mercredi 9 novembre 2016

ON A JOUÉ GUILLAUME TELL


ON A JOUÉ GUILLAUME TELL

Version française – ON A JOUÉ GUILLAUME TELL – Marco Valdo M.I. – 2016 (nouvelle version)
Chanson suisse en Schwyzertüütsch Si her dr Wilhälm Täll ufgfüert – Mani Matter – 1966 





Il te souviendra, Lucien l’âne mon ami, que j’avais antérieurement proposé une version française de cette chanson de Mani Matter; remettant de l’ordre dans mes chansons en vue de l’édition des Rêves, j’ai retrouvé l’ancienne version et je me suis décidé à en tenter une nouvelle.

C’est toujours ainsi avec les traducteurs et les recréateurs de textes poétiques. Ils veulent toujours améliorer leurs textes, Marco Valdo M.I. mon ami. Et toi, tu fais pareil et c’est fort bien. On a deux versions pour le prix d’une, du coup.

Il te souviendra aussi, Lucien l’âne mon ami, qu’on avait déjà rencontré à Zurich en Suisse alémanique, aux temps des exils, Hugo Ball au Cabaret Voltaire, Erika Mann au Moulin à Poivre, Max Werner Lenz au Cabaret Cornichon. Tous modelèrent la forme artistique de leur époque qui jusque-là était développée en Allemagne – principalement dans les milieux nocturnes de Berlin et de Munich.
Après la guerre, dans les années 50, dans le sens contraire, Hazy Osterwald et son Sextett venaient de Berne pour faire un tabac en Allemagne. Il accompagnait à sa manière le Miracle économique et la conjoncture.
Cette fois, il s’agit encore d’un chanteur, d’un artiste qui trouva à se mettre à l’unisson de son temps.
Comme en Allemagne avec Franz-Josef Degenhardt, en Italie avec Fabrizio De André, Paco Ibañez en Espagne, Jacques Brel en Belgique, on vit naître en Europe des chanteurs à texte à la suite de Georges Brassens en France, apparut en Suisse alémanique Mani Matter.
Juriste, comme Franz-Josef Degenhardt, Mani Matter va rapidement construire son propre langage et adapter la forme à une manière de récit aux accents particuliers.

Certes, dit Lucien l’âne en ouvrant grand les yeux et les oreilles. Mais encore ? Parle-moi de Mani Matter, que j’avais bien croisé sur un chemin alpin, un soir d’été et de villégiature ; mais nous n’avions pas eu le temps de faire beaucoup connaissance ; il passait à toute allure en automobile. On ne nous avait même pas présentés l’un à l’autre ; et puis, maintenant que j’y pense, avec le recul, il aurait mieux été inspiré de se déplacer à dos d’âne ; je l’aurais volontiers porté. J’aurais dû insister, mais pouvais-je savoir que je serais amené à en parler ici avec toi ?

Eh bien, répond Marco Valdo M.I., allons-y dans l’ordre et la discipline et prenons tes questions à la queue leu-leu, comme elles sont venues. Donc, je reviens à Mani Matter – vois comme la chanson est quelquefois prémonitoire, dont une des compositions les plus connues fut « Appréhensions ».

Oui, dit Lucien l’âne, et alors ? Appréhensions ? Tout le monde peut avoir des appréhensions et puis, qu’est-ce que ça veut dire exactement Appréhensions ?

Voyons ça. Appréhensions, dit Marco Valdo M.I. très souriant, a un double sens ; le second sens dérivant du premier. Le premier veut dire en gros, compréhension anticipée et le second, marquant un penchant au pessimisme, signifie un ressenti anticipé d’événements fâcheux. Dans le cas de la chanson de Mani Matter, on peut tout à fait parler d’appréhensions, lui qui mourut à 36 ans d’un accident automobile. Maintenant, au départ, Mani Matter – de son nom de ville : Hans-Peter Matter, dans ses loisirs, était un joyeux troubadour bernois et exerçait ses talents professionnels comme juriste à la Ville de Berne, jusqu’au jour où le démon de la chanson l’emporta. La particularité de Mani Matter, c’est qu’il a écrit et chanté tout son répertoire en « Schwyzertüütsch », plus éloigné de l’allemand courant que l’italien ne l’est du suédois et encore, ce devait être du Bärndütsch (bernois) et non du Zuritüütsch (Zurichois) ; ce qui lui a assuré longtemps une relative célébrité alémanique. Cela dit, Mani Matter ne manquait ni d’humour, ni d’espièglerie.

