Le
Parti des petits Lapins
Lucien
l’âne mon ami, si je pensais un instant que tu ne connaissais pas
Henri Tachan, je me lancerais illico dans une longue histoire à
propos de ce chanteur que je connais depuis longtemps. Mais voilà,
je sais que tu le connais et qu’il n’est pas nécessaire de te
tresser une biographie. Cependant, il me paraît utile de dire deux
trois choses à propos de cette chanson. Sans doute, Henri Tachan
devait avoir dans l’oreille ou dans un coin perdu de sa mémoire,
le souvenir d’une chanson de Pierre Dac et Francis Blanche qui
portait un titre fort proche de celui-ci : Le Parti d’en rire
et qui abordait l’univers politique avec une forte dose d’acide
ironique. Tachan est lui aussi sceptique que ces deux-là et que par
exemple, Georges Brassens. Cela dit, à lire son titre, on dirait une
chanson enfantine ou une chanson pour enfants – et elle l’est
assurément.
Et
pourquoi pas ?, demande Lucien l’âne. Pourquoi ne le
serait-elle pas ? C’est très bien de faire des chansons pour
les petits enfants.
De
fait. Note, Lucien l’âne mon ami, et la chose te plaira que le
même Henri Tachan avait fait une chanson sur La Chasse, que je
trouve pas piquée des hannetons et qui prenait le parti des animaux
face aux bourreaux en mal de loisirs actifs. Ici aussi, il prend le
parti des animaux – et m’est avis que s’il avait connu la
Déclaration Universelle des Droits de l’Âne, il l’aurait
adoptée. D’ailleurs, quand on la lit, on a bien envie d’être
comme toi, un âne.
Oh,
Marco Valdo M.I. mon ami, voilà qui fait plaisir. Malheureusement,
ce n’est donné à tout le monde d’être un âne et le devenir
est très difficile et comme je le sais d’expérience, fort
périlleux. Mais je suppose qu’il ne dit pas que ça dans sa
chanson.
Il
s’annonce également comme rallié au parti des lapins, des
enfants, des vieux, des fleurs et définitivement incurablement hors
système. En somme, Henri Tachan est un « en dehors », un
« à l’écart » des chemins trop fréquentés, un qui –
tiens, comme Brassens, encore lui – ne suit pas le droit chemin.
Tachan – comme le lapin – se perd volontiers dans la luzerne.
Comme
tu le sais certainement, c’est aussi une habitude des ânes, que de
baguenauder et d’aller se perdre dans des endroits eux-mêmes
perdus. Mais rassure-toi, Marco Valdo M.I mon ami, on s’y retrouve
fort bien. Alors, écoutons la chanson et puis reprenons notre tâche
et tissons (dans la luzerne ou à l’orée du village ou carrément
dans le bois où l’on évitera soigneusement de déranger les
papillons) le linceul de ce vieux monde chasseur, tueur, sacrificiel,
religieux et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
J’ai
ma carte, je suis au parti des petits lapins,
Depuis
quarante ans, leur drapeau, c’est le mien :
Carotte
rose sur fond de luzerne,
Ça
ne fait pas fuir les badernes
Qui
me traquent, une carabine à la main.
J’ai
ma carte, je suis au parti des petits lapins
Qui
finissent à la moutarde, au romarin,
En
civet, à la casserole,
Ne
croyez pas que ça me console
De
ne pas vieillir dans mon champ de thym.
Ma
vie,
Qui
l’a
choisie?
J’ai
les mains vides,
Ils
ont le
fusil.
J’ai
ma carte, je suis au parti des petits enfants
Qui
ne veulent pas plus tard devenir grands,
Qui
ne veulent pas jouer au facteur ;
Qui
ne veulent pas jouer au docteur ;
Ni
jouer au papa et à la maman.
J’ai
ma carte, je suis au parti des petits enfants
Qui
s’ennuient beaucoup au milieu des parents
Mais
qui s’envolent sur l’aile
Bien
tiède d’une hirondelle
Qui,
pour eux, quelquefois fait le printemps.
Ma
vie,
Qui
l’a
choisie ?
J’ai
les mains vides,
Ils
ont le
fusil.
J’ai
ma carte, je suis au parti des pauvres vieux
Entassés
dans ces fourrières de banlieue,
À
l’hospice, à l’hôpital,
Mourir,
c’est le moindre mal
Quand
on est loin de chez soi, seul et vieux.
J’ai
ma carte, je suis au parti des pépés, mémés
Qui
n’ont plus personne à voir ni à aimer,
Même
pas un bouquet de violettes,
Un
chat de gouttière, une voilette ;
Que
leurs souvenirs déjà embaumés.
Ma
vie,
Qui
l’a choisie?
J’ai
les mains vides,
Ils
ont le
fusil.
J’ai
ma carte, je suis au parti des petites fleurs,
Au
parti de tout ce qui souffre et qui meurt,
Loin
de leurs jeux olympiques
U.R.S.S.
– Amérique,
Loin
de leurs cliquetis d’armes vainqueurs.
J’ai
ma carte, et je persiste et je signe,
Je
suis incurable, je reste dans ma ligne,
Et
je garde dans l’oreille,
Juste
avant le grand sommeil,
Un
violoncelle qui pleure la Mort du cygne.
Ma
vie,
Je
la choisis,
Je
garde les mains vides,
Eux,
le fusil !