dimanche 2 février 2014

L'ÉPLUCHEUSE DE PATATES

L'ÉPLUCHEUSE DE PATATES

Version française – L'ÉPLUCHEUSE DE PATATES – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson tchèque de langue allemande – Die Kartoffelschälerin – Ilse Weber – 1942/1944


Un poème d'Ilse Weber mis en musique par Bente Kahan, interprète norvégien de musique juive.
Dans le disque de Bente Kahan « Stemmer fra Theresienstadt » de 1995, sorti les années suivantes en allemand et en anglais.


Les pelures s'animent et s'enroulent
Et deviennent des serpents sifflants
Méduse -Arnold Böcklin (1878)





J'épluche des patates, tout le jour,
Avec cent autres femmes.
Assise dans l'obscure baraque
Dès le point du jour.

Je suis assise et je n'entends rien
De ce que disent les femmes.
Mes pensées sont tellement loin,
Quand mes mains épluchent.

Mes pensées sont en peine
Pour ma fille, disparue en Pologne.
Les autres peuvent encore être gaies
Et plaisanter et rire à la dérobée.

Les bruns tubercules roulent
Et dans les paniers s'accumulent
À Dachau mon fils a été emmené
Pourquoi Dieu le laisse-t-il crever ?

Les heures après les heures passent,
Et mes mains à vif sont dures.
À l'hôpital, du typhus, mon petit-fils trépasse,
Pourquoi faut-il que ma vie dure ?

Patates, patates, les jours entiers
Éplucher, toujours éplucher
Elles roulent jusque dans mes rêves,
Et me tourmentent la nuit encore .

Les pelures s'animent et s'enroulent
Et deviennent des serpents sifflants,
Elles me poursuivent et m'encerclent,
Et de moi s'emparent impitoyablement.

Et revoici un nouveau jour
Et me voici, assise au point du jour
Dans l'obscure baraque, aux pluches
Avec cent autres femmes.

QUAND ON VEUT COMMENCER

QUAND ON VEUT COMMENCER

Version française – QUAND ON VEUT COMMENCER – Marco Valdo M.I. – 2011
Chanson italienne – Quando stai per cominciare – Eugenio Finardi – 1975




L'entrée dans la vie adulte






Regarde, Lucien l'âne mon ami, voici une chanson qui parle du début dans la vie... Mais, comme il est dit, elle date un peu... Elle est de 1975...


Et alors ?, demande l'âne Lucien, ébahi...


Et alors ? Mais, Lucien l'âne mon ami, il y a qu'elle parle du service militaire obligatoire.


Oui, certes, mais encore ?, dit l'âne Lucien, en ouvrant des yeux de plus en plus grands, à se demander où il va les chercher.


Du moins, à première vue. Mais, regarde bien le titre, il dit « Quand on veut commencer »... C'est l'entrée dans la vie adulte... Et si elle n'était pas drôle et si elle était proprement écrasante du temps d'Eugenio Finardi en raison de cette école de dressage qu'était le « service militaire », elle l'est toujours autant aujourd'hui... À vingt ans … Souviens-toi de Nizan, lui c'était dans les années Trente du siècle dernier... Dans Aden Arabie et c'en est même l'incipit, la première phrase, Paul Nizan disait : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. ». Par parenthèse, Nizan fut assassiné deux fois : une première fois d'une balle explosive dans la nuque...


Par qui ?, demande Lucien l'âne. Et puis, comment a-t-il pu être assassiné une deuxième fois ? Et toujours, par qui ?


Oh, pour le premier assassinat, on n'a jamais pu ou voulu retrouver le tueur. C'était à Dunkerque en 1940. On n'a même pas essayé de déterminer la provenance de la balle... ou l'enquête a été étouffée... Faut dire qu'il y avait tellement de morts dans ce coin-là à ce moment là. Quant au deuxième assassinat, là, on sait...


Mais enfin, dit l'âne Lucien complètement ahuri par le tour du propos... On ne peut quand même pas assassiner un mort...


Si. Si, Lucien l'âne mon ami, et je vais te dire comment... en le vilipendant et c'est ce qu'ont fait les communistes français, notamment certain écrivain, dont je tairai le nom et s'il n'y avait eu l'ami de Nizan, un certain Jean-Paul Sartre, l'affaire en serait resté là. Nizan aurait pour toujours été un traître... Mais il y avait Sartre qui avait un peu le goût de la vérité et n’acceptait ni l'injustice, ni la diffamation.. Et voici ce qu'en disait Sartre dans sa préface à Aden Arabie, livre qu'il avait réussi à faire rééditer par un petit éditeur-libraire indépendant François Maspero...