Oui, mais qu’en est-il de la chanson ?, insiste Lucien l’âne. J’aimerais quand même savoir ce qu’elle raconte.

Sans doute, Lucien l’âne mon ami, toi qui as tant voyagé et qui est passé souvent au travers des Alpes connais-tu la légende suisse de Guillaume Tell, le mythe fondateur de ce pays si sourcilleux et tout aussi légendairement, calme et ordonné. L’exploit de l’archer ou de l’arbalétrier Guillaume Tell qui symbolise par son geste – il tira une flèche dans la pomme posée sur la tête de son propre fils, la résistance et la finale victoire des Suisses sur l’occupant autrichien. C’est là, comme toutes les légendes fondatrices une chose quasi-sacrée, dont il est malvenu de rire et de se moquer. Cet exploit héroïque fut pour l’écrivain et dramaturge allemand Schiller, l’occasion d’écrire un morceau de bravoure et sa pièce devint une célébration de la Suisse jusque dans les villages les plus reculés des cantons les plus montagneux. Et la chanson de Mani Matter, à cet égard, est véritablement sacrilège. Elle raconte une représentation dans un village qui tourne finalement au pugilat et ensuite, à l’émeute locale après une série d’épisodes comiques dignes de Spike-Jones ou des Monty-Pythons. Cette aventure a été reprise par un théâtre, par le « Theater am Tatort » (Théâtre sur le Lieu du crime), bagarre comprise. Mais c’était bien des années plus tard. Pour les détails, voir la chanson de Mani Matter.

Eh bien, dit Lucien l’âne, voyons-la et puis, reprenons notre tâche qui, je le rappelle, est de tisser le linceul de ce vieux monde querelleur, conformiste, héroïque, patriotique et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.


Au « Lion » de Nottiswil, on jouait le Guillaume Tell de Schiller.
Il y avait foule : la moitié du village
 sur la scène s’activait,
L
autre moitié dans la salle, devant de grandes bières,
Bon
 public, regardait et écoutait ce qui se passait.
Au début, dans le rôle de la femme de Stauffacher,
La pasteure débitait son texte au tailleur
Émue, elle omit certaine réplique et sans cœur,
L’artisan lui reprocha cet oubli. Ainsi, commença l’affaire.

À l’instant crucial de la pomme, le fils de l’instituteur qui jouait Tell,
Pose à son père d’assommantes questions, alors un garde – un effet de l’alcool ?
Si fort que tout le monde l’entend, le héros interpelle :
Cet enfant n’a-t-il donc rien appris à l’école ?
Furieux, un ami de Tell, un gars d’Altdorf, le frappe à la figure,
Et le garde, sans réfléchir, immédiatement enchaîne
Et leste, lui flanque un coup de pied au ventre ;
Accourt tout le peuple d’Uri et la bagarre se déchaîne.

Les uns, pour l’Autriche, prennent le parti du garde ;
Les autres, d’Altdorf, celui de Tell : on se cogne sans remords
Avec les épées de carton, avec les décors, avec les hallebardes,
Tell tombe sur Gessler, toute la salle s’en mêle alors.

La colère éclate, les verres volent, en un instant.
Au sang se mêle la bière, on brise les tables et les bancs.
L’aubergiste s’arrache les cheveux, sa femme compte les dégâts.
L’affaire dure deux heures, l’Autriche l’a dans le baba.

Au « Lion » de Nottiswil, on a joué le Guillaume Tell de Schiller
Dans un style hautement naturaliste et avec tant et tant de bières.
L’assurance a payé – et moi, j’ai appris,
Comment dans ce petit pays d’Uri,
On gagne la liberté,
Quand on se bat comme ça.
On gagne la liberté,
Quand on se bat comme ça !