mardi 26 avril 2016

L'HISTOIRE NOUS ENSEIGNE...

L'HISTOIRE NOUS ENSEIGNE...

Version française – L’HISTOIRE NOUS ENSEIGNE – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson italienne – La storia ci insegna…Manuel Miranda – 2013



L'histoire de deux partisans italiens.



Partisans au combat




Trente était à deux pas ; la frontière
Était libre, dehors il y avait la pluie,
Mais pour passer les fossés et les barrières,
On risquait sa vie.
Les Allemands sont en alerte
Ils épient la liberté,
L'histoire nous a enseigné…

Mario était un peu communiste,
Un camarade, un partisan,
Il résistait, souffrait, luttait
Pour la liberté vaillamment.
Et dans les pas, les montagnes tendaient
Des pièges féroces,
L'histoire nous enseigne…

… Et Giovanni attendait à Aoste des temps meilleurs,
Quand la guerre finira, si alors se calmaient les fureurs,
Et la neige couvrait les têtes, les précipices, les médailles à l'honneur.

Mais à ne pas faire le mal, l'histoire nous a aussi enseigné
La cloche qui sonne au pays est porteuse d'espérance,
Et il plaît penser que tout est … oublié,
Quand dehors le monde de toute façon son avance.
Laisse, il ne faut pas te plaindre ultérieurement,
Qui fait des erreurs les paye, tôt ou tard s'en repent.

L'officier au sommet à l'échelle
Réclame les papiers d'une voix ferme,
Mario regarde, le fixe, tire,
Au milieu de la poitrine.
Et puis, sur les toits de Trente, il s'en est allé
Vers des buts qu'on ignore,
Vers la liberté.

Mais Giovanni continue à combattre
Les Allemands et au loin, il revoit le pays qu'il aime,
Puis, dans son esprit vient Eboli, au milieu des coups de feu, personne ne l'écoute…


Mais l'histoire nous enseigne aussi à ne pas faire du mal,
La cloche qui sonne au pays est porteuse d'espérance,
Et il plaît penser que tout est … oublié,
Quand dehors le monde de toute façon son avance.
Laisse, il ne faut pas te plaindre ultérieurement,
Qui fait des erreurs les paye, tôt ou tard s'en repent. 

lundi 25 avril 2016

LETTRE DE MAUTHAUSEN

LETTRE DE MAUTHAUSEN

Version française – LETTRE DE MAUTHAUSEN – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson italienne – Lettera da Mauthausen – Manuel Miranda – 2009



Suicide à Mauthausen (194 ?)
Et elle s’en va la vie

Sombre comme une harpie…





J’avais raconté, il y a déjà quelques temps, l’histoire de Joseph-Giuseppe Porcu qui finit la guerre au camp de concentration de Dachau en Bavière. Elle était intitulée Dachau-Express. On a croisé – en chansons – des prisonniers, morts ou vivants, de Theresienstadt, Auschwitz, Sachsenhausen, Orianenburg et sans doute, d’autres lieux du genre encore. La méticulosité administrative du régime nazi en distinguait toute une série de sortes : camp de travail, camp de prisonniers, camp de concentration, camp d’extermination, camp de la mort, camp de transit, j’arrête là, on n’entrera pas plus dans les subtilités du genre. Il suffit de savoir que l’horreur avait mille facettes. Cette fois, c’est d’un autre de ces monstrueux complexes qu’il s’agit : Mauthausen en Autriche. Il y a passa des centaines de milliers de prisonniers et des centaines de milliers y moururent. Pas tous cependant, il y eut des survivants. Le décompte exact est impossible ; les bourreaux avaient détruit les archives avant de s’enfuir. C’était un ordre venu d’en haut.
C’est de ce camp que provient la lettre qui est le sujet de la canzone. Je précise tout de suite qu’elle ne peut qu’être imaginaire, même si tout en elle est vraisemblable. C’est une reconstitution par un auteur-interprète contemporain, Manuel Miranda et publiée en 2009.



