samedi 21 septembre 2019

LETTRE À MON FILS

LETTRE À MON FILS


Version française – LETTRE À MON FILS – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson allemande – Brief an meinen SohnErich Kästner – 1931
Poème d’Erich Kästner, in "Gesang zwischen den Stühlen", 1932
Interprétée par Ernst Busch avec Erich Kästner ‎sur le disque "Erich Kästner Liest Kästner" (Erich Kästner lit Erich Kästner), Aurora Schallplatten, 1969








Dialogue Maïeutique

Voici, Lucien l’âne mon ami, une lettre-chanson ou une chanson-lettre, comme tu voudras ; en tout cas, la chose importante, car c’est un père qui s’adresse au fils qu’il n’a pas encore enfanté et dont, en outre, il ne connaît pas la mère ; il ne la connaît pas et il se contente d’une figure évasive, à peine esquissée, une supposition de mère, un artefact. Il est vrai que ce qui le préoccupe dans l’instant, c’est son fils tout aussi supposé, un fils théorique, une figure de fils et de fait, il ne pourrait être autre chose. Il s’incarnera (ou non) en temps utile. C’est son fils, ce fils qu’il pourrait avoir et surtout, ce que ce fils pourrait devenir qui l’inquiète.

Voilà, dit Lucien l’âne, un père bien prévoyant et même aussi, assez imaginatif. Prudent peut-être également, surtout si on imagine qu’il pourrait s’agir d’un fils collectif, de toute la génération qui suit.

Il y a de ça, répond Marco Valdo M.I., et en effet, la chose prêterait à sourire, si elle était le reflet d’une banale ambition paternelle. Mais, en fait, il ne s’agit pas de ça ; il y a plus, énormément plus, dans cette chanson et derrière ce poème, ainsi que tu parais l’avoir deviné. Car il s’agit d’Erich Kästner et qu’il écrit cette « lettre à mon fils » en 1931 à Berlin et ce sont là des éléments non négligeables, des indications d’importance. Je les prends l’une après l’autre pour en éclairer le sens. D’abord, le poème (ou la chanson – c’est la même chose) est une forme d’expression forte, qui permet de faire passer et durer une opinion ou telle Cassandre, un avertissement. Un article de journal – Erich Kästner le savait, lui qui était journaliste – passe avec le jour de diffusion ; un autre article le chasse dès le lendemain. Un poème, une chanson sortent de l’ordinaire, perdurent dans le cœur et l’esprit du lecteur en raison de leur rythme, de leur air, de leur style.

Halte, Marco Valdo M.I. mon ami, arrête-toi un instant. Je voudrais à mon tour dire que si tout ça est exact – et ce l’est, il faut ajouter que plus le poème-chanson est de qualité, plus il élève le ton, plus il est riche d’originale création, plus il s’enfonce dans l’esprit et le cœur. C’est là que l’importance de la forme se fait sentir ; mais je t’en prie continue.

Donc, reprend Marco Valdo M.I., ensuite, il y a l’auteur. Ici, Erich Kästner, dont il faut une fois encore rappeler qu’il s’agit d’un poète, écrivain, romancier pour enfants et d’un journaliste et aussi, d’un moraliste. Puis, viennent le lieu et la date : ici, Berlin, 1931. Erich Kästner est aux avant-postes dans la lutte à mort qui se déroule à Berlin à ce moment ; c’est la montée de la terreur ; il y règne un climat de folie méchante et une atmosphère de déréliction. C’est cette même année 1931 qu’ Erich Kästner publie Fabian. Die Geschichte eines Moralisten (Fabian : Histoire d'un moraliste), publié en français sous le titre prémonitoire de « Vers l'abîme ». Tel est le contexte de cette lettre.

Alors, oui, dit Lucien l’âne, je comprends tout ça, mais quid de cette « lettre à mon fils » ?

