LETTRE À MON FILS
Version
française – LETTRE À MON FILS –
Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson
allemande – Brief
an meinen Sohn – Erich
Kästner – 1931
Poème
d’Erich Kästner, in
"Gesang zwischen den Stühlen", 1932
Interprétée
par
Ernst
Busch
avec
Erich Kästner sur
le
disque
"Erich Kästner Liest Kästner" (Erich
Kästner lit Erich Kästner),
Aurora Schallplatten, 1969
Dialogue
Maïeutique
Voici,
Lucien l’âne mon ami, une lettre-chanson ou une chanson-lettre,
comme tu voudras ; en tout cas, la chose importante, car c’est
un père qui s’adresse au fils qu’il n’a pas encore enfanté et
dont, en outre, il ne connaît pas la mère ; il ne la connaît
pas et il se contente d’une figure évasive, à peine esquissée,
une supposition de mère, un artefact. Il est vrai que ce qui le
préoccupe dans l’instant, c’est son fils tout aussi supposé, un
fils théorique, une figure de fils et de fait, il ne pourrait être
autre chose. Il s’incarnera (ou non) en temps utile. C’est son
fils, ce fils qu’il pourrait avoir et surtout, ce que ce fils
pourrait devenir qui l’inquiète.
Voilà,
dit Lucien l’âne, un père bien prévoyant et même aussi, assez
imaginatif. Prudent peut-être également, surtout si on imagine
qu’il pourrait s’agir d’un fils collectif, de toute la
génération qui suit.
Il
y a de ça, répond Marco Valdo M.I., et en effet, la chose prêterait
à sourire, si elle était le reflet d’une banale ambition
paternelle. Mais, en fait, il ne s’agit pas de ça ; il y a
plus, énormément plus, dans cette chanson et derrière ce poème,
ainsi que tu parais l’avoir deviné. Car il s’agit d’Erich
Kästner et qu’il écrit cette « lettre à mon fils »
en 1931 à Berlin et ce sont là des éléments non négligeables,
des indications d’importance. Je les prends l’une après l’autre
pour en éclairer le sens. D’abord, le poème (ou la chanson –
c’est la même chose) est une forme d’expression forte, qui
permet de faire passer et durer une opinion
ou telle Cassandre, un avertissement. Un article de journal – Erich
Kästner le savait, lui qui était journaliste – passe avec le jour
de diffusion ; un autre article le chasse dès le lendemain. Un
poème, une chanson sortent de l’ordinaire, perdurent dans le cœur
et l’esprit du lecteur en raison de leur rythme, de leur air, de
leur style.
Halte,
Marco Valdo M.I. mon ami, arrête-toi un instant. Je voudrais à mon
tour dire que si tout ça est exact – et ce l’est, il faut
ajouter que plus le poème-chanson est de qualité, plus il élève
le ton, plus il est riche d’originale création, plus il s’enfonce
dans l’esprit et le cœur. C’est là que l’importance de la
forme se fait sentir ; mais je t’en prie continue.
Donc,
reprend Marco Valdo M.I., ensuite, il y a l’auteur. Ici, Erich
Kästner, dont il faut une fois encore rappeler qu’il s’agit d’un
poète, écrivain, romancier pour enfants et d’un journaliste et
aussi, d’un
moraliste. Puis, viennent le lieu et la date : ici, Berlin,
1931. Erich Kästner est aux avant-postes dans la lutte à mort qui
se déroule à Berlin à ce moment ; c’est la montée de la
terreur ; il y règne un climat de folie méchante et une
atmosphère de déréliction. C’est cette même année 1931 qu’
Erich Kästner publie Fabian.
Die Geschichte eines Moralisten (Fabian :
Histoire d'un moraliste), publié en français sous le titre
prémonitoire de « Vers l'abîme ». Tel est le contexte
de cette lettre.
Alors,
oui, dit Lucien l’âne, je comprends tout ça, mais quid
de cette « lettre à mon fils » ?
Oh,
répond Marco Valdo M.I., c’est une lettre prétexte pour explorer
l’avenir de la génération suivante et de prendre position par
avance dans le monde qui viendra. Mais, dit-il en ayant bien
conscience de l’incoercible liberté et de la nécessaire dignité
de ce « fils » :
« Je
ne vais
pas discuter
de comment
vont les choses,
Je
vais te montrer comment sont les choses,
Car
la raison doit toute seule emplir ta tête.
Je
veux être ton père et pas un prophète. »
D’autant,
comme tu l’as dit, que ce fils pourrait être le peuple allemand
lui-même ; ce qui donne tout son sens à la fin de la
chanson-poème :
« Si
tu deviens quand même un homme comme
la plupart,
Méprisant
tout ce que je t’ai fait voir,
Un
gars quelconque, un n’importe quoi,
Alors
jamais mon fils,
tu ne seras. »
Soit,
dit Lucien l’âne, il me vient en tête que c’est une chanson
qui, en dépit du contexte historique de sa naissance, vaut tout
autant tout au long de la Guerre de Cent Mille Ans, celle que les
riches font aux pauvres ainsi évoquée dans la chanson :
« Je
vais aller dans
les mines de charbon avec toi,
Je
vais te montrer des parcs avec des villas de marbre »
et
si j’avais un fils ou un petit-fils, je lui enverrais. Alors,
tissons le linceul de ce vieux monde toujours recommencé, malade de
la peste brune, infecté et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Finalement,
je voudrais avoir
un garçon,
Comme
sont les enfants d’à
présent, fort et
intelligent.
Une
seule chose me
fait défaut pour ce garçon :
Une
mère pour concevoir l’enfant.
N’importe
quelle demoiselle peut convenir
pour nous.
Il
y a déjà de nombreuses années que
je cherche,
Mais
le bonheur est plus rare que les vacances.
Et
mon fils, ta mère ne sait encore rien de nous.
Mais
un beau jour, tu arriveras,
Je
m’en réjouis
beaucoup déjà.
Tu
grandiras, tu marcheras, tu
apprendras,
Et
de tout ça, l’aventure de ta
vie sortira.
Au
début, tu cries
seulement et tu
fais des gestes,
Jusqu’à
temps que tu
passes à d’autres
actes,
Jusqu’à
temps que toi et tes yeux puissiez
voir,
Entendre
et comprendre,
tout ce qu’il
faut savoir.
Celui
qui commence à comprendre, comme toi, mon garçon
Regarde
le théâtre du monde avec admiration.
Au
début, un enfant a besoin d’une mère ;
Quand
tu seras grand, tu auras besoin de ton
père.
Je
vais aller dans
les mines de charbon avec toi,
Je
vais te montrer des parcs avec des villas de marbre,
Tu
me regarderas et tu ne comprendras pas.
Je
vais t’apprendre, enfant, et me taire.
Je
vais aller avec toi à Vaux et à Ypres
Regarder
la mer de croix blanches.
Là
aussi, je vais rester silencieux et ne rien commenter.
Mais
si tu pleures, mon enfant, je t’approuverai.
Je
ne vais pas discuter de comment vont les choses,
Je
vais te montrer comment sont les choses,
Car
la raison doit toute seule emplir ta tête.
Je
veux être ton père et pas un prophète.
Si
tu deviens quand même un homme comme
la plupart,
Méprisant
tout ce que je t’ai fait voir,
Un
gars quelconque, un n’importe quoi,
Alors
jamais mon fils,
tu ne seras.