jeudi 15 octobre 2015

En ce temps-là, Till

En ce temps-là, Till

Chanson française – En ce temps-là, Till – Marco Valdo M.I. – 2015

Ulenspiegel le Gueux – 7


Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).

Charles, un jeune homme d'à peine vingt ans



En ce temps-là… Ça me rappelle quelque chose, dit Lucien l'âne.

Bien sûr que ça doit te rappeler quelque chose, car c'est une manière ancienne de raconter les contes, les légendes, les épopées, les sagas, les fables, etc. Et en l'espèce, je n'ai fait que reprendre le récit de Charles De Coster qui lui-même s'efforçait de donner cette tonalité à son roman, de sorte à l'inscrire dans une tradition et à donner l'impression qu'il était d'époque. Ça l'authentifiait…


Un peu j'imagine comme le font les metteurs en scène de théâtre ou de cinéma.


Exactement. Mais il faut ajouter que c'est aussi une forme de rituel dans les ouvrages religieux, tel la Bible, qui utilisent le même procédé. Quant à la chanson, elle raconte les débuts des longues années de massacres que va déclencher la Contre-Réforme catholique.Le rôle du jeune Charles Quint sera essentiel : ainsi, le 15 juin 1520, le Pape condamne les idées de Luther. L'Empereur Charles Quint, un jeune homme d'à peine vingt ans, fait brûler les écrits de Luther à l'université de Louvain dès décembre 1520. Charles-Quint, sous la pression de l'Église catholique, va mener une terrible répression qui dans nos régions – quart Pays-Bas, quart pays rhénan, quart pays mosan, quart pays flamand – va furieusement ressembler aux croisades contre les hérétiques : Juifs, Arabes, Vaudois ou Albigeois, Cathares, Patarins. L'horreur déferlait sur les populations ; les fleurs rouges des bûchers animaient les places publiques et les pendus les entrées des villes.


Dis-moi, Marco Valdo M.I. mon ami, j'ai une question qui m'obsède : « Et Till dans tout ça ? »


Till ? Comme tu le verras dans la chanson, Till passe comme un zombie dans ce paysage de désastre, condamné par le ban de trois ans à une errance infernale. Mais, c'est dans cette errance que ses yeux – à force de voir ce qu'ils voient – vont s'ouvrir plus grands encore et modeler la révolte de sa conscience. C'est précisément ce pèlerinage qui devait le soumettre qui va instiller la colère en son cœur et faire de lui un Gueux.


Voyons donc cette chanson et puis, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde censeur, inconscient, brutal, prédicateur et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



En ce temps-là, Till s'en allait
Par bois, champs, villages et villes
Car le ban de Till
Était de trois ans et lentement coulait.

En ce temps-là, inquisiteurs, théologiens, évêques
Abbés, prêtres, moines et tous catholiques
Félicitaient l'Empereur de ses victoires
Et lui remontraient que l'Église soignait sa gloire.

En ce temps-là, un archevêque d'Espagne réclama
Six mille têtes bonnes chrétiennes
Tombées en l'hérésie luthérienne ;
Six mille têtes tombèrent ; six mille corps, on brûla. 

En ce temps-là, les biens des hérétiques
Revenaient au souverain catholique.
L'Empereur pensait : six mille, ce n'est pas assez
Car la vie est chère pour les majestés.

En ce temps-là, Till sentait la terrible odeur.
Partout, Till voyait fleurir l'horreur :
Les têtes fichées sur les poteaux ;
Les filles jetées au fil de l'eau ;

Les hommes écartelés nus sur la roue,
Frappés encore et encore de barres de fer ;
Les femmes mises au trou et couvertes de terre ;
Et les bourreaux dansaient dans cette gadoue.

Till les regardait toues ces morts avec courage.
À Louvain, il vit brûler d'un coup trente luthériens.
À Limbourg, une famille mourait en se tenant la main.
En ce temps-là, Till ravalait sa rage.

En ce temps-là, sur les places coulait le sang,
Tremblait le feu, mouraient les cris, les hurlements.
Till errait muet dans ce monde dément,
Car le ban de Till était de trois ans.