Chanson française – Ogalla, Ogallala – Marco Valdo M.I. – 2018
Dialogue
maïeutique
Oh
la la, oh la la, Marco Valdo M.I. mon ami, quel titre est-ce là ?
De quoi elle cause la chanson-là ?
Je
me doutais que tu allais faire une pareille réflexion, Lucien l’âne
mon ami et comme on peut l’imaginer, j’ai une réponse à te
donner, dont j’espère qu’elle ne te décevra pas. En premier
lieu, ce n’est pas « Oh la la Oh la la » le titre de la
chanson, c’est « Ogalla, Ogallala ». Et ça change
tout, même si je dois reconnaître qu’en écho, il y a bien
l’expression que tu avances qui laisse entendre qu’il y aurait un
drame qui se jouerait. Et pour un drame, c’en est un et un drame à
rebondissements qui n’est pas près de finir. Venons en au fait :
l’Ogallala du titre n’est la petite ville du Nebraska, à
laquelle tu pensais certainement, mais une gigantesque nappe aquifère
(Ogallala aquifer) d’environ 450.000 km², une superficie entre
celle de la France : 543.000 km² et celle de l’Italie :
301.000 km². Cette sorte d’immense lac souterrain se situe au
milieu des Zétazunis, sous les États suivants : Colorado,
Dakota, Kansas, Nebraska, Nouveau Mexique, Oklahoma, Texas et Wyoming
et de façon plus géologique sous Les Grandes Plaines, pays de la
légende étazunienne qu’Yves Montand chantait : « Dans
les plaines du Far West quand vient la nuit, les cow-boys près du
bivouac sont réunis… ».
C’est
toute la légende du western qui a déferlé sur le cinéma, dit
Lucien l’âne. Un mythe patriotique lui, ce Far West. Comme on
sait, il n’y a rien de plus nocif et de plus toxique que les mythes
patriotiques.
Pour
en revenir à la chanson, Lucien l’âne mon ami, il te faut savoir
que l’aquifère Ogallala vivait tranquille sous le continent. Avant
l’arrivée des colons, il gonflait ses réserves sous une steppe
semi-aride où paissaient les grands herbivores, tout en alimentant
des fleuves, des rivières, des lacs. Mais les fermiers sont arrivés
et ont découvert cette immense, mais pas infinie, réserve d’eau
et ils l’ont pompée afin de faire de ce semi-désert une des zones
les plus productrices de céréales et autres nourritures destinées
pour l’essentiel à l’élevage et in fine, à nourrir les
troupeaux humains des grandes cités. Il en fallut toujours plus et
on renforça les capacités de pompage, jusqu’à vider
quasi-complètement l’Ogallala.
C’est
terrible, dit Lucien l’âne. On aurait dû les prévenir.
C’est
terrible, en effet, Lucien l’âne mon ami. Ce qui est terrible,
c’est qu’ils sont prévenus depuis longtemps. Une première
semonce avait été tirée vers 1930 – le Dust Bowl désastreux qui
inspira diverses chansons à Woodie
Guthrie et au-dessus d’Ogallala, la terre n’était
plus alors qu’une étendue brune poussiéreuse. Le message
d’Ogallala était clair ; on fit semblant de ne pas
comprendre. On tira la conséquence qu’il fallait forer plus, plus
profond et pomper, pomper pour arroser, arroser. On fit appel à des
techniques et des équipements de forage plus puissants, plus
efficients et on intensifia l’exploitation des terres. Les
populations agglomérées autour de ce pactole augmentaient ;
les villes réclamaient des montagnes d’eau pour leurs habitants et
leurs entreprises. Entretemps, il fallut soutenir l’effort de
guerre et ensuite, la nouvelle prospérité du monde momentanément
pacifié. De fait, les résultats des grandes cultures furent
meilleurs que jamais ; la prospérité s’installa dans les
fermes et dans toute la région, qui fournissait le quart de
l’alimentation du pays et exportait ses produits en grande
quantité. Dès lors, on accrut encore l’exploitation, les crédits
et les aides accélérèrent le mouvement et l’aquifère de plus en
plus vite s’épuisait. On en est là à présent, même si les
signes de l’épuisement commencent à devenir de plus en plus
inquiétants et qu’en certains endroits, les forages doivent être
abandonnés. Les tempêtes de sable sont revenues. Cependant, la
canzone va plus loin.