C’est donc la version française de la Lettre de Mauthausen de Miranda et que dit-elle cette canzone ?, demande Lucien l’âne en balançant la tête. Comme bien tu supposes, il s’agit d’une lettre écrite par un prisonnier du camp de Mauthausen à quelqu’un de l’extérieur. Mais c’est obligatoirement une fiction, car jamais une telle lettre n’aurait pu franchir la barrière de la censure. Et cela d’autant plus qu’elle parle d’une des vilenies les plus secrètement gardées de ces monstrueuses résidences.



De quoi parle-t-elle de si secret, de si étouffé, dès lors qu’elle parle déjà d’un camp de concentration ?, demande Lucien l’âne.



Ce qu’elle évoque de si terrible, c’est le presque, le quasi-indicible, c’est le destin des prisonniers eux-mêmes vu par l’un d’eux ; le destin de ceux qui finissaient là abandonnés au fin fond de l’horreur à se demander « pourquoi ? ». Elle rapporte aussi la révolte de celui-là qui les voit y pourrir sur place et qui est rongé par la colère et la volonté de fuir et de faire fuir les autres. Était-il un de ces prisonniers préposés au marquage des autres, comme on marque les veaux pour l’abattoir ? Était-ce un de ces prisonniers-médecins qui, sans aucun moyen, se devaient d’aider quand même (tel est le sens de leur serment d’Hippocrate) les malades, les blessés, les souffrances ? Je ne sais trop, mais ce qui est sûr, c’est que c’est une canzone qui se doit d’être entendue.



Eh bien, Marco Valdo M.I. mon ami, nous l’entendrons donc ; enfin, on lira attentivement ta version française. Puis, nous reprendrons notre tâche et nous tisserons le linceul de ce vieux monde cacochyme.






Heureusement !






Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane







Salut, comment ça va ?
Bientôt, le soleil se lèvera…
que fais-tu là-bas ?
Journal, maison, église, ou quoi… ?
Ici, il fait froid,
Ce n’est pas facile ici…
Chaque jour, on risque sa vie
Et elle s’en va la vie
Sombre comme une harpie…

Je suis là
Au service d’une brutale impiété,
Je passe mon temps à
Immatriculer des gens que j’aurais aimé…
Que je voudrais voir libres, pourtant,
J’aurais voulu qu’ils fuient
Loin de cette vilenie
Il n’y a plus dans ces camps,
Un gramme de liberté,
Un gramme d’humanité…

Et je t’écris cette lettre
De Mauthausen, elle t’arrive,
Comme si c’était mon âme,
Comme une voix angélique…

Tu ne sais pas comme
Comme ici l’existence est rude,
Comme la nuit est froide,
Comme l’espérance est brève,
Comme le vide vient vite.
Esclave d’un régime
Aux idées qui ne sont pas les miennes
De folie, de barbaries,
De fours, de gaz, de fusils et ainsi de suite.

Des hommes blessés dans leur cœur
Au plus profond de leur être intérieur,
Des gens qui malheureusement,
Resteront marqués ce moment,
Par un sort secret injustement.

Et je t’écris cette lettre de là.
Qui sait l’effet qu’elle fera ?
Essaye un peu d’imaginer cela
Cette rage qui s’est insinuée en moi…

Des gens sans patrie
Abandonnés dans un chalet, laissés là
À pourrir inconnus, oubliés
À chercher des réponses infinies
Continuant à se demander : « pourquoi ? »

Moi, je ne resterai pas, non
Muet dans cette horreur, non,
J’aurai le courage, sûrement
De m’enfuir et celui
De sauver ceux qui sont dedans
Seulement par folie…

mardi 19 avril 2016

TRANSPORT

TRANSPORT


Version française – TRANSPORT – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson allemande – TransportManfred Greiffenhagen – 1944
Composée pendant son séjour à Theresienstadt,
Texte de Manfred Greiffenhagen.




Theresienstadt-Auschwitz



Manfred Greiffenhagen (1896-1945), carbarettiste berlinois, juif allemand, comme la majorité des Juifs prisonniers à Theresienstadt (dont environ 145.000 sont morts : 35.000 sur place et 90.000 en divers camps d’extermination), fut transféré à Auschwitz par un des derniers « transport ». Il mourut – assassinéau camp de Dachau en janvier 1945.




