L’Araignée
de l’Escurial
Chanson française – L’Araignée de l’Escurial – Marco Valdo M.I. – 2016
Ulenspiegel
le Gueux – 30
Opéra-récit
en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La
Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses
d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et
ailleurs (1867).
(Ulenspiegel
– I, LXXXV)
Cette
numérotation particulière : (Ulenspiegel – I,
I), signifie très exactement ceci :
Ulenspiegel :
La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses
d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs,
dans le texte de l’édition de 1867.
Le
premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman
comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre
d’où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur
vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui
ne figurent pas ici.
Philippe, plus apostolique que le pape,
Plus catholique, plus romain que les conciles,
Araignée solitaire, depuis son Escurial,
Pinces noires ouvertes, étend sa toile.
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Nous
voici, Lucien l’âne mon ami, à la trentième canzone de
l’histoire de Till le Gueux. Les vingt-neuf premières étaient, je
te le rappelle :
07. En
ce temps-là, Till [[50772]](Ulenspiegel – I, XXXIV)
08. Katheline
suppliciée [[50801]](Ulenspiegel – I, XXXVIII)
09. Till,
le roi Philippe et l’âne [[50826]](Ulenspiegel – I,
XXXIX)
10. La
Cigogne et la Prostituée [[50862]](Ulenspiegel – I, LI)
12. La
messe du Pape, le pardon de Till et les florins de
l’Hôtesse [[50939]](Ulenspiegel – I, LIII)
13. Indulgence [[51015]] (Ulenspiegel
– I, LIV)
15. Vois-tu
jusque Bruxelles ? [[51124]] (Ulenspiegel – I,
LVIII)
16. Lamentation
de Nelle, la mule et la résurrection [[51150]] (Ulenspiegel
– I, LXVIII)
17. Hérétique
le Bonhomme [[51196]] (Ulenspiegel – I, LXIX)
23. Charles
et Claes [[51454]] (Ulenspiegel – I, LXXIX)
24. Trois
cents ans de torture [[51457]] (Ulenspiegel – I,
LXXIX)
25. Au
bord du canal [[51479]] (Ulenspiegel – I, LXXXIV)
26. Le
Géant Hiver [[51532]] (Ulenspiegel – I, LXXXV)
27. Le
Roi Printemps [[51540]] (Ulenspiegel – I, LXXXV)
28. Le
Printemps [[51543]] (Ulenspiegel – I, LXXXV)
29. Vengeance
et Mort – Till et Nelle (4) [[51546]] (Ulenspiegel – I,
LXXXV)
Je
sais, je sais, Lucien l’âne mon ami, ce que tu vas immanquablement
me dire et me demander. Tu vas trouver ce titre « L’Araignée
de l’Escurial » fort énigmatique et tu vas me demander de te
l’expliquer.
Évidemment,
je ne peux faire autrement que te tendre la perche. En somme, c’est
le rôle du faire-valoir et ici, à ce moment de notre dialogue
maïeutique – encore une de tes belles trouvailles – le
faire-valoir, ici, c’est moi. Donc, je te dis que ce titre
énigmatique est fort étrange et demande une explication. Tu
remarqueras cependant que c’est le titre qui demande une
explication et pas moi.
Maintenant
que la perche est tendue, j’en profite pour répondre à la demande
et expliquer cette Araignée de l’Escurial. Mais allons-y pas à
pas. Donc, en premier, l’araignée est cet animal arthropode,
si je ne me trompe ; du moins, l’araignée commune. Pas celle
de la chanson, qui elle est un homme, comme on le verra plus loin.
Donc, l’araignée est cet animal qui tisse sa toile pour y
(notamment) capturer d’autres insectes et les dévorer. À
proprement parler, elle ne dévore pas ; elle dissout
et puis, elle suce sa proie, tout simplement, car elle ne peut
mastiquer. Puis, il y a l’Escurial.
Ah !
L’Escurial, celui-là, je le connais. C’est un grand bâtiment,
une série de bâtiments qui servaient de palais royal, de monastère,
de basilique et de cimetière pour les monarques espagnols. Je me
souviens même du temps où il n’était pas là, du temps où il
n’avait pas encore été construit. J’y étais passé du temps de
Don Quichotte, de ce temps où j’accompagnai le Chevalier au plat à
barbe.
C’est
bien celui-là. Et c’est Philippe – celui dont parle la canzone –
qui l’avait fait bâtir. Il avait fallu plus de vingt ans pour le
terminer. C’est dans ce palais que Philippe va se retirer. Et
l’Araignée dont il est question dans la chanson, c’est lui.
Voilà
donc le mystère du titre éclairci. Pour le reste, que raconte cette
chanson ?
