La
Ruka sanglante
Chanson
française – La Ruka sanglante – Marco Valdo M.I. – 2017
Canzone
léviane tirée du récit de Carlo Levi : Una casa di legno
sulla strada ( in Il pianeta senza confini, Donzelli, 2003).
Qui a tiré ? Qui a tué ?
Le crépuscule rosit le volcan,
Le soir fraîchit l’étang.
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Oh,
Marco Valdo M.I. mon ami, il te faudra me dire d’abord et avant
tout, ce que signifie ce titre ou plus exactement, me rappeler ce
qu’est une « ruka ». J’ai comme dans le fond de ma
mémoire l’idée qu’il devrait s’agir d’une maison indienne
ou quelque comme ça.
Je
m’attendais, Lucien l’âne mon ami, à ce que tu me fasses,
d’entrée de jeu, une pareille demande. J’ai le plaisir de
t’informer du fait qu’une ruka est bien, comme tu t’en souviens
opportunément, une habitation, une maison dans la langue des
Mapuches, lesquels sont des Amérindiens qui vivent essentiellement
pour certains d’entre eux (environ 1,5 million) au Chili et pour
d’autres (environ 300 000) en Argentine. L’histoire que
rapporte la canzone se passe d’ailleurs quasiment sur la frontière
entre les deux pays avec en toile de fond la Cordillère des Andes et
le volcan Lanín. Laisse-moi te dire tout de suite que ce peuple,
présent près de la Cordillère andine depuis environ 8000 à 9000
ans, serait bien plus nombreux aujourd’hui, si on ne l’avait pas
systématiquement massacré. Comme tu le sais, le massacre est un des
bienfaits de la colonisation, un des grands apports des
civilisations. Cette mise au pas des Mapuches, même s’il faut
souligner qu’elle ne s’est pas faite sans mal pour les
colonisateurs en raison de la forte résistance mapuche, continue
aujourd’hui ; leur combat pour la survie et pour un
développement digne et acceptable de leur culture se poursuit encore
aussi. Voilà qui plante le décor de la canzone.
Je
vois de quoi il s’agit, répond Lucien l’âne. Je vois même de
qui il s’agit, car tout âne que je suis, j’ai voyagé et j’ai
même un moment, il y a déjà longtemps, traîné mes sabots dans
cette fameuse cordillère et j’y ai croisé les Mapuches.
Cependant, je ne sais toujours pas ce que raconte ta canzone, ni d’où
elle t’est venue.
D’abord,
Lucien l’âne mon ami, je voudrais faire une dernière réflexion
générale relativement aux Mapuches et à leur histoire récente. En
fait, on dispose de fort peu d’éléments. C’est sans doute un
reflet du statut qu’on entend donner à cette population, même
s’il s’agit d’un peuple relativement peu nombreux. Ce que j’ai
pu trouver ici et là, ce sont des notices d’« opérateurs
touristiques », ce qui ramène les Mapuches au statut
d’attraction dans le genre des parcs naturels. En ce sens, ils
connaissent le sort des populations amérindiennes (pour se limiter
aux Amériques) du Nord et du Sud, des Inuits aux ex-Manekenks et
autres Fuégiens – je dis « ex », car il n’y en a
plus, comme tous les habitants amérindiens de la Terre de Feu, qui
l’habitaient depuis 10 000 ans, ils ont fait l’objet d’une
liquidation systématique, un véritable et volontaire ethnocide.
Partout, que ce soit dans les zones de colonisation anglophone,
hispanique ou portugaise, les populations originaires, du moins
celles qui ont survécu, sont socialement et culturellement
marginalisées, quand on ne les cantonne pas dans des réserves. On
les enduit de folklore et on les noie dans le tourisme où on leur
laisse généralement des rôles de faire-valoir de l’industrie
touristique. À la longue, épuisées et assommées, elles finissent
par se satisfaire de ces miettes de civilisation. Ces êtres humains
sont une des attractions du grand jardin zoologique qu’est notre
Terre, quand ce n’est pas les figurants d’un parc à safari
humain que les bonnes âmes ramènent à sa version photographique ;
il est vrai aussi que notre monde a fortement tendance à se réduire
à ses images. Pour en venir maintenant à la chanson, elle rapporte
un épisode de l’histoire mapuche, un épisode minuscule, juste une
sorte de fait-divers qui s’insère dans la séculaire tentative des
paysans mapuches de récupérer leurs terres – au moins, en partie
et la réaction musclée des propriétaires fonciers, qu’il
vaudrait mieux appeler les « expropriateurs fonciers »,
bref, les latifundistes. C’est l’histoire d’une « toma »,
une récupération qui tourne mal et on suit – par la chanson –
l’enquête. D’où je l’ai tirée ? C’est une histoire
léviane, un récit de voyage de Carlo Levi. C’est te dire que ce
fait-divers exemplaire n’est pas récent. Carlo Levi était allé
au Chili en 1972 au temps où Salvador Allende, médecin et ami du
poète Pablo Neruda comme lui, était président du Chili.