Ah, les livres publiés par Maspero... dit Lucien l'âne le visage tout ébloui... Ce fut un grand moment de l'édition française...


Donc, Sartre disait dans la préface à propos de Nizan et du P.C.F.« C'était la faute inexpiable, ce péché de désespérance que le Dieu des chrétiens punit par la damnation. Les communistes ne croient pas à l'Enfer : ils croient au néant. L'anéantissement de Nizan fut décidé. Une balle explosive l'avait, entre tant, frappé derrière la nuque, mais cette liquidation ne satisfit personne : il ne suffisait pas qu'il eût cessé de vivre, il fallait qu'il n'eût pas du tout existé. On persuada les témoins de sa vie qu'ils ne l'avaient pas connu pour de vrai : c'était un traître, un vendu. ». (http://www.ina.fr/video/2820212001) Vois-tu, Lucien l'âne mon ami, c'est à ça aussi que peuvent servir les Chansons contre la Guerre à faire luire – même cinquante ans, même septante ans après, l'étincelle de la vérité. Crois-moi, tant que je serai là, je ne laisserai pas Nizan dans le néant. C'était une plume d'acier, il m'a appris à écrire. Précisément, lors de mon entrée dans la vie. Et puis, Paul Nizan fit la même chose, que nous faisons à son égard – le faire revivre, avec ses « Matérialistes de l'Antiquité », un livre qui sauvait Épicure (surtout Épicure et Lucrèce) du néant où le christianisme avait voulu les engloutir sous une marée de mensonges et d'absurdités.


Cela dit, la chanson de Finardi ?


C'est une chanson comme celles des Histoires d'Allemagne ; elle est en quelque sorte dite par un narrateur, par un protagoniste. Cette chanson, c'est un « jeune qui parle aux jeunes », comme au temps de Radio Londres : « Un Français parlait aux Français »... Cela dit, Lucien l'âne mon ami, je n'ai pas arrêté d'en parler de cette chanson. Cependant, je n'en ai pas fini. Car si, comme je te l'ai dit, il n'y a plus de « service militaire » pour marquer l'entrée dans la vie des jeunes (en l'occurrence, mâles), il y a les contrats d'intérim ou les contrats précaires pour les jeunes (mâles et femelles), quand ce n'est pas un long temps de chômage ou le néant, la galère... Voilà le nouveau service qui est censé initier les jeunes... de les édifier. En fait, il s'agit pour l'essentiel de les dresser, ces garnements...


C'est édifiant, cette édification... dit Lucien l'âne d'une voix pleine d'ironique tension. En fait, on en est toujours à la caserne ; en fait, Paul Nizan avait raison quand il disait : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » et j'ajouterais en regardant ce qui se passe : trente ans, quarante ans... Quel que soit l'âge, c'est du pareil au même... Dans le monde actuel, dans ce « hic et nunc » (Ici et maintenant), dans ce système – car c'est un système régi par la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres, tous les jours, partout et à chaque instant, afin de les asservir, de les édifier, de les dresser et d'assurer ainsi leur pouvoir, de maintenir l'exploitation, de développer leurs richesses et d'accroître leur domination – dans ce système, il s'agit que rien ne soit jamais remis en cause, que tout toujours demeure... dans la demeure du Père, dans le monde éternel. Voilà pourquoi, Marco Valdo M.I., il nous faut reprendre notre tâche à chaque instant et tisser le linceul de ce vieux monde hiérarchisé, inique, dominateur, dresseur et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



À vingt ans, ça étonne
De n'être plus un enfant
Et d'être presque un homme
Mais devant soi, on a du temps
Pour faire ce qui est important
Et finalement
Se réaliser
Mais quand on veut commencer
Ils nous appellent à l'armée
Oh, non !
Oh, non !


Là, ils nous ôtent tous nos droits
On peut juste se tenir droit
Et obtempérer
Là, ils disent que le devoir
C'est de respecter
Ceux qui ont le pouvoir
Et si par hasard, on n'apprend pas
Il y a toujours les prisons à soldats
Oh, moi non !
Oh, non ! Moi non !