait mieux qu’il en fut ainsi. Dans ces cas-là, on trouve bon que certains pères ont la fâcheuse habitude de mourir.
Mais combien il y en eût-il de ces bambins orphelins perdus, éperdus qui cherchaient la consolation – la leur et celle de leur mère – dans les effusions des matins blancs ?

La canzone continue.
L’enfant a vieilli ; l’enfant se souvient. L’enfant est-il devenu un de ces partisans, dans le blanc des Alpes ? Où sont-ce d’autres grondements qu’il entend ? D’où viennent-ils ? D’où reviennent-ils tout le temps ? D’ici, d’ailleurs ou d’autre part. Deux choses : primo, le malheur qui frappe l’enfance perdure tout au long de la vie – à en mourir ; secundo, jusqu’à présent (Est-ce le reflet de la guerre de cent mille ans ?) mais toujours dans le lointain reprennent les grondements. Regrets de l’enfance, regret de l’absent, serait-ce cette obsession qui réveille les grondements ?
La guerre se poursuit dans la mémoire ; elle n’a jamais fini d’en finir avec elle-même.

Ainsi Parlait Marco Valdo M.I.



À l’aube de ma vie,
Quand j’étais gamin,
À l’aube de ma vie,
J’avais ce plaisir malin ;
Ce plaisir du matin,
Mon plaisir,
Mon vrai grand plaisir,
Au matin,
À l’aube,
Mon plaisir de roi,
À l’aube,
Mon plaisir à moi
Était
D’aller dans le lit de ma mère
Quand mon père
Était parti au loin.
À l’aube
Quand j’étais gamin
Dans le lit de ma mère.
À l’aube.

Quand mon père
Était au loin
À l’aube,
Dans un prétendu voyage,
Moi, je savais bien,
Au matin,
Sorti de mon lit-cage
Qu’il était dans une tranchée,
Ma mère à peine éveillée,
Je me levais
Et je courais
Et, je sautais tout de suite
Dans le vrai lit,
Dans ce gigantesque lit
Sans limites,
Dans cet immense lit,
Cette grande mer calme,
Aux îles sans palmes,
Ce Pays enchanté des blanches collines,
Blanches comme les sommets des Alpes.

La tête sous
Les draps de lin,
Le matin,
La tête sous
Les draps de lit,
À l’aube,
Quand j’étais petit,
Très tôt,
À l’heure de l’assaut,
À l’heure valeureuse,
Où sonnaient les clairons,
Où crépitaient les mitrailleuses,
Où grondaient les canons.
À présent,
À l’aube levée,
Dans la tranchée, l’obus est tombé,
Le régiment s’est couché,
Et ne s’est plus relevé.
De l’autre côté de l’enfer,
Il guerroie sous terre.

Moi, j’étais au paradis
Des tout-petits
À l’ombre ténébreuse
De la caverne du matin.
Dans la grotte merveilleuse,
Dans ce paradis enfantin,
Perdu pour toujours, maintenant
Pour toujours et pourtant
À l’heure de l’aube,
Dans ma tête,
Reprennent les grondements.
Mon enfance est si loin à présent,
Cependant, dès l’aube franche,
Sur les mêmes montagnes blanches,
Soudain reprennent les grondements.
Quand mon père
Était au loin
À l’aube,
Dans un prétendu voyage,
Moi, je savais bien…