Version
française – LES MURS – Marco Valdo M.I. – 2018
d’après
la traduction italienne – MURI – Flavio Poltronieri – 2018
de
la chanson turque – Duvarlar
– Zülfü
Livaneli – 1994
Paroles
et musique : Zülfü Livaneli
Sais-tu, Lucien l’âne
mon ami, qui est Zülfü Livaneli ?
Oh, dit Lucien l’âne,
moi, tout ce que j’en sais, c’est de l’avoir rencontré, il y a
bien des années quand il menait aux côtés de Mikis Théodorakis,
le combat pour établir une double voie d’amitié entre les Grecs
et les Turcs. C’était au siècle dernier ; il y a maintenant
plus de trente ans. Et de façon évidente, ce n’est pas gagné,
surtout avec le régime actuellement au pouvoir en Turquie, qui me
paraît par trop nationaliste, inféodé à une religion
particulièrement intolérante, dictatorial, xénophobe et pour tout
dire, assez fasciste dans son développement. C’est embêtant pour
ce beau pays qui fut – un temps – une vraie république laïque,
pour ne pas dire débarrassée de Dieu, qui prisait assez la liberté
de ses citoyens. À présent, on en est loin. Et son évolution a de
quoi inquiéter ses voisins, dont nous sommes.
Pour en revenir à ma
question et à l’artiste Livaneli, reprend Marco Valdo M.I., tu
sais sans doute aussi qu’il est un chanteur et un musicien, très
renommé en son pays, mais également sur la scène internationale.
Mais, sais-tu également qu’il s’agit d’un romancier de renom,
un journaliste, un cinéaste et sans doute, a-t-il d’autres faces
de sa créativité comme la poésie. Bref, il s’agit d’un artiste
polyédrique, diraient nos amis italiens ; ce que je traduirai à
l’usage des locuteurs de langue française, par artiste polymorphe
ou protéiforme ; d’autres diraient qu’il a de multiples
cordes à sa lyre. Pour ce que j’en sais, on dit de lui que c’est
un artiste antidogmatique, ce qui dans la Turquie d’aujourd’hui,
celle du caudillo Erdogan, est très périculeux. Je dis tout cela,
car il s’agit de l’auteur, du compositeur et de l’interprète
de la chanson.
Au fait, Marco Valdo M.I.
mon ami, que dit-elle cette chanson ?
Le fait qu’elle
s’intitule « LES MURS » donne déjà une indication.
Comme on peut le voir dès les premiers mots, elle s’élève contre
les murs, elle appelle à les détruire, à les abattre. Reste à
savoir de quels murs, il s’agit, mais il n’est pas très
difficile de comprendre qu’il s’agit pour l’essentiel des murs
en tant que barrières, en tant qu’obstacles mis sur la route des
populations et de la liberté des gens. Il en est de physiques, il en
est qui sont faits d’interdits édictés au nom d’une idéologie,
d’une religion, d’une nation. Toutes choses qui, comme tu le
penses, sont détestables. Enfin, j’ajouterais volontiers que cette
chanson si elle vise la situation en Turquie – elle visait en
réalité une situation plus ancienne, mais elle a encore plus de
pertinence aujourd’hui –, si par sa langue, elle s’adresse aux
Turcophones et principalement, aux gens de Turquie, elle n’en a pas
moins une portée générale comme, par exemple, en avaient aussi les
chansons L’autre
Côté du Mur et Les
Murs de Pékin.
Dis-moi, Marco Valdo M.I.,
pourrais-tu préciser un peu le cheminement politique de Livaneli par
rapport à ce qui se passe actuellement en Turquie ?
Je vais essayer, Lucien
l’âne mon ami, mais ce sera fort général, pour la simple raison
que je n’ai pas d’informations récentes quant à ce que pense ou
ce que devient Livaneli.
Cependant, comme je l’ai
déjà laissé entendre, ce n’est pas un partisan du régime actuel
et de ce que j’en sais, il s’était déjà insurgé très
fortement contre la nomination d’Erdogan au poste de Premier
Ministre et il a amèrement et violemment reproché au chef du Parti
républicain CHP, dont il était un membre influent, d’avoir tout
fait pour permettre à Erdogan, chef du parti nationaliste musulman
AKP, à qui était interdit l’accès à cette fonction, de devenir
« Premier ministre sans être député ». C’était en
décembre 2002 (depuis le dénommé Erdogan s’est fait
bombarder Président). Cette véritable trahison, qui s’apparente à
un coup d’État feutré, et ses suites désastreuses ont conduit à
ce qu’on connaît aujourd’hui : un plongeon dans
l’obscurantisme et la barbarie. Livaneli disait dans sa lettre
adressée au président du parti (je reprends cette citation d’un
article publié en 2007 sur le site
KABA) : « Erdoğan n’est pas n’importe qui, c’est
l’homme politique que tous les ordres religieux réunis ont choisi
pour remplacer Erbakan, il a pour lui le soutien des États-Unis et
de l’Europe. Son projet est de faire de la Turquie une République
islamique modérée. Cela ne va pas durer deux mois comme vous le
dites, au contraire, il va ruiner la vie politique de tous ceux qui
se trouvent dans cette pièce. » Au-delà, on trouve des traces
de l’artiste au travers de concerts ou de comptes-rendus de ses
romans. Mais je n’ai plus trouvé de traces actuelles, ce qui ne
laisse pas de m’inquiéter, si l’on songe au sort que ce régime
réserve à ses opposants et les méthodes d’intervention qu’il
utilise contre ces derniers.
Oh, dit Lucien l’âne en
relevant le front, je pense qu’on finira par savoir quelque chose
et pour ce qui est du régime en place à Ankara, il ne faut pas se
leurrer : c’est une dictature brutale et belliciste,
ethnocidaire vis-à-vis des Kurdes notamment. En Turquie, ce n’est
pas un coup d’essai ; il y a eu le précédent du génocide
des Arméniens. Il y a là une tradition nauséabonde, que comme la
chanson le montre, certains Turcs tentent de renverser. Mais tu as
raison, il y a de quoi s’inquiéter, pour tous ceux qui vivent dans
l’orbe turc, mais aussi pour tous les voisins du Moyen-Orient,
Europe y comprise, car la Turquie est un grand pays de plus de 80
millions d’habitants, dispose d’une armée importante et d’une
relative puissance économique.
Que faire ?, dit Marco
Valdo M.I., face à un pareil État autoritaire, qui massacre ses
propres populations ? Certains avancent l’idée qu’un
boycott de la Turquie, à commencer par le secteur touristique,
pourrait avoir un certain effet sur l’évolution des choses. C’est
à voir et probablement, à tenter.
Oui, dit Lucien l’âne,
faut voir. Quant à nous, il nous faut reprendre notre tâche qui
consiste à tisser encore et toujours le linceul de ce vieux monde
impuissant, velléitaire, impotent et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo
M.I. et Lucien Lane
Prenez d’assaut les murs,
Détruisez-les tous !
Assez de velléités,
Assez de divisions !
Abattez les murs,
Démolissez-les tous !
À bas les tyrannies,
Il suffit de chansons comme celle-ci !
Abattez les murs !
Le béton en cendres !
Marre des frontières,
Assez de guerres !
Abattez les murs,
Démolissez-les tous !
À bas les tyrannies,
Il suffit de chansons comme celle-ci !