ON
A JOUÉ GUILLAUME TELL
Version
française – ON A JOUÉ GUILLAUME TELL – Marco
Valdo M.I. – 2016 (nouvelle version)
Chanson
suisse en Schwyzertüütsch
– Si
her dr Wilhälm Täll ufgfüert – Mani
Matter –
1966
Il
te souviendra, Lucien l’âne
mon ami, que j’avais antérieurement proposé une version française
de cette chanson de Mani Matter; remettant de l’ordre dans mes
chansons en vue de l’édition des Rêves, j’ai retrouvé
l’ancienne version et je me suis décidé à en tenter une
nouvelle.
C’est
toujours ainsi avec les traducteurs et les recréateurs de textes
poétiques. Ils veulent toujours améliorer leurs textes, Marco Valdo
M.I. mon ami. Et toi, tu fais pareil et c’est fort bien. On a deux
versions pour le prix d’une, du coup.
Il
te souviendra aussi, Lucien l’âne mon ami, qu’on avait déjà
rencontré à Zurich en Suisse alémanique, aux temps des
exils, Hugo Ball au Cabaret Voltaire, Erika Mann au Moulin à
Poivre, Max Werner Lenz au Cabaret Cornichon. Tous modelèrent
la forme artistique de leur époque qui jusque-là était développée
en Allemagne – principalement dans les milieux nocturnes de
Berlin et de Munich.
Après
la guerre, dans les années 50, dans
le sens contraire, Hazy Osterwald et son Sextett venaient de
Berne pour faire un tabac en Allemagne. Il accompagnait à
sa manière le Miracle économique et la conjoncture.
Cette
fois, il s’agit encore d’un chanteur, d’un artiste qui trouva à
se mettre à l’unisson de son temps.
Comme
en Allemagne avec Franz-Josef Degenhardt, en Italie avec Fabrizio De
André, Paco Ibañez en Espagne, Jacques Brel en Belgique, on
vit naître en Europe des chanteurs à texte à la suite de Georges
Brassens en France, apparut en Suisse
alémanique Mani Matter.
Juriste,
comme Franz-Josef Degenhardt, Mani Matter va rapidement construire
son propre langage et adapter la forme à une manière de récit
aux accents particuliers.
Certes,
dit Lucien l’âne en ouvrant grand les yeux et les oreilles. Mais
encore ? Parle-moi de Mani Matter, que j’avais bien croisé
sur un chemin alpin, un soir d’été et de villégiature ;
mais nous n’avions pas eu le temps de faire beaucoup
connaissance ; il passait à toute allure en automobile. On
ne nous avait même pas présentés l’un à l’autre ; et
puis, maintenant que j’y pense, avec le recul, il aurait
mieux été inspiré de se déplacer à dos d’âne ; je
l’aurais volontiers porté. J’aurais dû insister, mais
pouvais-je savoir que je serais amené à en parler ici avec toi ?
Eh
bien, répond Marco Valdo M.I., allons-y dans l’ordre et la
discipline et prenons tes questions à la queue leu-leu, comme elles
sont venues. Donc, je reviens à
Mani Matter – vois
comme la chanson est quelquefois prémonitoire, dont
une des compositions les plus
connues fut « Appréhensions ».
Oui,
dit Lucien l’âne, et alors ? Appréhensions ? Tout
le monde peut avoir des appréhensions et puis, qu’est-ce que ça
veut dire exactement Appréhensions ?
Voyons
ça. Appréhensions, dit Marco Valdo M.I.
très souriant, a un double sens ; le second sens dérivant
du premier. Le premier veut dire en gros, compréhension anticipée
et le second, marquant un penchant au pessimisme, signifie un
ressenti anticipé d’événements fâcheux. Dans le cas de la
chanson de Mani Matter, on peut tout à fait parler
d’appréhensions, lui qui mourut à 36 ans d’un accident
automobile. Maintenant, au départ, Mani Matter – de
son nom de ville : Hans-Peter Matter, dans
ses loisirs, était un joyeux
troubadour bernois et exerçait ses talents professionnels comme
juriste à la Ville de Berne, jusqu’au jour où le démon de la
chanson l’emporta. La particularité de Mani Matter, c’est
qu’il a écrit et chanté tout
son répertoire en « Schwyzertüütsch »,
plus éloigné de l’allemand courant que
l’italien ne l’est du suédois et encore, ce devait être du
Bärndütsch (bernois) et
non du Zuritüütsch (Zurichois) ; ce
qui lui a assuré longtemps une relative célébrité alémanique.