Oui,
Marco Valdo M.I. mon ami, je me souviens de ce président du Chili
qui avait inspiré tant d’espoir aux gens et pas seulement, au
Chili. C’est d’ailleurs probablement une des raisons
fondamentales de son assassinat le 11 septembre 1973, assassinat qui
fut le début d’une longue tragédie.
Donc,
Lucien l’âne mon ami, cette chanson recoupe celle de
Salvamort, celle du syndicaliste sicilien
Salvatore Carnevale, où il est question également de l’occupation
de terres latifundiaire et de récupération des terres par les
paysans.
J’imagine
que si on voulait approfondir le sujet, on trouverait des séquences
du même genre dans la plupart des pays du monde, car, vois-tu Marco
Valdo M.I. mon ami, ces mouvements de paysans se retrouvent partout
au cœur de cette Guerre
de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres pour
asseoir leur domination et accroître leurs richesses et de mémoire
d’âne antique, elle n’a jamais cessé. Alors, il ne nous reste
qu’à accomplir notre devoir et à tisser le linceul de ce vieux
monde colonisateur, expropriateur, voleur, propriétaire et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Au
milieu de la place du village,
L’herbe
est verte.
Sur
les maisons sans étage,
Les
mousses sont vertes.
Dans
la haute vallée,
Sous
le soleil de la matinée,
Jusque
sous les crêtes, l’air,
L’air
lui-même est vert.
La
route grimpe, serpentine,
Vers
la frontière encore un moment.
Là-bas
en Argentine,
On
voit le triangle blanc du volcan.
Ici,
c’est toujours le Chili,
Le
Pays d’Allende et de Neruda.
Ici,
pour la terre, le paysan se bat,
Le
Mapuche récupère ce qu’on lui a pris.
Au
Fundo Carén, cette nuit-là,
On
perpétra
Une
occupation, une toma.
Je
ne sais rien. Nada ! Nada !
Je
n’ai rien vu,
Je
n’ai rien entendu.
Je
n’étais pas là.
Personne
n’était là,
Sauf
la peur.
La
peur sœur du malheur,
La
peur est toujours là.
Elle
compte les heures.
Terrée
au coin du bois,
C’est
un loup qui n’existe pas.
La
ruka est en bois,
Une
ruka minuscule, rudimentaire.
À
terre, planches et terre,
Deux
louches, des cuillères,
Un
pilon et le chien.
Un
tronc d’arbre se consume,
Toute
la maison s’enfume.
La
fumée tourne entre les parois,
Elle
monte au trou du toit.
Dans
ce monde mystérieux,
Quand
on est vieux,
On
compte son âge à partir de cent.
La
vieille Mapuche a cent-trois ans.
Entre
les arbres, dans le pré,
Une
vache, un cheval paissent indifférents.
Que
s’est-il passé ? Qui a tué ?
Des
cochons courent dans le champ.
Un
lièvre traverse le sentier.
Au
Fundo Carén, pour une terre,
L’événement
fut mortel et sanglant.
Violence
des paysans ?
Violence
des propriétaires ?
C’était
une toma, c’est certain.
Il
était cinq heures du matin :
Dix-sept
paysans sont arrivés
Pour
occuper la terre ;
En
face, trente propriétaires,
Trente
amis armés,
Propriétaires
fonciers.
Ils
ont tiré pour chasser
Les
paysans dans le pré.
Qui
a tiré ? Qui a tué ?
Un
propriétaire s’est exilé
Vite
en Argentine, il est passé.
Qui
a tiré ? Qui a tué ?
Le
crépuscule rosit le volcan,
Le
soir fraîchit l’étang.