Oh, répond Marco Valdo M.I., c’est une lettre prétexte pour explorer l’avenir de la génération suivante et de prendre position par avance dans le monde qui viendra. Mais, dit-il en ayant bien conscience de l’incoercible liberté et de la nécessaire dignité de ce « fils » :

« Je ne vais pas discuter de comment vont les choses,
Je vais te montrer comment sont les choses,
Car la raison doit toute seule emplir ta tête.
Je veux être ton père et pas un prophète. »

D’autant, comme tu l’as dit, que ce fils pourrait être le peuple allemand lui-même ; ce qui donne tout son sens à la fin de la chanson-poème :

« Si tu deviens quand même un homme comme la plupart,
Méprisant tout ce que je t’ai fait voir,
Un gars quelconque, un n’importe quoi,
Alors jamais mon fils, tu ne seras. »

Soit, dit Lucien l’âne, il me vient en tête que c’est une chanson qui, en dépit du contexte historique de sa naissance, vaut tout autant tout au long de la Guerre de Cent Mille Ans, celle que les riches font aux pauvres ainsi évoquée dans la chanson :

« Je vais aller dans les mines de charbon avec toi,
Je vais te montrer des parcs avec des villas de marbre »

et si j’avais un fils ou un petit-fils, je lui enverrais. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde toujours recommencé, malade de la peste brune, infecté et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane








Finalement, je voudrais avoir un garçon,
Comme sont les enfants d’à présent, fort et intelligent.
Une seule chose me fait défaut pour ce garçon :
Une mère pour concevoir l’enfant.


N’importe quelle demoiselle peut convenir pour nous.
Il y a déjà de nombreuses années que je cherche,
Mais le bonheur est plus rare que les vacances.
Et mon fils, ta mère ne sait encore rien de nous.


Mais un beau jour, tu arriveras,
Je m’en réjouis beaucoup déjà.
Tu grandiras, tu marcheras, tu apprendras,
Et de tout ça, l’aventure de ta vie sortira.


Au début, tu cries seulement et tu fais des gestes,
Jusqu’à temps que tu passes à d’autres actes,
Jusqu’à temps que toi et tes yeux puissiez voir,
Entendre et comprendre, tout ce qu’il faut savoir.


Celui qui commence à comprendre, comme toi, mon garçon
Regarde le théâtre du monde avec admiration.
Au début, un enfant a besoin d’une mère ;
Quand tu seras grand, tu auras besoin de ton père.


Je vais aller dans les mines de charbon avec toi,
Je vais te montrer des parcs avec des villas de marbre,
Tu me regarderas et tu ne comprendras pas.
Je vais t’apprendre, enfant, et me taire.


Je vais aller avec toi à Vaux et à Ypres
Regarder la mer de croix blanches.
Là aussi, je vais rester silencieux et ne rien commenter.
Mais si tu pleures, mon enfant, je t’approuverai.


Je ne vais pas discuter de comment vont les choses,
Je vais te montrer comment sont les choses,
Car la raison doit toute seule emplir ta tête.
Je veux être ton père et pas un prophète.


Si tu deviens quand même un homme comme la plupart,
Méprisant tout ce que je t’ai fait voir,
Un gars quelconque, un n’importe quoi,
Alors jamais mon fils, tu ne seras.

LES CAMÉLÉONS



LES CAMÉLÉONS


Version française – LES CAMÉLÉONS – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson italienne – I CameleoniMaria Monti – 1974
Texte et musique : Gino Negri (1919-1991), pianiste et compositeur lombard.


« Il Bestiario (Le Bestiaire) est un album très expérimental, fait de bases musicales entre jazz de cabaret et minimalisme électronique, avec la participation de musiciens de renommée internationale dont Alvin Curran, arrangements et instrumentation électronique, et Steve Lacy au saxo soprano. Les animaux sont des métaphores qui représentent les fauts, les peurs, les obsessions des hommes ».
(de Maria Monti, fuori dal coro, par Chiara Ferrari, sur Patria Indipendente, Année V n. 67)






Autrefois, vivaient les caméléons,
Qui de temps en temps changeaient de peau.
Les caméléons étaient des animaux.
Par nature, changeants et bons.


Il y avait aussi les hommes-caméléons
Pas aussi sympathiques que les serpents.
Des messieurs et des professeurs, sentant le vent,
Avides et prêts à retourner leur veston.


Des hommes très enclins à quitter leur patron,
Quand pour ce patron, ça tournait mal.
Capables de freiner, de changer de direction,
Animés d’un infaillible instinct animal.


Heureusement, des gens du genre, aujourd’hui,
Il n’y en a plus dans le monde, m’a-t-on dit.
Le temps des manigances d’État est mort.
Ici, on vit en paix, en parfait accord.


Heureusement, des gens du genre, aujourd’hui,

Il n’y en a plus dans le monde, m’a-t-on dit.
Le temps des manigances d’État est mort.
Ici, on vit en paix, en parfait accord.


Autrefois, vivaient les caméléons