samedi 22 juin 2019

À CET HOMME

À CET HOMME




Version française – À CET HOMME – Marco Valdo M.I. – 2019
d’après la traduction italienne de Riccardo Venturi, 19-06-2019 22:29
Chanson italienne (Lombardo Milanese) – A quel ommIvan Della Mea – 1965

Paroles et musique : Omicron (Ernesto Esposito)Della Mea







Un garçon prolétaire dans le Milan des années 50, et un homme solitaire qui marche dans la nuit pâle et étrange. Ce garçon s’appelait Ivan Della Mea, et cet homme, dont il ne savait pas qui il était, était Elio Vittorini. Il vivait Viale Gorizia, pas loin du garçon. Une histoire simple et un souvenir de ce garçon qui, en 1966, écrivait déjà des chansons comme celle-ci, dans son milanais, dans lequel lui, un Toscan de naissance, s’était immergé jusqu’à la moelle. Il marchait seul absorbé dans ses pensées, on peut s’imaginer dans la brume classique sur les naviles (mais ce fut aussi les nuits d’été claires, c’eût été pareil), et le garçon se demandait qui c’était, ce qu’il pensait, quelle était sa vie, à cette époque « Quand les vivants dorment, rêvent tranquilles et ceux qui sont morts par les rues rôdent. » Un souvenir qu’Ivan Della Mea a transcrit dans ce chef-d’œuvre de ses vingt-cinq ans, alors qu’il savait désormais qui était cet homme qui s’apprêtait à mourir (Elio Vittorini, malade du cancer, disparut dans sa maison du Viale Gorizia le 12 février 1966). Ivan Della Mea a donc voulu se souvenir de ces rencontres de fantômes dans la nuit ; la chanson est de 1965, mais elle fut publiée dans l’album « Io so che un giorno l’anno successivo ». Il prend ainsi la valeur d’un hommage posthume au grand écrivain et intellectuel syracusain, transplanté à Milan. Une histoire de transplantés dans la nuit, le garçon toscan et l’homme sicilien, sans paroles, sans regards, sans un signe de tête ; une histoire de solitude et de questions. Le communiste Della Mea, qui dans l’obscurité, évoque l’intellectuel tourmenté et solitaire à l’histoire et la vie complexes, le jeune Elio , « fasciste de gauche », mari de la sœur de Salvatore Quasimodo, qui en 1936 a encouragé les fascistes italiens à se ranger du côté des Républicains contre Franco (ce pourquoi il fut immédiatement exclu du parti fasciste), le libertaire spontanéiste ultérieur qui a soutenu Camillo Berneri (à son tour un anarchiste très particulier, et probablement le seul du genre), le participant (en 1942) à la conférence des intellectuels nazis à Weimar, promue par Joseph Goebbels, et qui la même année, cependant, a rejoint le Parti communiste italien (PCI) clandestin participant activement dans la résistance anti-fasciste. Le communiste libertaire déçu qui rejoignit les positions de Jean-Paul Sartre, déclarant échouées les cultures antifascistes qui n’ont pas su prévenir les catastrophes de la Seconde Guerre mondiale ; la rupture avec Palmiro Togliatti, le détachement du PCI après la révolution hongroise de 1956, l’arrivée chez Einaudi avec la codirection du Menabò avec Italo Calvino et enfin, la présidence du parti radical. Un Della Mea, dont la maison fut toute sa vie le PCI – Parti Communiste Italien – (mais une maison difficile, une maison de fuites, de haine et d’amour, une maison de refus et de malentendus, une maison qu’Ivan habita jusqu’à la fin, même si ce fut sous un nom différent), voulait avec cette chanson extrême se questionner sur un personnage comme Elio Vittorini en s’attachant au souvenir personnel des nuits solitaires et d’errance et au moment même Elio Vittorini se prépare à devenir un fantôme pour de vrai. C’est en même temps, un texte d’éloignement et, en même temps, d’identification. Bien qu’il savait désormais qui il rencontrait ces nuits sur les naviles, Ivan Della Mea a dit qu’il ne connaissait même pas leur nom pour l’instant. À ce « morceau de silence », il dit qu’il était là maintenant, seul, sur ces naviles dans la nuit, et qu’il ne savait pas ce que signifiait ce qu’il écrivait. Mais il y avait un sens très élevé à cela : la rencontre de deux ombres et de deux vies, et les questions qui s’ensuivent. Et qui sait si, à la fin, ils ne se sont pas rencontrés, Ivan et Elio, sur un navile insondable dans le Vaste Rien. [RV]






À cet homme que je rencontrais la nuit.
Dans le viale Gorizia, là, sur le navile
Quand les vivants dorment, rêvent tranquilles
Et ceux qui sont morts par les rues rôdent .


À cet homme, mais c’était peut-être une tache.
Qui se formait sur l’asphalte de la rue
Avec une face un peu jaune et bizarre,
Avec les yeux un peu fatigués, un peu mornes.


À cet homme, mais étais-tu un homme,
Quatre chiffons, un peu d’ombre, rien d’autre.
Pas Walter, ni Giovanni ou Gaston
Et même à présent, je ne connais pas ton nom.


À cet homme, à ce morceau de silence,
À la nuit, et à lui aussi, je voudrais dire :
Je suis seul dans ce viale
Et je ne sais pas si ces choses ont un sens.