jeudi 18 novembre 2021

PREMIER RAPPORT SUR LE SOLDAT INCONNU SOUS L’ARC DE TRIOMPHE

 



PREMIER RAPPORT SUR LE SOLDAT INCONNU SOUS L’ARC DE TRIOMPHE


Version française – PREMIER RAPPORT SUR LE SOLDAT INCONNU SOUS L’ARC DE TRIOMPHE – Marco Valdo M.I. – 2021

Chanson allemande – Erster Bericht über den Unbekannten Soldaten unter dem TriumphbogenBertolt Brecht – ça.1920

Texte de Bertolt Brecht, dans le recueil « Lieder Gedichte Chöre, 1918-1933 », publié en 1934.

Musique de Kurt Weill, quatrième mouvement de la cantate pour ténor, baryton, chœur de trois voix d’hommes et orchestre intitulée « Das Berliner Requiem », qu’il a composée en 1928.




Un poème, transformé par Kurt Weill en chanson, qui fait la paire avec la Legende vom toten Soldaten de 1918 et la surpasse dans son ironie féroce et grotesque déjà inégalée. , le soldat mort était “ressuscité” une fois la guerre presque terminée, afin qu’il puisse se joindre aux tambours de la propagande et mourir héroïquement une seconde fois ; ici, en revanche, un simple soldat, un pauvre homme, est choisi et tué par d’autres – de toutes les nationalités, d’ailleurs – son corps est horriblement dépecé pour le rendre méconnaissable et ainsi devenir le « soldat inconnu », puis il est enterré avec tous les honneurs sur une lourde pierre tombale et même sous un arc de triomphe, pour que, avec tout ce poids, le soldat assassiné ne puisse jamais se relever pour obtenir justice, pour dire ce qu’était la guerre, ce que fut son meurtre, son sacrifice inutile au nom de Dieu et à la gloire des puissants…





SOLDATS INCONNUS

Otto Dix – 1934



 

 

Dialogue Maïeutique


Bien sûr, dit Marco Valdo M.I., comme tout le monde, tu connais le soldat inconnu.


Oh, répond Lucien l’âne, tu galéjes. Comment veux-tu que je le connaisse vu que comme son nom l’indique, il est inconnu. Et puis, raisonnons un peu : n’y en a-t-il eu qu’un seul ? Ou un seul par pays ?


Dès lors, reprend Marco Valdo M.I., à supposer cette dernière hypothèse d’un soldat inconnu par nation, si par la suite, les pays se sont divisés en plusieurs nouvelles entités patriotiques, se sont-ils partagé le soldat inconnu ? A-t-on divisé et réparti les restes de cet inconnu national ? Ce serait légitime, il me semble, car autrement, un des nouveaux pays (ou plusieurs) n’aurait plus de soldat inconnu à célébrer ou devrait aller le célébrer dans un autre pays – impensable, surtout si la séparation a séparé des populations de langues ou de cultures différentes.


Quand même, souviens-toi, Marco Valdo M.I. mon ami, Il est bien aussi en ces temps où on ne saurait ignorer la moitié de l’humaine nation de se remémorer Allain Leprest et sa chanson évoquant le destin de la Veuve du Soldat inconnuune personne bien leste et qui a laissé une kyrielle de bébés inconnus nés de ses amours avec des soldats inconnus. Ces ex-bébés sont sans doute ces inconnus qu’on croise parfois dans les rues ou leurs descendants.


C’est un problème considérable, Lucien l’âne mon ami. D’abord, ton raisonnement manque de cohérence. Ainsi, il convient de poser comme fait de base de la réalité qu’il existe des tas de soldats inconnus et pas seulement de malheureux solitaires gisant sous des arcs de triomphe, mais des myriades reposant dans les bois, dans les champs, dans les montagnes, dans les vallées, aux fonds des lacs, des rivières, des mers, des océans ; ils sont des millions depuis le temps qu’on les accumule et corollairement, il doit y avoir également tant et tant de veuves et conséquemment, tant et tant d’enfants inconnus qu’on croise dans les rues sans même savoir qu’ils sont inconnus.


