MA PLUS GRANDE CRAINTE
Version française — MA PLUS GRANDE CRAINTE — Marco Valdo M.I. — 2022
d’après la traduction italienne de Riccardo Venturi — Quello di cui ho più paura — 2022
d’une chanson grecque — Εκείνο που φοβάμαι πιο πολύ — Katerina Gogou / Κατερίνα Γώγου — 1978
Texte :
Κατερίνα Γώγου / Katerina Gogou
“Τρία κλικ
αριστερά”, 1978
Lecture : Fanny Polémi
PEUR
à Athènes
De
quoi Katerina Gogou avait-elle le plus peur ? Elle nous le dit
ici, avec la brutalité parfaite et sincère qui lui était
coutumière. Elle avait terriblement peur de devenir une “poétesse”,
et donc, d’une certaine manière, d’être engloutie par
l’establishment. Elle avait peur, elle qui écrivait ses
dissonances littéralement avec la matière de sa vie, d’être
réduite à « contempler la mer » enfermée dans une
chambre, en essayant d’oublier. Katerina Gogou voulait tout sauf
contempler et oublier. Elle avait peur de devenir un pourvoyeur
d'“opinions” vers lequel on se tourne pour obtenir une opinion
plus ou moins élevée et éclairée. Elle craignait d’être
enfermée dans des schémas métriques et techniques conçus
spécialement pour le chant, ce qui est une
chose spécifiquement
hellénique.
Quiconque a suivi au fil du temps les événements et les aventures de la Section grecque, de l’ostensible 'Ελληνικό Τμήμα' de ce site, sait très bien que pratiquement tous les poètes grecs, même et surtout les plus classiques et les plus importants (Palamas, Solomos, Seferis, Kavafis, Ritsos, Elytis…) ont été mis en musique et chantés. Personnellement, je trouve que c’est une chose merveilleuse, qui fait de la chanson en grec quelque chose de beaucoup plus que de la simple chanson d’auteur, et qui ne trouve une certaine correspondance qu’en France et dans les pays francophones ; mais ce n’était pas le souhait de Katerina Gogou.
Sa terreur était celle de devoir se soumettre à la normalisation et donc, en défintive, à la neutralisation. Pour faire une comparaison nostalgique, la même chose est arrivée dans le temps à un Fabrizio De André ; ou, pour aller encore plus loin, aux « poètes maudits » français. Une neutralisation derrière laquelle on entrevoit toujours des universitaires, des prêtres et des policiers, trois catégories qui ont d’ailleurs beaucoup en commun, avec l’aide bienveillante et décisive des psychiatres qui contribuent à créer les mythes des « fous nationaux », des irréguliers régularisés, des anarchistes romantisés et des combattants anodisés. Rien de tout cela pour Katerina Gogou, qui court toujours de haut en bas en Patissìon. Et puis, bien sûr, parfois, il lui est arrivé d’être mise en musique et chantée ; on voit bien que c’est un prix à payer. [RV].
Ma plus grande crainte
Est de devenir un “poète”,
De m’enfermer dans ma chambre
Pour contempler la mer, sombre
Et m’y morfondre.
Mes veines, il ne faut surtout pas les suturer,
Car de souvenirs flous et des nouvelles de la télé,
Je colporte des opinions, je noircis du papier.
Ne laissez pas la race ratée me phagocyter
Pour m’utiliser.
Ne faites pas de mes cris des murmures
Pour endormir mon peuple ;
Ne me faites pas apprendre le mètre,
Ni m’y enfermer moi-même
Pour qu’on me chante.
Ne prenez pas de jumelles pour me mettre près
De ce sabotage auquel je ne participerai jamais.
Ne laissez pas ma fatigue me pousser
Sous la coupe des prêtres et des lettrés
Et m’atrophier.
Ils
ont tous les moyens
Et la routine et l’habitude
Ont fait de nous des chiens
Honteux de nos petits bonheurs,
Honteux d’être chômeurs.
C’est comme ça.
Ils nous attendent au coin, là-bas,
Mauvais flics et bons psys,
Marx,
et tout le fourbi.
Je crains tout ça,
Mon esprit se perd dans ce magma.
C’est la faute de ces cloches.
Putain, je ne peux plus écrire.
Quoi ?… Un autre jour… Peut-être…