samedi 8 septembre 2018

Le Retour de l’Alouette

Le Retour de l’Alouette



Chanson française – Le Retour de l’Alouette – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
86
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel –
III, XLII)


Nelle et Till


Dialogue Maïeutique

Encore une fois, dit Lucien Lane en balançant les oreilles, goguenard, un de ces titres codés dont il faut deviner la signification, mais je pense savoir de quoi il s’agit.

Je l’espère bien, Lucien l’âne mon ami, que tu sais ce dont il s’agit, car sa signification est évidente pour tout qui a suivi les méandres de cette fluviale légende de liberté.

Fluviale légende ?, Marco Valdo M.I. mon ami, fluviale légende ? Que veux-tu dire ?

Oh, Lucien l’âne mon ami, la chose est fort simple, mais cependant assez importante à envisager, car c’est une des clés principales du monde dans lequel s’inscrit la Légende elle-même. Fluviale, voici pourquoi. Il te souviendra que nous avons suivi Till souvent au bord de rivières, de fleuves, de canaux. Je cite pêle-mêle : la Meuse, la Sambre, l’Hélinium, le Rhin, l’Escaut, la Lys, la Senne et divers canaux sans nom particulièrement renommé, ce qui constitue en fait le territoire des Hauts et Bas Pays, bordés de la mer du côté où se couche le soleil ; ces mêmes Pays sont l’espace de la Légende. Mais dis-moi ce que tu as deviné ?

Je pense, dit Lucien l’âne, que tout au long de ce qui précède, Till pousse le cri de l’alouette quand il veut se signaler à un autre Gueux, lequel doit répondre par le chant du coq et donc, je pense que l’alouette de ce titre n’est autre que Till lui-même et qu’on assiste au retour de Till au pays d’où il a été longuement exilé.

C’est exactement ça, répond Marco Valdo M.I., Till et Lamme rentrent à Damme après longtemps d’absence, ce qui ne marque pas, rassure-toi, la fin de leurs aventures. On a encore beaucoup à connaître de leurs péripéties ; la guerre des Gueux n’est pas finie, loin de là. Simplement, comme il est annoncé dans diverses chansons, les Gueux vont conquérir les mers et poursuivre l’Espagnol jusqu’à l’autre bout du monde. Mais cela est une autre affaire et déborde de bien des façons de l’univers de la Légende. On ne s’y risquera pas, car il faudrait alors faire l’histoire entière de la Guerre de Cent Mille Ans, dont on ne sait déjà précisément quand elle commence et dès lors, quand elle finira ; mais certainement pas tout de suite.

En effet, dit Lucien l’âne songeur, faire l’histoire de la Guerre de Cent Mille Ans en entier est une œuvre considérable et probablement impossible, même si on ne s’en tient qu’au passé ; quant à son futur, un temps, les plus audacieux des romanciers de science-fiction ont essayé de le faire, sans y parvenir. Bref, c’est une mission impossible. Mais reviens à la chanson du retour de l’alouette Till.

Donc, Lucien l’âne mon ami, Lamme, tout à la joie du retour, s’étonne du mutisme de Till et lui en fait un amer reproche jusqu’à ce qu’il s’aperçoive que Till est en larmes : larmes de chagrin au souvenir de la mort de Claes le charbonnier, son père, au souvenir de Soetkin, sa mère, morte de la mort de son mari ; larmes de bonheur à la douce idée de retrouver Nelle. Cette retrouvaille est la fin de la chanson et l’amorce d’une nouvelle époque de la Légende.

Alors, dit Lucien l’âne, voyons ce retour de l’Alouette au nid et reprenons notre tâche, tissons le linceul de ce vieux monde à bien des égards barbare, morne, mercantile, obsédé par l’argent, rongé par l’apparence, malade du pouvoir et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Au long du canal de Damme,
De longtemps, le temps est en exil.
Jean porte le gros bât de Lamme
Et Jef marche à côté de Till.

Les cigales bruissent dans les prés ;
Sur les champs, les manants récoltent le blé.
Les gens d’église viennent chercher
Le treizième pour les abbés et les curés.

Au-dessus de l’eau, les carpes affamées
Happent les mouches ronflantes ;
Les noires arondes virevoltantes
Leur volent les bestioles tant convoitées.

Sans souffle, l’air est chaud,
Les arbres tremblent au bord de l’eau.
Le soleil tape tout droit
Sur la berge où cacardent les oies.

Le carillon égrène le branle de midi,
Le soleil déverse sa chaleur,
La nature se tasse sous cette pâleur,
L’alouette rentre en son pays.

Les femmes crient à tue-tête
C’est l’heure du casse-croûte.
À Till, de sa main boudinée, Lamme
Montre le beffroi carré de Damme.

Lamme dit : « Là sont tes amours et tes douleurs. »
Till ne répond pas.
Lamme dit : « Là est ma demeure. »
Till ne répond pas.

Lamme dit : « Homme de bois, cœur de pierre !
Ton cœur a oublié ton père et ta mère ? »
Till ne répond pas.
Till pleure encore et ne répond pas.

Till entre en la maison de son enfance ;
Le nouveau charbonnier accueille sa souffrance.
Puis, avec les ânes, ils vont chez Katheline.
Ils entrent, les femmes dînent.

Till muet se tient là debout,
Saisie, Nelle pleure : « Se peut-il ? »
Nelle se jette à son cou.
Affolée, elle rit : « Till ! Till ! »