Oh, s’exclame Lucien l’âne, je l’imagine très bien. Mais qu’en est-il de cette chanson ?


Eh bien, Lucien l’âne mon ami, pour le savoir, il te suffit de la parcourir et pour en savoir plus, de réfléchir. Par exemple à ceci qu’elle envisage un soldat inconnu (un seul !) pour l’ensemble des pays engagés dans la guerre – ici, la guerre de 14-18.


Bien, dit Lucien l’âne, mais en faudra-t-il un par guerre ?


N’embrouille pas l’affaire, dit Marco Valdo M.I., c’est déjà assez alambiqué comme ça. Donc, je disais un par pays, mais même ainsi, c’est flou. Il y a des régiments entiers de soldats venus des colonies et imagine que ce soldat inconnu soit un de ceux-là.


Certes, dit Lucien l’âne, le nationalisme local en prendrait un fameux coup et puis, maintenant, il faudrait les rapatrier et alors, on n’aurait plus de soldat inconnu. Quel bazar, ça ferait !


Oui, rétorque Marco Valdo M.I., et on n’a pas encore pris en compte les femmes-soldats, car l’époque, ce n’était pas encore dans les mœurs, sans compter qu’on ignore totalement les civils. Enfin, pour en revenir à la chanson, ce qu’elle raconte a toutes les allures d’une chasse à l’homme, d’un hallali continental cernant un gibier unique et symbolique. Elle produit cette figure nébuleuse du soldat inconnu qui, sous les flonflons et les tralalas des commémorations – qui servent à mettre en valeur ceux qui commémorent, réduit le massacre millionnaire à une exécution capitale. Encore une fois, cet inconnu solitaire cache la forêt des assassinés.


Certes, dit Lucien l’âne, ramener le cataclysme à ce soldat fantomatique est une manière de réduire à néant la monstrueuse responsabilité de l’extermination de masse. C’est un de ces multiples leurres qui fait perdre de vue que tout se tient dans la Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font aux pauvres pour assurer leur pouvoir, renforcer leur domination, multiplier leurs richesses, accroître leurs profits et asseoir leurs privilèges. Mais en voilà assez, tissons le linceul de ce vieux monde assassin, guerrier, massacreur, avide et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






Des montagnes et des océans,

On est venus pour le tuer.

On l’a lié avec des cordes, le traînant

De Moscou à Marseille, sans nous arrêter

Et on avait des canons pour le détruire

Au cas où, nous voyant venir,

Il aurait voulu s’enfuir.


Pendant quatre ans, on était rassemblés ;

Abandonné notre travail, restés

Dans les villes en ruine, on s’interpellait

En diverses langues, des montagnes à l’océan,

Pour savoir où il était.

On le tua finalement, après quatre ans.


On était là, tous,

Ceux- nés pour le voir et à sa mort,

Ceux-là se tenaient autour de lui encore.

Ceux-là, c’étaient nous tous.

La femme, qui au monde l’avait mis,

S’était tue quand nous l’avons pris.

Qu’on arrache son sein,

Amen ! Fin.


Et quand enfin on l’a tué,

Nous l’avons fait tomber ;

Sous nos poings, il a perdu son visage.

Rendu ainsi méconnaissable,

Il n’était plus un fils de l’homme.


On l’a ressorti de la terre,

Ramené dans notre ville,

Enterré sous la pierre,

Sous un arc de triomphe,

Qui pesait mille tonnes,

Pour que le soldat inconnu,

Métamorphosé, ne se relève plus

Et qu’au jour du jugement,

Devant Dieu, marchant

À nouveau dans la lumière,

Il nous désigne,

Nous les connus, à la justice.