Comment
ça, plus loin, dit Lucien l’âne ?
Eh
bien, la chanson envisage le futur et tire certaines conclusions en
quelque sorte inévitables, même si on peut le retarder en important
de l’eau…
Ah
oui, comment et d’où ?, dit Lucien l’âne interloqué et
fort sceptique.
Du
Canada, du Québec, d’Alaska, répond Marco Valdo M.I., mais
comment on ne sait pas encore. On envisage aussi de dessaler l’eau
de mer, mais là, il faudrait l’énergie de nombreuses centrales
nucléaires. Hors de portée aussi. Dans l’ensemble de la planète,
on trouve d’autres régions où la guerre de l’eau va sans doute
se produire, mais au-dessus d’Ogallala, les fermiers fuyant les
banquiers auront déserté bien avant, ruinés. Il ne restera que les
ruines d’un glorieux passé agricole : des fermes vides, des
machines à pomper rouillées. Quant à l’aquifère d’Ogallala,
comme les étoiles, il s’en fout ; il lui suffira de 6000 ans
pour se remplir à nouveau.
Ainsi,
dit Lucien l’âne, en cherchant la prospérité, l’homme creuse
sa propre tombe et la planète et le reste de l’univers s’en
fout. Il nous faut plus encore qu’à l’ordinaire, tisser le
linceul de ce vieux monde exploiteur, avide, asséché et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Trois
ères glaciaires,
Trois
glaciations millénaires,
La
neige, le gel, les longs hivers,
Les
pluies sur la plaine entière
Ont
comblé l’aquifère
Qui
se meurt sous la terre.
Là-bas,
sous l’Oklahoma.
Ogalla,
Ogallala !
Sous
la grande prairie
Où
vivaient les bisons,
Où
passaient les saisons,
Sous
le soleil, sous les pluies,
À
l’unisson de la plaine fleurie,
La
nature chantait sa chanson
Là-bas
au Kansas, au Nebraska
Ogalla,
Ogallala !
Ogallala,
fille de la pluie,
Dans
l’immense réservoir
Sous
la grande prairie,
S’étendait
dans le noir.
Ogallala
vivait en paix
Entre
les roches en grès
Sous
le Texas, sous le Dakota.
Ogalla,
Ogallala !
Des
fermiers l’ont trouvée,
Elle,
le don du ciel,
Eau
douce sous le soleil,
Les
fermiers l’ont captée.
Ils
ont vidé la source de vie
Qui
meurt d’asphyxie
Sous
au moins 8 états.
Ogalla,
Ogallala !
Ogallala,
l’eau douce,
Mille
et mille pompes
Sucent
ton sang clair
Plus
encore aujourd’hui
Qu’hier,
Creusent
de nouveaux puits
Et
créent lentement un désert :
Texas,
Kansas, Colorado, Oklahoma.
Ogalla,
Ogallala !
Oh,
dit le fermier,
Il
n’y a plus assez d’eau à pomper.
Ah,
dit le banquier,
Il
faut quand même rembourser.
Oh,
dit le fermier,
Il
ne reste qu’à m’en aller :
Kansas,
Texas et cetera.
Ogalla,
Ogallala !
Chez
toi, Ogallala,
La
guerre de l’eau n’aura pas lieu ;
La
poussière brune couvrira
Les
champs longtemps luxurieux,
Les
foreuses rouillées
Et
les maisons au sable abandonnées :
Nouveau-Mexique,
Wyoming, en triste état.
Ogalla,
Ogallala !
Sur
les paysages désolés des Grandes Plaines,
Pour
retrouver une vie sereine,
Il
te faudra six mille ans seulement
De
pluies et de ruissellements
Pour
te remplir à ras bords.
Les
hommes seront peut-être morts
Et
pour toi, la vie continuera.
Ogalla,
Ogallala !