Sentimental
Bourreau
Chanson
française – Sentimental
Bourreau – Boby
Lapointe – 1970
Dialogue
Maïeutique
Encore
une chanson de bourreau, qu’est-ce qui te prend ?, Marco Valdo
M.I. mon ami.
Oh,
Lucien l’âne mon ami, c’est tout simplement un effet de ce qu’on
appelle l’esprit de suite. Une chanson en appelle une autre à
l’oreille ou à la mémoire. Tout le monde connaît ce phénomène ;
c’est d’ailleurs une des caractéristiques de la chanson que
cette manie du refrain qui colle et elle est souvent détestable.
Oh
combien, dit Lucien l’âne, et tu peux imaginer ce que c’est pour
moi qui ai de si grandes oreilles ! Enfin, je connais ce ressac
usant que font les refrains, surtout la nuit. Il est même possible,
Marco Valdo M.I. mon ami, que tu découvres un autre chanson sur ce
sujet.
Peut-être,
Lucien l’âne mon ami. En attendant, ce bourreau-ci est l’œuvre
de l’ami Boby Lapointe et regarde quand il a présenté cette
chanson : c’était en 1970.
Oui,
et alors ?, demande Lucien l’âne.
Et
alors ?, reprend Marco Valdo M.I. En 1970, la peine de mort
était encore inscrite dans le Code Pénal en France ; la base était constituée par les célébrissimes articles de 1791 qui disent :
« Article
2
La
peine de mort consistera dans la simple privation de la vie, sans
qu’il puisse jamais être exercé aucune torture envers les
condamnés.
Article
3
Tout
condamné aura la tête tranchée.
Article
4
Quiconque
aura été condamné à mort pour crime d’assassinat, d’incendie
ou de poison, sera conduit au lieu de l’exécution revêtu d’une
chemise rouge.
Le
parricide aura la tête et le visage voilés d’une étoffe noire ;
il ne sera découvert qu’au moment de l’exécution.
Article
5
L’exécution
des condamnés à mort se fera dans la place publique de la ville où
le jury d’accusation aura été convoqué. »
Oh,
dit Lucien l’âne, ça rigolait pas en ces temps-là. Mais pourquoi
donc la « tête tranchée » ?
La
tête tranchée et pas la pendaison ou d’autres manières, répond
Marco Valdo, par souci d’égalité, c’est une application de la
démocratie. Tout le monde n’avait pas droit au vote, mais « Tout
condamné à mort avait la tête tranchée ». C’est un
article qui instaurait une réelle égalité révolutionnaire.
Et,
elle était encore existante du temps de la chanson ?, s’étonne
Lucien l’âne.
En
effet, la peine de mort ne disparaîtra de la loi française qu’en
1981. De plus, au temps de la chanson, elle était encore appliquée.
La dernière exécution (en France) date de 1977. Donc, la chanson
avait un sens très particulier pour qui voulait l’entendre.
Connaissant Boby Lapointe, ami de Georges Brassens avec qui il allait
en tournée ces années-là, tu peux comprendre tout ce qu’il y a
derrière ce « petit bourreau beau » – « petit
bout robot ». C’est là un sujet tabou et une profession dont
on ne parle pas et à laquelle on n’applique une telle dose d’acide
ironique. Bref, on ne rit pas du bourreau, pas plus que ne rit de la
mort ou de Dieu.
Oui,
dit Lucien l’âne, je vois ça, mais le bourreau devait encore
exister en France en 1970.
Effectivement,
dit Marco Valdo M.I.. Il sera actif jusqu’en 1977, année où il
procéda à la dernière exécution avec comme aidant son fils, qu’il
préparait à prendre sa succession. Cependant, question d’humour
noir et d’ironie appliqués au bourreau, je te lègue cette
citation : « Tous les journaux s’accordèrent à rendre
justice au jeune monsieur Deibler qui montra pour ses débuts à
Paris un tournemain et une aisance de vieux praticien. Jeune,
élégant, vêtu d’une redingote de couleur sombre, comme un témoin
de duel sélect, il réalise dans la perfection le type du bourreau
moderne. On peut, après cet heureux essai, lui prédire une belle
carrière et un nombre respectable de représentations. »
(Annales politiques et littéraires du 12 février 1899)
Bon,
reprend Lucien l’âne, humour toujours, ainsi finit l’ère des
bourreaux de France. Mais une dernière question, si tu permets.
Pourquoi « Sentimental » ?, ça m’intrigue.
Eh
bien, Lucien l’âne, c’était une manière de rappeler que le
bourreau est aussi un être humain. Il n’était d’ailleurs
« bourreau » que les jours d’exécution – c’était
un emploi à temps partiel, un métier intermittent, qui ne
nourrissait pas son homme ; il lui fallait un autre emploi pour
le reste du temps. Ce monsieur tout le monde, ce travailleur, comme
tous les autres, pouvait éprouver des sentiments – en laissant le
travail de côté.