Après un dur affrontement avec les éléments
L’esprit humain a remporté une fière victoire.
En reliant les continents
On n’a pas seulement aboli les distances.
On a confronté les forces par la concurrence
On exporte et on voyage d’un pays à l’autre,
Et n’ont pas seulement fleuri les affaires,
On se rapproche et on se congratule.
Transport, transport
De port à port,
Les véhicules, se déplacent sans arrêt,
Sans répit, de l’ouest à l’est,
Du sud au nord.
Transport.

Le monde brûle, flambent les flammes,
La Terre s’éclaire d’une lueur macabre,
Craquant, elle s’effondre dans la fumée et les braises,
La Terre dont l’homme a fait son monde.
À quoi donc peut servir à la paix,
Maintenant qu’on consacre la force à la destruction,
À la lutte de vitesse entre les hommes et les machines
La guerre engendre plus de transport encore.
Transport, transport
Sur de longues distances,
Les wagons roulent, tonnent et portent
Des armées par millions d’une mer à l’autre,
Performance record !
Transport.

Combien de fois, on a eu le mot à la bouche.
Combien on l’a évoqué avec inconscience,
Jusqu’à ce que pour tous, l’heure grave venue
Nous saisissions là son vrai sens .
On roule les couvertures, quelques baisers de départ,
Une poignée de main rapide, un dernier regard,
Un train prêt à partir attend dans le petit jour,
Et des rails vides attendent notre retour.
Connais-tu le mot, transport ? Transport ?
Connais-tu les wagons, écoute, une voix se plaint.
Tu comprends subitement, on siffle la fin,
Et ils sont loin.
Transport.


Mais nous reste, nous reste jusqu’à la mort,
Le goût de vivre chevillé au corps.
Tout est alors pour nous épisode,
Et alors, alors la guerre finira.
Nous ne cherchons ni victoire ni défaite,
Nous demandons seulement, quand chez nous, on rentrera ?
Nous les Juifs, nous voulons la paix quotidienne
Et un modeste bonheur nous suffira.
Transport, transport
Sonne alors immédiatement !
Frères et sœurs, on reverra
À nouveau réunis, riant et pleurant
Se tombent dans les bras.
Transport ! !



dimanche 17 avril 2016

ZOMBIES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS !


ZOMBIES DE TOUS LES PAYS, 

UNISSEZ-VOUS !

Version française – ZOMBIES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS ! – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson italienne – Zombie di tutto il mondo unitevi – Gianfranco Manfredi – 1977
Avec Ricky Gianco





Dialogue maïeutique


Ah, Lucien l’âne mon ami, je viens e faire une version française d’une canzone qui porte le titre étourdissant : « ZOMBIES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS ! », qui sans aucun doute va t’étonner ou t’enthousiasmer, je ne sais. Moi, à le lire, j’exultais autant que lorsque j’avais trouvé « Fanatiques de tous les pays, calmez-vous ! ». C’est une chanson étrange et plus étrange encore est l’histoire qu’elle raconte et la façon dont elle la raconte.


Il me semble, dit Lucien l’âne un peu pantois. Rien qu’à son titre, elle me paraît véritablement intrigante. C’est un titre qui entremêle deux mondes qui ordinairement ne se rencontrent pas : celui des zombies qui relève du fantastique et celui des prolétaires qui relève plus du politique.


Mais comme tu t’en apercevras, Lucien l’âne mon ami, il s’agit de zombies prolétaires, ce qui résout l’apparente contradiction.


Mais que peut bien être un zombie prolétaire ?, demande Lucien l’âne en tendant ses deux oreilles en points d’interrogation.


