jeudi 14 avril 2016

GUERRE À LA GUERRE


GUERRE À LA GUERRE

Version française – GUERRE À LA GUERRE – Marco Valdo M.I. – 2011
Chanson allemande – Krieg dem Kriege – Texte de Theobald Tiger, alias Kurt Tucholsky – 13-06-1919



Photographie de Ernst Friedrich


Le plus fameux poème contre la guerre de Kurt Tucholsky, qui volontairement (et pas par hasard, les deux se connaissaient et militèrent ensemble dans les rangs de l’anarchisme allemand), porte le même titre que la collection photographique de Ernst Friedrich contre les horreurs de la guerre.


« Guerre à la Guerre ! » est un titre des plus nets, des plus explicites qui soit, un cri que Theobald Tiger, alias Kurt Tucholsky lance en 1919. On l’a entendu depuis à de multiples occasions et il servira encore à l’édification des enfants et des jeunes de tous les pays.


Et ce serait une bonne chose, dit Lucien l’âne sentencieusement. Ç calmerait peut-être les ardeurs de certains ou mieux encore, les conduirait à penser le monde en des termes moins bellicistes.


Oui, un cri si généreux parle au cœur de l’humaine nation. Cependant, derrière ce presque-unanimisme pacifiste, il y a souvent une sorte de naïveté optimiste qu’il faut mettre en garde contre les retours de flammes. C’est le sens de la chanson de Theobald Tiger, alias Kurt Tucholsky ; elle est d’une lucidité décapante et en même temps, c’est un formidable appel à la volonté à la fois, individuelle (essentielle, celle-là) et collective de vraiment mettre fin à la guerre.


De quelle lucidité peut-il bien s’agir ? Comment peut-elle s’exprimer dans un contexte aussi nettement utopique ?


Reprenons : Theobald Tiger, alias Kurt Tucholsky, est évidemment d’accord pour promouvoir cette idée de Guerre à la Guerre et il le fait, mais l’autre versant de l’histoire ne lui échappe pas, celui de la réalité allemande de son temps, de 1919.
En quelques mots, l’Allemagne impériale vient de s’écrouler, la révolution qui l’a emportée s’est quasiment dissoute et va l’être plus encore, écrasée par ceux qui auraient dû être ses propres partisans et qui se proclamaient tels : les sociaux-démocrates.
Parallèlement à ça, les partisans de l’ancien régime, qui n’ont digéré ni l’effondrement de l’Empire, ni la révolution, ni la reddition militaire relèvent la tête et organisent un coup d’État permanent, un inextricable chaos afin de déstabiliser le nouvel État républicain. Pr parenthèse, ils finiront pas y passer aussi, mais plus tard. Et Theobald Tiger, alias Kurt Tucholsky, pressent – et c’est très perceptible dans la chanson – où tout cela va mener l’Allemagne. Les maîtres d’hier et jusqu’à leurs cadres subalternes sont restés en place ; ils sont partout dans le nouvel État républicain, qu’ils n’ont de cesse de détruire. C’est toute l’aventure de la République de Weimar. En somme, comme ce sera également le cas plus tard au sortir de la guerre suivante en Allemagne, mais aussi en Italie ou en France, il n’y a pas eu d’épuration, justement, car on voulait la paix et l’ordre (surtout l’ordre, d’ailleurs !), mais un ordre qui ferait barrage à tout renversement de l’ordre établi. Il y avait derrière tout ça, la grande crainte de voir finalement naître une république républicaine et antimonarchiste, qui prendrait à revers les maîtres d’hier, les héritiers de la Prusse de Bismarck et saperait les bases de leurs privilèges.


Ce Guerre à la guerre ! De Theobald Tiger, alias Kurt Tucholsky, est un chant assez désespéré, un appel à faire barrage à la démence militariste renaissante, mais au fond il sait déjà ce qu’il en sera. C’est un peu une « vox clamans in deserto », un chant de Cassandre et cette sinistre prédiction sous-jacente à son propos va effectivement se réaliser et pire encore que ce qu’il craignait. Kurt Tucholsky, alias Theobald Tiger, finira une quinzaine d’années plus tard par se suicider d’épuisement et de désespoir.


Moi, dit Lucien l’âne pensif, pour conclure, je resituerais cette chanson et les perspectives qu’elle évoque dans le cadre de la Guerre de Cent Mille Ans  que les riches et les puissants font contre les pauvres afin de conserver leur pouvoir et leurs richesses, d’assurer et d’étendre leur domination, d’accroître leurs privilèges, de renforcer l’exploitation et de multiplier leurs profits. Ainsi conçue, la Guerre à la guerre a un but très clair et ne pourra aboutir que du jour où les humains auront définitivement et volontairement abandonné leur penchant à l’avidité, leur goût de l’arrogance et leur attrait pour l’ambition. Évidemment, c’est là un programme apparemment des plus irréalistes, mais c’est le seul possible. Alors pour y contribuer dès maintenant, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde belliqueux, ambitieux, avide, envieux, fat et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



Dans les tranchées, vous avez été quatre ans
Du temps, tant de temps !
Vous avez eu des poux, froid et faim
Et chez vous, une femme et deux enfants,
Loin ! Loin !
Et personne pour vous dire la vérité,
Personne pour oser la rébellion,
Mois après mois, année après année.
Et quand on était en permission
On voyait à l’arrière ces grosses panses
Se rouler dans la goinfrerie et la danse
Et suer le marché noir et la cupidité.
Et la horde des écrivassiers panallemands gueuler :
« Guerre ! Guerre !
Grande Victoire !
Victoire en Albanie et victoire en Flandres »

Et meurent les autres, les autres, les autres !
Devant, les camarades s’effondrent
Pour presque tous, c’était le sort
Blessure, souffrance de bête, mort.
Une petite tache, rouge sale
Et on t’emporte et on t’enterre
Mais qui donc sera le prochain ?
Et le cri des millions monte aux étoiles.
Les hommes apprendront-ils enfin ?
Y a-t-il une chose qui vaille la peine ?
Qui est là qui là en haut trône
Du haut en bas constellé d’Ordres
Et qui toujours commande : Tuez ! Tuez !
Sang et os broyés et pourriture...
Et alors, d’un coup, on dit que le bateau a coulé
Le capitaine a fait ses bagages
Et subitement est parti à la nage
Et les troufions restent là indécis
Pour qui tout cela ? Pour la patrie ?

Frère ! Serre le rang ! Serre !
Frère ! Cela ne doit plus jamais se produire !
On nous donne la paix du néant
Est-ce le même destin qui attend
Nos fils et nos petits-enfants ?
Répandra-t-on à nouveau le sang
Dans les fossés et sur le vert des champs ?
Frère ! Souffle quelque chose aux gars,
Cela ne doit, cela ne peut continuer comme ça.
Nous avons tous, tous vu
Dans quoi une telle folie nous a foutu.

Le feu brûle qu’on a attisé
Qu’on l’éteigne ! Les Impérialistes
Qui nichent entre eux là de l’autre côté
Nous offrent à nouveau des Nationalistes !
Et une nouvelle fois après vingt ans
Ramènent leurs nouveaux canons maintenant.
Ce n’était pas la paix des braves,
C’était de la démence
Sur le vieux volcan, la vieille danse.
Il ne faut pas tuer ! A dit un sage.
Et l’humanité entend, et l’humanité se lamente.
Y aura-t-il jamais autre chose ?
Guerre à la guerre !
Et paix sur toute la Terre !