Cela dit, Mani Matter ne manquait
ni d’humour, ni d’espièglerie.
Oui,
mais qu’en est-il de la chanson ?, insiste Lucien l’âne.
J’aimerais quand même savoir ce qu’elle raconte.
Sans
doute, Lucien l’âne mon ami, toi qui as tant voyagé et qui est
passé souvent au travers des Alpes connais-tu la légende suisse de
Guillaume Tell, le mythe fondateur de ce pays si sourcilleux et tout
aussi légendairement, calme et ordonné. L’exploit de l’archer
ou de l’arbalétrier Guillaume Tell qui symbolise par son
geste – il tira une flèche dans la pomme posée sur la tête de
son propre fils, la résistance et la finale victoire des Suisses sur
l’occupant autrichien. C’est là, comme toutes les légendes
fondatrices une chose quasi-sacrée, dont il est malvenu de rire et
de se moquer. Cet exploit héroïque fut pour l’écrivain et
dramaturge allemand Schiller, l’occasion d’écrire un morceau de
bravoure et sa pièce devint une célébration de la Suisse jusque
dans les villages les plus reculés des cantons les plus montagneux.
Et la chanson de Mani Matter, à cet égard, est véritablement
sacrilège. Elle raconte une représentation dans un village qui
tourne finalement au pugilat et ensuite, à l’émeute locale après
une série d’épisodes comiques dignes de Spike-Jones ou des
Monty-Pythons. Cette aventure a été reprise par un théâtre, par
le « Theater am Tatort » (Théâtre sur le Lieu du
crime), bagarre comprise. Mais c’était bien des années plus tard.
Pour les détails, voir la chanson de Mani Matter.
Eh
bien, dit Lucien l’âne, voyons-la
et puis, reprenons notre tâche qui, je le rappelle, est de tisser le
linceul de ce vieux monde querelleur, conformiste, héroïque,
patriotique et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Au
« Lion » de Nottiswil, on jouait le Guillaume
Tell de Schiller.
Il y avait foule : la moitié du village sur la scène s’activait,
L’autre moitié dans la salle, devant de grandes bières,
Bon public, regardait et écoutait ce qui se passait.
Il y avait foule : la moitié du village sur la scène s’activait,
L’autre moitié dans la salle, devant de grandes bières,
Bon public, regardait et écoutait ce qui se passait.
Au
début, dans le rôle de la femme
de Stauffacher,
La
pasteure débitait son texte au tailleur
Émue,
elle omit certaine réplique et sans cœur,
L’artisan
lui reprocha cet oubli. Ainsi,
commença l’affaire.
À
l’instant crucial de la pomme, le fils
de l’instituteur qui
jouait Tell,
Pose à
son père d’assommantes questions, alors un garde
– un effet de l’alcool ?
Si fort que
tout le monde l’entend, le héros interpelle :
Cet
enfant n’a-t-il donc rien appris à l’école ?
Furieux,
un ami de Tell, un gars d’Altdorf, le frappe à la figure,
Et
le garde, sans réfléchir, immédiatement enchaîne
Et
leste, lui flanque un coup de pied au ventre ;
Accourt tout
le peuple d’Uri et la bagarre se déchaîne.
Les
uns, pour l’Autriche, prennent le parti du garde ;
Les autres, d’Altdorf, celui de Tell : on se cogne sans remords
Avec les épées de carton, avec les décors, avec les hallebardes,
Tell tombe sur Gessler, toute la salle s’en mêle alors.
Les autres, d’Altdorf, celui de Tell : on se cogne sans remords
Avec les épées de carton, avec les décors, avec les hallebardes,
Tell tombe sur Gessler, toute la salle s’en mêle alors.
La colère éclate, les verres volent, en un instant.
Au
sang se mêle la bière, on brise les tables et les bancs.
L’aubergiste
s’arrache les cheveux, sa femme compte les dégâts.
L’affaire
dure deux heures, l’Autriche l’a dans le baba.
Dans
un style hautement naturaliste et avec tant et tant de bières.
L’assurance
a payé – et moi, j’ai appris,
Comment
dans ce petit pays d’Uri,
On
gagne la liberté,
Quand
on se bat comme ça.
On
gagne la liberté,
Quand
on se bat comme ça !