Je me suis aussi posé la question et je me suis fié à l’imagination des auteurs de la canzone pour percer cette énigme. Ce ne fut pas simple, car il m’a fallu passer au travers de la première barrière : celle de la langue. Pour cela, faisons un petit retour sur ma condition de « traducteur », qui n’est pas simple. Je tiens plus de Champollion se grattant le crâne devant les hiéroglyphes que du traducteur patenté, sorti tout droit d’études appropriées. Le traducteur « professionnel » traduit, car il connaît la langue qu’il traduit et donc, il a compris ce qu’il va traduire. Moi, je fais une version française pour comprendre ce qui est dit dans l’autre langue, dans la langue de l’auteur (ici, l’italien). Je ne comprends véritablement qu’après avoir « traduit ».


Ce sont là deux positions diamétralement opposées, dit Lucien l’âne en riant.


Je te laisse imaginer ma perplexité devant un texte aussi mystérieux.


Dès lors, Marco Valdo M.I., tu as parfaitement raison de parler de « version » ; cependant, je trouve, dit Lucien l’âne, que tu devrais préciser que c’est ta version.


Sûrement. C’est ma version et je ne conseillerais à aucun lecteur de s’y fier plus qu’elle ne le mérite. Pourtant, j’y tiens, car c’est une recréation du texte d’origine ; j’y tiens comme un artisan tient à l’objet qu’il a réalisé. Ma version est là ; on peut la lire, on peut la critiquer et pourquoi pas, la contredire.


Et c’est très bien ainsi, Marco Valdo M.I. mon ami. Maintenant, j’aimerais savoir ce que dit cette chanson bizarre.


Moi aussi ; c’était mon but. Il faut pour ça éclaircir la notion de « zombie ». De quoi s’agit ? Grosso modo, s’entend. En eux mots, les zombies sont des « morts vivants », d’allure translucide, personnages blêmes, qui ont un corps sans véritable substance ; mais ce sont aussi des « morts vivants » dans le sens populaire de personnes qui ont perdu toute énergie, dont la volonté est défaillante et qui de ce fait, sont aisément manipulées à des fins diverses, notamment politiques ; ce que sous-entend le titre « Zombies de tous les pays, unissez-vous ! », titre teinté d’ironie moqueuse lorsqu’il reprend le slogan rabâché « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » dont tant de bonnes âmes ont usé précisément pour manipuler les gens du peuple, les considérant ainsi comme des zombies. On a là une mise en abîme de la société. Mais je trouve que le mieux est de se rapporter au texte.

Ainsi soit-il ! , conclut Lucien l’âne avec le sérieux d’un officiant. C’est ce que je vais faire ; puis, nous reprendrons notre tâche et nous tisserons à nouveau le linceul de ce vieux monde zombifié, manipulé et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Au travers des murs,
Au travers des portes,
Passent les fantômes
Des personnes mortes ;
Passe le désir obscur
De zombies prolétaires
Qui seuls en silence
Font un rêve égalitaire.

Un rêve abandonné
De recomposition
Mais comment recomposer
Un baiser, une émotion ?
Un rêve de suicidé
Qui dit avoir tiré
Dans un cœur inventé ?

Au cœur de l’État
Un rêve chanta
La dernière idéologie.
Je veux sa tête,
La tête de Marie,
Marie qui n’existe pas.
C’est juste une ritournelle.
Marie n’est pas belle
Et son nom ne l’est pas.


À travers mon refus
À travers nos refus
On s’est réfugiés
Sur des mondes séparés
Pour nous communiquer
Le menu de demain
On peut seulement tenter
De faire signe avec les mains,

Faire les simagrées
D’une langue inventée
Qui n’émet pas de sons,
Qui émet seulement un souffle 
Avec l’appréhension
Qu’un intellectuel comprenne 
Le silence-même

Et veuille le faire connaître.
Il nous enlève l’envie encore
De ne rien comprendre
En revivant comme corps
Notre esprit-même. 
Comprendre
Veut dire embrasser,
Veut dire mordre,
Veut dire étrangler.

On sait que la mort
N’est pas si lointaine
C’est nous qui aimons la mort
Ce n’est pas elle qui nous appelle,
Car nous sommes les fantômes
Du fantôme d’Europe
Qui a conservé
Peu de chair et de sang
Et on l’entend soupirer

Profondément
De sa voix de basse :

Zombies du monde entier,
Unissez-vous maintenant !