C’est
en fait une sorte de portrait de Philippe ; pas un portrait
physique, mais un portrait « moral », une description de
son caractère, plus exactement de sa façon de penser, une évocation
de ses ruminations assassines. En fait, c’est un moment de mise au
point dans le récit qui reprend en ce début du Livre Deux de la
Légende. C’est un texte central dans la démonstration de Charles
De Coster. Philippe est l’incarnation du pouvoir et de
l’intolérance religieuse. Oh, Philippe n’est pas le seul tyran
de son époque et l’intolérance et la dictature religieuses
faisaient florès des deux côtés de la Réforme et de la
Contre-Réforme.
Oh,
dit Lucien l’âne sérieux comme un âne, la terreur a toujours été
l’arme de la mauvaise foi.
Certainement,
mais à ce stade du récit, ici et maintenant, il s’agit de montrer
celui qui représente tout ce que Till le Gueux va combattre et aussi
de faire l’inventaire des raisons qui vont pousser les Gueux au
combat contre l’intolérance religieuse et pour la liberté de
conscience. Mais l’affaire va bien au-delà ; à la longue,
cette lutte, qui se poursuit encore aujourd’hui, va promouvoir la
libre pensée (libre de tout dogme – religieux ou non) et plus loin
encore, la liberté de l’humaine nation et de l’individu face à
tout pouvoir. La chanson se conclut d’ailleurs sur cette phrase
lumineuse :
« Alors
s’embrasent les feux de la résistance. »
Ce
qui est assez proche, me semble-t-il, de notre motif : « Ora
e sempre : resistenza ! »,
dit Lucien l’âne en clignant de ses yeux noirs de basalte. C’est
quand même une chose curieuse que tu nous fais faire que ces
chansons mises bout à bout qui racontent une si longue histoire et
suscitent tant de réflexions.
D’ailleurs,
il me faut te faire ici une confidence. Souvent quand je rencontre
des gens, ils m’interrogent à propos des chansons, du genre de
chansons que nous faisons ; ils veulent savoir combien il y en
a ; ils sont très étonnés de ce que je leur réponds et
certains même disent que ce ne sont pas là des chansons. Il m’est
aisé de les détromper et de leur montrer chanson de Roland à
l’appui ou à l’aide de la complainte des fileuses de Chrétien
de Troyes, ce qu’est réellement la chanson et combien ils sont
abusés par les marchands et leurs produits chansonniers mercantiles,
écrasés, compactés, formatés, bref, totalement créés pour être
vendus. J’imagine que tu sais tout cela et ceux qui s’intéressent
à nous jusqu’à nous lire le savent aussi.
Mais
à présent, je m’en vais, je m’en vais, car il nous faut
reprendre notre tâche et tisser, inlassablement tels d’inconnus
canuts, le linceul de ce vieux monde béni oui-oui, intolérant,
obéissant, croyant et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Philippe
le roi morne
Paperasse
sans relâche
Il
barbouille papiers et parchemins
De
ses tortueuses pensées de souverain.
Philippe
n’aime personne et pire
Personne
ne l’aime.
Il
porte seul tout son empire
Et
sous le poids du fardeau, la tête s’incline.
Philippe,
roi triste, froid, sec, dur rumine
Détestant
même jusqu’au visage du bonheur.
Philippe
dort mal et le travail le mine.
Son
corps faible s’use sous l’effet de langueur.
Philippe
tient en haine la gaieté
En
haine aussi le libre parler.
La
révolte contre l’Église romaine
Par
mille sectes pique sa folle haine.
Philippe
tourmenté du désir superbe
De
tenir Sa Sainte Mère l’Église vierge
De
changement : une, entière, universelle,
Confirme
à tous sa vérité éternelle.
Philippe,
plus apostolique que le pape,
Plus
catholique, plus romain que les conciles,
Araignée
solitaire, depuis son Escurial,
Pinces
noires ouvertes, étend sa toile.
Sous
son père, l’Inquisition par le bûcher,
Par
la fosse, par la corde avait tué
Cent
mille chrétiens, sans même compter les impies
Et
rincé leurs biens comme lave la pluie.
Philippe
dit : ça ne rapporte pas assez.
Il
impose de nouveaux évêques,
Il
importe une Inquisition plus ibérique,
Ainsi
s’affirme son intangible volonté.
Au
son de trompes et de tambourins,
Les hérauts lisent à tous les coins
Les hérauts lisent à tous les coins
Les
royaux placards terribles et angoissants,
Portant
la sainte terreur chez les habitants.
Philippe,
pour les hérétiques, décrète
Aux
hommes et aux garçons : le feu ou la corde.
Enterrer
vives et piétiner : femmes et filles
Alors
s’embrasent les feux de la résistance.