jeudi 5 décembre 2013

Les Pragois étaient allés à Sankt Pauli

Les Pragois étaient allés à Sankt Pauli


Canzone française – Les Pragois étaient allés à Sankt Pauli – Marco Valdo M.I. – 2013
Histoires d'Allemagne 100
An de Grass 03

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.



Soirée à Sankt Pauli

Vergnuegen auf St. Pauli, 1930. - Elfriede Lohse-Waechtler 

      




Comme celle de 1901, celle d'Else du Mont des Oliviers, cette Histoire d'Allemagne n'est pas à sa place chronologique. Et comme je l'ai déjà expliqué, si elle vient si tard, c'est qu'il y a presque trois ans maintenant, je ne savais pas trop comment l'assaisonner, comment faire une chanson avec une histoire comme celle-là. Mais avec le temps, finalement, je comprends mieux les choses ; surtout, celles qui ne sont pas explicitement dites.


Aide-moi un peu..., dit Lucien l'âne un peu éberlué. De quelles choses parles-tu ? Donne-moi un exemple...


Les Pragois, par exemple. Que viendraient faire des Pragois dans un match qui doit désigner le champion d'Allemagne ? La réponse est simple... Ce sont les Allemands de Prague. Les Allemands de Prague, tu imagines... On est en 1901... Prague dans le championnat d'Allemagne... On sait ce que ça donnera en 1939, cette idée de Prague en Allemagne... Encore une chance que ce soit Leipzig qui ait gagné... Imagine un instant... Prague, champion d'Allemagne... Quelle ironie ! Une autre indication concernant l'équipe de Leipzig, cette fois... C'est un joueur Polonais naturalisé allemand, le dénommé Stany – dans la chanson et sur le terrain et de son nom civil : Bruno Stanischewski... qui va conduire l'équipe à la victoire. On en verra aussi bien d'autres des Polonais d'origine être naturalisés après 1939... Ainsi, tu peux voir que les phrases et les histoires ne sont pas aussi innocentes qu'elles en ont l'air.


On dirait même parfois qu'elles font de la prémonition, dit Lucien Lane en clignant malignement de l’œil gauche.


J'irais jusqu'à dire de la prédiction créatrice. Et dans le fond, ce n'est pas si faux... Les mots, les histoires construisent le monde ou en tous cas, participent de la création du monde ou autrement dit, interfèrent dans l'histoire. D'ailleurs, le mot histoire lui-même, tel que je viens de l'utiliser, est actuellement un mot suspect ; c'est un mot qui déplaît, c'est un mot tabou. Car en parlant d'histoire, je fais deux choses : j'inscris ma chanson dans un monde de la durée, un monde qui s'échappe de l’instantané, de l'événementiel, de l'immédiateté, du superficiel et j'entame une réflexion, je remets en action la pensée comme mode d'organisation du monde – la pensée et pas la hasardeuse main invisible si chère aux économistes. Le mot « histoire » est aussi suspect car il a un sens et ce sens de l'histoire – à la fois, direction et signification, ce sens de l'histoire renvoie à ce qui se passe dans la durée, à voir ce qui déchire le monde dans la durée, à voir que la guerre n'est pas un processus accidentel, mais un élément constitutif de notre monde, de celui dans lequel actuellement nous vivons ; en bref, il renvoie à la Guerre de Cent Mille Ans, cette guerre que les riches font aux pauvres pour imposer leur pouvoir, pour instaurer leur domination, pour assurer leurs privilèges, pour accroître encore et toujours leurs richesses. Et à partir de là, la pensée se met à gamberger, elle gagne sa liberté, elle échappe aux contrôles, elle se refuse à la domestication et elle se met à penser le monde, à y introduire de la conscience, à y voir ce qui s'y fait et à dire ce qui ne se fait pas. À partir de là, elle entre en résistance...


Ora e sempre : Resistenza ! , dit Lucien l'âne. Mais pour en revenir à la canzone, il me semble que tu avais déjà raconté des matchs de football...


En effet et si je me souviens bien, il y en a déjà eu trois... Il y eut dans l'ordre chronologique : Bottines et gros souliers (vers 1912) [[11143]], Le Pied d'Ivan (1942) [[40978]] et Le Miracle de Berne (1954) [[39654]].


Alors, si tu le veux bien, passons à la chanson et puis, nous reprendrons notre tâche et ensemble, tels des canuts d'aujourd'hui, nous tisserons le linceul de ce vieux monde volatil, superficiel, concurrentiel, hasardeux et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Après notre sept à deux, on a dit
Les Pragois étaient allés à Sankt Pauli
La veille du match, tard dans la nuit
Passer du bon temps avec les filles
C'est une légende, c'est un bruit

Ce qui est sûr, c'est que nous
À dix-sept, dans le train de nuit
Depuis Leipzig et pas en wagon-lits,
Tous en troisième classe, qu'on était nous.

Pour la finale, sur le terrain d'Altona
Nos onze joueurs étaient là en rang d'oignon
Et même l'arbitre et les onze Pragois,
Deux mille spectateurs et pas de ballon.

Les Pragois ne rigolaient pas
Le public et nous, on riait gaiement
L'arbitre, un joueur d'Altona
Regardait sa montre pour passer le temps

Enfin, le ballon arriva
Le soleil et le vent du côté des Pragois
Grâce à quoi, Meyer mit le premier but
Friedrich mit, pour nous, le deuxième but

À la mi-temps, on en était toujours là.
Ensuite, le vent changea
Bref, avec Stany et Riso, le festival
Nous mena au premier titre national

L’arbitre qui s'y connaissait
Impartial concluait
Par écrit et de sa main
Les meilleurs ont gagné, à la fin.

Après notre sept à deux, on a dit
Les Pragois étaient allés à Sankt Pauli
La veille du match, tard dans la nuit
Passer du bon temps avec les filles
C'est une légende, c'est un bruit

L’arbitre qui s'y connaissait
Impartial concluait
Par écrit et de sa main
Les meilleurs ont gagné, à la fin.