De tous les marigots
De toutes les galères
En abandonnant les familles
En laissant les drapeaux
Qui veulent panser
Ces corps déchirés.
Nous, on ne les cache pas,
Ces corps cassés.
On y voit au travers et sans berlue,
On y voit loin
Par une transparence absolue
Que l’on touche de la main.

Une transparence qui révèle
Qu’au-delà de cette histoire
Il y en a une plus belle
Ni nostalgie, ni mémoire
Qui conservent nos portraits
De notre enfance
Jusqu’à notre première barbe
C’est l’histoire de nos secrets
L’histoire parallèle
De quand notre hiver d’antan
S’est mué en printemps.




jeudi 14 avril 2016

GUERRE À LA GUERRE


GUERRE À LA GUERRE

Version française – GUERRE À LA GUERRE – Marco Valdo M.I. – 2011
Chanson allemande – Krieg dem Kriege – Texte de Theobald Tiger, alias Kurt Tucholsky – 13-06-1919



Photographie de Ernst Friedrich


Le plus fameux poème contre la guerre de Kurt Tucholsky, qui volontairement (et pas par hasard, les deux se connaissaient et militèrent ensemble dans les rangs de l’anarchisme allemand), porte le même titre que la collection photographique de Ernst Friedrich contre les horreurs de la guerre.


« Guerre à la Guerre ! » est un titre des plus nets, des plus explicites qui soit, un cri que Theobald Tiger, alias Kurt Tucholsky lance en 1919. On l’a entendu depuis à de multiples occasions et il servira encore à l’édification des enfants et des jeunes de tous les pays.


Et ce serait une bonne chose, dit Lucien l’âne sentencieusement. Ç calmerait peut-être les ardeurs de certains ou mieux encore, les conduirait à penser le monde en des termes moins bellicistes.


Oui, un cri si généreux parle au cœur de l’humaine nation. Cependant, derrière ce presque-unanimisme pacifiste, il y a souvent une sorte de naïveté optimiste qu’il faut mettre en garde contre les retours de flammes. C’est le sens de la chanson de Theobald Tiger, alias Kurt Tucholsky ; elle est d’une lucidité décapante et en même temps, c’est un formidable appel à la volonté à la fois, individuelle (essentielle, celle-là) et collective de vraiment mettre fin à la guerre.


De quelle lucidité peut-il bien s’agir ? Comment peut-elle s’exprimer dans un contexte aussi nettement utopique ?


Reprenons : Theobald Tiger, alias Kurt Tucholsky, est évidemment d’accord pour promouvoir cette idée de Guerre à la Guerre et il le fait, mais l’autre versant de l’histoire ne lui échappe pas, celui de la réalité allemande de son temps, de 1919.
En quelques mots, l’Allemagne impériale vient de s’écrouler, la révolution qui l’a emportée s’est quasiment dissoute et va l’être plus encore, écrasée par ceux qui auraient dû être ses propres partisans et qui se proclamaient tels : les sociaux-démocrates.
Parallèlement à ça, les partisans de l’ancien régime, qui n’ont digéré ni l’effondrement de l’Empire, ni la révolution, ni la reddition militaire relèvent la tête et organisent un coup d’État permanent, un inextricable chaos afin de déstabiliser le nouvel État républicain. Pr parenthèse, ils finiront pas y passer aussi, mais plus tard. Et Theobald Tiger, alias Kurt Tucholsky, pressent – et c’est très perceptible dans la chanson – où tout cela va mener l’Allemagne. Les maîtres d’hier et jusqu’à leurs cadres subalternes sont restés en place ; ils sont partout dans le nouvel État républicain, qu’ils n’ont de cesse de détruire. C’est toute l’aventure de la République de Weimar. En somme, comme ce sera également le cas plus tard au sortir de la guerre suivante en Allemagne, mais aussi en Italie ou en France, il n’y a pas eu d’épuration, justement, car on voulait la paix et l’ordre (surtout l’ordre, d’ailleurs !), mais un ordre qui ferait barrage à tout renversement de l’ordre établi. Il y avait derrière tout ça, la grande crainte de voir finalement naître une république républicaine et antimonarchiste, qui prendrait à revers les maîtres d’hier, les héritiers de la Prusse de Bismarck et saperait les bases de leurs privilèges.