En
somme, dit Lucien l’âne, c’est un citoyen comme un autre avec
femme(s), enfant(s), travail, famille, patrie, etc., mais aussi, tant
qu’il y a une peine de mort, c’est un rouage indispensable de la
société. C’était quand même un sale boulot ; mais à
considérer la chose, il n’en tue qu’un à la fois ; à côté
d’autres, c’est de l’artisanat. Quant à nous qu’une telle
profession hérisse et rebiffe, tissons le linceul de ce vieux monde
mortel, mortifère, morticole et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Il
était une fois,
Un beau petit bourreau,
Pas plus grand que trois noix
Et pas beaucoup plus gros ;
Des hautes et basses œuvres
Était exécuteur
Et pour les basses œuvres,
Était à la hauteur ;
N’avait jamais de trêve
Et jamais de repos,
Car en place de Grève,
Il faisait son boulot.
Un beau petit bourreau,
Pas plus grand que trois noix
Et pas beaucoup plus gros ;
Des hautes et basses œuvres
Était exécuteur
Et pour les basses œuvres,
Était à la hauteur ;
N’avait jamais de trêve
Et jamais de repos,
Car en place de Grève,
Il faisait son boulot.
Pourtant
couper des têtes,
Disait-il, ça m’embête :
C’est un truc idiot,
Ça salit mon billot.
Pour nourrir ma vieille mère,
Je saigne Paul ou Pierre
D’un geste un peu brutal,
Mais sans penser à mal.
Sentimental bourreau,
Aïe, aïe, aïe ! Aïe, aïe, aïe !
Disait-il, ça m’embête :
C’est un truc idiot,
Ça salit mon billot.
Pour nourrir ma vieille mère,
Je saigne Paul ou Pierre
D’un geste un peu brutal,
Mais sans penser à mal.
Sentimental bourreau,
Aïe, aïe, aïe ! Aïe, aïe, aïe !
Un
soir de sa fenêtre,
La femme du fossoyeur
Héla l’homme de têtes
Et lui ouvrit son cœur.
Depuis longtemps sevrée
De transports amoureux,
À vous, veux me livrer,
Ô bourreau vigoureux !
Je vous lance une corde
Du haut de mon balcon,
Grimpez-y, c’est un ordre ;
Allons exécution !
La femme du fossoyeur
Héla l’homme de têtes
Et lui ouvrit son cœur.
Depuis longtemps sevrée
De transports amoureux,
À vous, veux me livrer,
Ô bourreau vigoureux !
Je vous lance une corde
Du haut de mon balcon,
Grimpez-y, c’est un ordre ;
Allons exécution !
Pourtant
couper des têtes,
Disait-il, ça m’embête :
C’est un truc idiot,
Ça salit mon billot.
Pour nourrir ma vieille mère,
Je saigne Paul ou Pierre
D’un geste un peu brutal,
Mais sans penser à mal.
Sentimental bourreau,
Aïe, aïe, aïe ! Aïe, aïe, aïe !
Disait-il, ça m’embête :
C’est un truc idiot,
Ça salit mon billot.
Pour nourrir ma vieille mère,
Je saigne Paul ou Pierre
D’un geste un peu brutal,
Mais sans penser à mal.
Sentimental bourreau,
Aïe, aïe, aïe ! Aïe, aïe, aïe !
À
partager sa couche,
La belle l’invita ;
En quelques coups de hache,
Il la lui débita.
L’époux au bruit du bris
Survint un peu inquiet,
Il partagea le mari
Pour garder sa moitié.
Comme la dame inquiète
Suggérait : « Taillons-nous ! »,
Il lui coupa la tête
Et se trancha le cou.
La belle l’invita ;
En quelques coups de hache,
Il la lui débita.
L’époux au bruit du bris
Survint un peu inquiet,
Il partagea le mari
Pour garder sa moitié.
Comme la dame inquiète
Suggérait : « Taillons-nous ! »,
Il lui coupa la tête
Et se trancha le cou.
Pourtant
couper des têtes,
Disait-il, ça m’embête :
C’est un truc idiot,
Ça salit mon billot.
Pour nourrir ma vieille mère,
Je saigne Paul ou Pierre
D’un geste un peu brutal,
Mais sans penser à mal.
Sentimental bourreau,
Aïe, aïe, aïe ! Aïe, aïe, aïe !
Disait-il, ça m’embête :
C’est un truc idiot,
Ça salit mon billot.
Pour nourrir ma vieille mère,
Je saigne Paul ou Pierre
D’un geste un peu brutal,
Mais sans penser à mal.
Sentimental bourreau,
Aïe, aïe, aïe ! Aïe, aïe, aïe !
Envoi :
Prince,
prenez grand soin,
De la douce Isabeau,
Qu’elle n’ait oncques besoin
D’un petit bourreau beau.
De la douce Isabeau,
Qu’elle n’ait oncques besoin
D’un petit bourreau beau.