mercredi 22 janvier 2014

L'HOMME À L'OREILLE VERTE

L'HOMME À L'OREILLE VERTE


Version française – L'HOMME À L'OREILLE VERTE – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson italienne – Un signore maturo con un orecchio acerbo (L’orecchio verde) – Gianni Rodari – 1979










Dis-moi, Marco Valdo M.I. mon ami, il me semble que dès le titre, tu en prends à l’aise avec la traduction... Explique-moi le pourquoi et le comment de cet étrange phénomène qui a raccourci le titre italien au point de ne plus le reconnaître...


Ah, salut à toi, ô Lucien l'âne à l’œil si ouvert et aux oreille si noires, salut à toi, Seigneur, Salut à vous notre Seigneur venu des temps si anciens et pourtant aux yeux et aux oreilles plus jeunes que l'enfant naissant et plus aigus que le diamant. Oh, je ne dirai pas de toi, ni de tes oreilles, ni de tes sabots, ni de ta queue, ni de rien de ce qui te constitue que l'âge, oui, l'âge ait pu un instant vous entamer... Eh oui, Lucien l'âne mon ami, tu es encore tel qu'en toi-même l'éternité te connaîtra et cela du début à la fin des temps, tu incarnes l'immortalité de l'âne. Donc, je te salue. Maintenant pour ta question concernant le titre de la traduction de la canzone ou la traduction du titre de la canzone, ce qui est la même chose, je m'en vais te répondre.


Il est temps... J'ai cru que tu n'y arriverais jamais...








Voyons, Lucien l'âne mon ami, ne relance pas si imprudemment mon discours... et laisse-moi aller mon train. Donc, j'y reviens à cette affaire de traduction. Certes, tu avais raison, le titre italien est bien long et pour te satisfaire, je m'en vais te le traduire littéralement. Que dit-il finalement ? Ceci : « Un signore maturo con un orecchio acerbo (L’orecchio verde) » : « Un homme mûr avec une oreille acerbe (L'oreille verte) ». Et moi, j'ai traduit : « L'homme à l'oreille verte ». Était-ce par souci de simplification ? Par goût de la compacité ? Peut-être, mais pas seulement. C'était certes un chemin qui m'y menait, mais vraiment, il y a autre chose, plus exactement encore d'autres choses, sans doute liées à des souvenirs d'enfance ou à des pensées d'un autre temps, à des réminiscences, des remembrances comme disait Rimbaud. Je m'explique en mettant tout sur la table :
L'homme à l'oreille cassée – L'homme à l'oreille coupée – L'Oreille cassée.
Pour faire court : l'Homme à l'oreille cassée, c'est le plus ancien... C'est le héros d'un roman d'Edmond About, vers 1860 – par parenthèse, un jeune homme ressuscité lui aussi ; L'Homme à l'oreille coupée, c'est évidemment, Vincent
Van Gogh ; quant à l'Oreille cassée... C'est une aventure de Tintin...







On ne peut être plus enfantin..., éclate l'âne Lucien dans un rire qui tonitrue encore. Tu m'as l'air bien acerbe, toi aussi. Va donc pour ton homme à l'oreille verte. Mais au fait, qu'est-ce donc qu'une oreille acerbe ou une oreille verte ?


À vrai dire, l'expression n'existe pas véritablement en français et je comprends ton ébahissement. Mais voilà, tu auras vu comme moi que le titre utilise deux façons, deux mots pour qualifier l'oreille : il la dit verte et il la dit acerbe. En italien, ils peuvent être synonymes et assez directement. En français, il y faut un (léger) détour... Mais dans les deux langues, il y a vert et vert. Vert étant une couleur, mais vert est aussi une manière de dire « encore jeune », « acide », « pas mûr ». Et là, dans les deux langues, nous y sommes. Je t'indique aussi qu'acide peut se dire acéré, aiguisé, aigu, précis, exact... Et donc, cette oreille verte est à la fois, et c'est dit dans la chanson, verte, jeune, aiguë, précise... On peut aussi pour être complet ajouter que par exemple, le raisin vert – celui qui n'est pas mûr – est tout petit... Donc, la signification est aussi celle-là : petite oreille. En somme, on nage en pleine amphibologie ; on est en Polysaimie, ce continent étrange entièrement peuplé de mots exilés de la terne platitude des mondes mûrs.


Je te propose d'arrêter là tes élucubrations et de passer à la chanson de l'homme dans le train avec une oreille verte. Sans toutefois oublier de reprendre notre tâche qui nous entraîne, tels des canuts à durée indéterminée, à tisser le linceul ou le suaire, ce qui est la même chose, de ce vieux monde trop mûr, carrément blet, pourrissant, pour tout dire en décomposition et cacochyme.



Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Un jour sur le direct Capranica-Viterbe
Je vis monter un homme à l'oreille verte.


Il n'était pas si jeune, tout en lui avait mûri
Tout, sauf l'oreille, qui était restée verte.
Je changeai vite de place pour être près de lui
et voir cette oreille si experte.

« Monsieur – dis-je donc – vous avez un certain âge
Que faites-vous de cette oreille verte ? »
Il répondit gentiment : « En effet, j'ai de l'âge
De ma jeunesse, seule cette oreille me reste.
C'est une oreille-enfant, elle me sert à comprendre
Les voix que les grands ne peuvent entendre.
J'écoute ce que disent les arbres, les oiseaux,
Les nuages qui passent, les cailloux, les ruisseaux.
Je comprends même les enfants lorsque ils disent des choses
Qui à une oreille mûre, paraissent mystérieuses. »



Voilà ce que dit le monsieur à l'oreille verte
Ce jour-là sur le direct Capranica-Viterbe.