Ce Guerre à la guerre ! De Theobald Tiger, alias Kurt Tucholsky, est un chant assez désespéré, un appel à faire barrage à la démence militariste renaissante, mais au fond il sait déjà ce qu’il en sera. C’est un peu une « vox clamans in deserto », un chant de Cassandre et cette sinistre prédiction sous-jacente à son propos va effectivement se réaliser et pire encore que ce qu’il craignait. Kurt Tucholsky, alias Theobald Tiger, finira une quinzaine d’années plus tard par se suicider d’épuisement et de désespoir.


Moi, dit Lucien l’âne pensif, pour conclure, je resituerais cette chanson et les perspectives qu’elle évoque dans le cadre de la Guerre de Cent Mille Ans  que les riches et les puissants font contre les pauvres afin de conserver leur pouvoir et leurs richesses, d’assurer et d’étendre leur domination, d’accroître leurs privilèges, de renforcer l’exploitation et de multiplier leurs profits. Ainsi conçue, la Guerre à la guerre a un but très clair et ne pourra aboutir que du jour où les humains auront définitivement et volontairement abandonné leur penchant à l’avidité, leur goût de l’arrogance et leur attrait pour l’ambition. Évidemment, c’est là un programme apparemment des plus irréalistes, mais c’est le seul possible. Alors pour y contribuer dès maintenant, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde belliqueux, ambitieux, avide, envieux, fat et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



Dans les tranchées, vous avez été quatre ans
Du temps, tant de temps !
Vous avez eu des poux, froid et faim
Et chez vous, une femme et deux enfants,
Loin ! Loin !
Et personne pour vous dire la vérité,
Personne pour oser la rébellion,
Mois après mois, année après année.
Et quand on était en permission
On voyait à l’arrière ces grosses panses
Se rouler dans la goinfrerie et la danse
Et suer le marché noir et la cupidité.
Et la horde des écrivassiers panallemands gueuler :
« Guerre ! Guerre !
Grande Victoire !
Victoire en Albanie et victoire en Flandres »

Et meurent les autres, les autres, les autres !
Devant, les camarades s’effondrent
Pour presque tous, c’était le sort
Blessure, souffrance de bête, mort.
Une petite tache, rouge sale
Et on t’emporte et on t’enterre
Mais qui donc sera le prochain ?
Et le cri des millions monte aux étoiles.
Les hommes apprendront-ils enfin ?
Y a-t-il une chose qui vaille la peine ?
Qui est là qui là en haut trône
Du haut en bas constellé d’Ordres
Et qui toujours commande : Tuez ! Tuez !
Sang et os broyés et pourriture...
Et alors, d’un coup, on dit que le bateau a coulé
Le capitaine a fait ses bagages
Et subitement est parti à la nage
Et les troufions restent là indécis
Pour qui tout cela ? Pour la patrie ?

Frère ! Serre le rang ! Serre !
Frère ! Cela ne doit plus jamais se produire !
On nous donne la paix du néant
Est-ce le même destin qui attend
Nos fils et nos petits-enfants ?
Répandra-t-on à nouveau le sang
Dans les fossés et sur le vert des champs ?
Frère ! Souffle quelque chose aux gars,
Cela ne doit, cela ne peut continuer comme ça.
Nous avons tous, tous vu
Dans quoi une telle folie nous a foutu.

Le feu brûle qu’on a attisé
Qu’on l’éteigne ! Les Impérialistes
Qui nichent entre eux là de l’autre côté
Nous offrent à nouveau des Nationalistes !
Et une nouvelle fois après vingt ans
Ramènent leurs nouveaux canons maintenant.
Ce n’était pas la paix des braves,
C’était de la démence
Sur le vieux volcan, la vieille danse.
Il ne faut pas tuer ! A dit un sage.
Et l’humanité entend, et l’humanité se lamente.
Y aura-t-il jamais autre chose ?
Guerre à la guerre !
Et paix sur toute la Terre !