mardi 21 avril 2020

LA RÉCESSION


LA RÉCESSION


Version française – LA RÉCESSION – Marco Valdo M.I. – 2020
Chanson italienneLa recessione Pier Paolo Pasolini1974
Texte de Pier Paolo Pasolini, tirés de ‘La meglio gioventù’” (Einaudi, 1974).
Le texte original avait été écrit en frioulan, avec une traduction italienne par Pasolini lui-même, qui a ensuite écrit une nouvelle version pour qu’elle puisse être chantée.
MusiqueMino De Martino
Interprétation – Alice, d’abord dans son album "Mezzogiorno sulle Alpi" en 1992, puis dans l’album collectif "Luna di giornoLe canzoni di Pier Paolo Pasolini" en 1995.



Pier Paolo Pasolini
Autoportrait 1947




Dialogue maïeutique


Cette fois, Lucien l’âne mon ami, même si elle s’intitule « La Récession », il ne faudra pas s’y tromper et imaginer que cette chanson puisse s’appliquer aux jours d’aujourd’hui, ni même à ceux de demain.


Ah bien, dit Lucien l’âne, tu penses qu’il n’y aura pas de récession prochainement. Ce n’est pas l’avis des spécialistes, des économistes, des prévisionnistes et des journalistes.


Halte-là, Lucien l’âne mon ami, je n’ai pas dit ça. J’ai seulement dit que cette chanson « Récession » de PPP (Pier Paolo Pasolini), publiée en 1974, ne s’applique pas à la situation présente ; ce qui est tout autre chose. De quoi causait PPP en 1974 quand il évoquait la récession et de quoi peut-on parler aujourd’hui qu’on pourrait mettre sous le même vocable ?


Oui, en effet, dit Lucien l’âne en riant, je me le demandais aussi.


Heu, dit Marco Valdo M.I. un peu décontenancé, Pasolini écrit ce texte au sortir d’une période de forte expansion et de relance économiques consécutives à la guerre – période que curieusement on a appelé le « boum » ; cette période s’étale grosso-modo de 1946-47 à 1970. La machinerie économique tourne à plein régime, mais déjà en son sein s’installe progressivement à partir des années 50, une récession, une vraie récession, celle dont parle Pasolini. Cette récession était elle aussi la conséquence de la guerre. Je m’explique : par exemple, au sortir de la guerre, il a fallu refaire les infrastructures de transport et de production, il a fallu rebâtir les villes et les usines. On a eu besoin d’énormes quantités de rails, de wagons, de poutrelles, de ciment, de charbon, de minerais, etc. Et au plus vite, les appétits étaient immenses. Il en alla de même du blé, des patates, des légumes, des fruits, de la viande, etc. Puis, il a fallu rééquiper les gens, les rhabiller, les rechausser et ensuite, le niveau moyen des revenus s’élevant du fait du quasi-plein emploi , il y eut la possibilité de nouvelles dépenses et l’envie de nouveaux objets : frigo-auto-radio, télé, machines à laver et une demande de loisirs. Toutes les fringales connurent un pic vers 1960, puis une sorte de palier, dont elles ne sont jamais descendues.


C’est sans doute la naissance de la société de consommation, dit Lucien l’âne de la voix de l’élève appliqué.


Oui, effectivement, dit Marco Valdo M.I. ; mais, comme je te l’ai dit, à partir de 1950, la machine commençait à donner des signes d’essoufflement et de fait, il n’y avait plus besoin de tant de rails, de tuyaux, de wagons. Les infrastructures étaient refaites. Pour commencer, on ferma les charbonnages et le reste de l’industrie suivi progressivement. La sidérurgie et les fabrications métalliques, et les verreries ont suivi le mouvement de quelques années. C’est de cette récession que parle la chanson de PPP. Elle est d’ailleurs toujours en cours. Ce n’était assurément pas une crise, il s’agissait d’une évolution ; dans nos régions, on passait d’un monde industriel lourd à un autre plus évanescent ; doublement, tout semblait se dissoudre et renaître dans le lointain. Dès lors, cette récession n’est en rien comparable à ce qui se passe aujourd’hui ou demain. Certes, il faudrait nuancer, mais à la grosse, c’était ça.


Bien, dit Lucien l’âne, je veux bien le penser, mais si tu pouvais un peu argumenter.


C’est assez simple, Lucien l’âne mon ami, car pour le moment, si une récession est en cours ou va se développer, elle ne va pas durer ; j’aurais tendance cette fois à parler de crise ; un peu comme si le monde des humains était grippé. Bien sûr, il va y avoir du dégât, mais il y aura aussi la reprise – plus ou moins rapide, qui n’était pas du tout possible dans la récession évoquée par PPP. Par exemple, les centaines de milliers d’emplois de mineurs et d’ouvriers de l’industrie lourde du siècle dernier ont disparu et ne seront jamais réactivés ; c’est assez comparable à la disparition de la main d’œuvre agricole, qui avait cependant mis beaucoup plus de temps à se résorber, absorbée par les usines, les mines, les carrières, la (re)construction, les grands travaux.


Oh, dit Lucien l’âne, te voilà bien savant et sans doute, as-tu raison. Cependant, il nous faut faire court, car il est temps de tisser le linceul de ce vieux monde désuet, essoufflé, obèse et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






Nous reverrons des pantalons rapiécés,
Des crépuscules rouges sur les chemins
Des villages de leurs autos vidés,
Assiégés de pauvres rentrés
D’Allemagne ou de Turin.
Les vieux resteront maîtres
De leurs murs et de leurs sièges de sénateurs.
Les enfants sauront que la soupe est rare
Et ce que signifie un morceau de pain sans beurre.
La nuit sera plus noire que la fin du monde,
La nuit, nous entendrons les grillons ou le tonnerre.
Et un jeune, peut-être revenu d’une mine,
De retour au bercail, sortira une mandoline.
L’air aura un goût de loques trempées,
Tout sera loin. Dans les fumées,
Des trains et des bus passeront
Parfois comme dans un rêve
Et des villes grandes comme des mondes
Se rempliront de gens qui se promèneront
En vêtements gris
Et ils auront
Dans leurs yeux aigris
Une question qui ne porte pas sur l’argent,
Mais seulement, seulement
Sur l’amour, sur l’amour,
Uniquement l’amour.
Les petites usines sur la plus belle partie
De vertes prairies,
Dans un coude de la rivière,
Au cœur d’une vieille chênaie,
S’effondreront peu à peu à la soirée :
Mur par mur, pierre après pierre,
Feuille tôlée par feuille tôlée.
Et les vieux bâtiments
Seront des montagnes de pierre,
Seuls et clos comme ils étaient avant.
Le soir sera plus noir que la fin du monde
Et la nuit, nous entendrons les grillons grésillant
Ou le tonnerre qui gronde.
L’air aura un goût de loques trempées,
Tout sera loin. Dans les fumées,
Des trains et des bus passeront
Parfois comme dans un rêve.
Les bandits auront leur vieux front
Avec leurs cheveux courts sur la nuque
Et les yeux de leur mère
Pleins du noir des nuits de lune
Et ils seront armés d’une seule lame.
Le sabot du cheval touchera la terre
De la démarche légère
Du papillon et rappellera
Ce que le monde
A été, en silence, le monde
Et pressentira ce qui sera.