mercredi 4 janvier 2023

  NUAGES NOIRS

 

NUAGES NOIRS


Version française — NUAGES NOIRS — Marco Valdo M.I. — 2022

Chanson allemande — Schwarze WolkenBoigruB — 2021

 

 

 

 


L’ORAGE SUR LE VILLAGE

Johann Heinrich Bürkel – 1838







Dialogue maïeutique


Étrange, Lucien l’âne mon ami, comme les chansons sont quelquefois, prémonitoires ou semblent écrites pour des événements postérieurs à leur création.


Oui, dit Lucien l’âne, on l’avait déjà remarqué que la chanson semble ainsi anticiper les temps futurs et il faut sans doute constater qu’il en va de même pour la poésie en général comme pour le roman. C’est d’autant plus vrai quand il s’agit de romans d’anticipation, mais pas seulement. J’imagine que tu dis ça, car tu penses que c’est spécialement le cas de cette chanson allemande de 2021.


En effet, répond Marco M.I., ces nuages noirs ont des airs de météorologie historique. Comme on sait, les nuages noirs sont des annonciateurs d’orage dans les endroits où ils passent. Écrits et créés en 2021, ils décrivent avec de troublants détails ce qui se passe en 2022 à l’horizon de l’Allemagne. Par exemple, on peut voir ce qui a frappé l’Ukraine presque toute l’année dernière — comme disait Boris Vian : les journaux étaient pleins de cauchemars. Je cite les premières lignes de cette première strophe de la chanson Nuages Noirs :


« Nuages noirs au firmament,

Il pleut des cendres, brûle la terre ;

Dans les fosses se décomposent les enfants

Dévorés par les rats et les vers ;

La mort putride diffuse son odeur douce »


Et le refrain a tous les airs d’être adressé à un habitant d’Odessa ou d’un autre lieu de ces coins-là, qui a dû fuir et se réfugier loin de chez lui :


« Seul sur la plage, vous regardez la mer en silence

De vos yeux pleins de désir et d’indolence.

Ne vous retournez pas, regardez devant vous :

Vous avez perdu tout, derrière vous, laissé tout. »


On dirait bien, dit Lucien l’âne. Je ne sais pas si ces Allemands qui ont créé cette chanson avaient la prémonition de cette guerre d’Ukraine, mais on dirait vraiment qu’il en est ainsi et je pense savoir pourquoi. Je te le dirai tout à l’heure, mais poursuis ton idée.


Et, reprend Marco Valdo M.I., la dernière strophe est encore plus éclairante et tout aussi pleine d’effroi. Et puis, elle met les points sur les i ; elle dénonce les coupables, elle les décrit, elle expose leur façon de faire, leur manière d’être et leur fondamentale malignité, leur insondable bassesse et leur cruelle perversité :


« À la nuit, ils rodent et se répandent alors

Commandos d’assassins, escadrons de la mort,

En groupe, de maison en maison, pas à pas,

Ils enlèvent ceux qu’ils n’épargnent pas.

La haine efface leurs scrupules. »



Oui, dit Lucien l’âne, c’est ce que l’on constate tous les jours dans tous les journaux. Ces gens-là sont incivils, immoraux, ce sont des bêtes idiotes et brutales. Avant de conclure, je vais te dire pourquoi – à mon sens – la chanson parfois – celle-ci certainement – annonce avec tant de justesse certains événements ultérieurs et c’est tout simplement parce que ces événements, ces comportements sont quasiment des archétypes, des schémas profonds de certaines séquences de la vie et de l’histoire humaine. Ainsi ce que les Russes font actuellement à l’Ukraine est très semblable à ce qu’ils y ont fait antérieurement, à ce que les troupes nazies (allemandes celles-là) y ont fait, à ce que les Russes ont fait en Tchétchénie, en Afghanistan, à ce qu’ils font en Syrie et qu’ils feraient ailleurs si on les laissait faire. Voilà pour l’actualité de la chanson. Quant à nous tissons le linceul de ce vieux monde puant, putréfiant, putréfié, pourrissant et cacochyme.


Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane








Nuages noirs au firmament,

Il pleut des cendres, brûle la terre ;

Dans les fosses se décomposent les enfants

Dévorés par les rats et les vers ;

La mort putride diffuse son odeur douce ;

Les épidémies et la famine sévissent ;

Enveloppés dans de puantes couvertures

Malades et vieux crèvent dans d’obscures encoignures



Seul sur la plage, vous regardez la mer en silence

De vos yeux pleins de désir et d’indolence.

Ne vous retournez pas, regardez devant vous :

Vous avez perdu tout, derrière vous, laissé tout.


À la nuit, ils rodent et se répandent alors

Commandos d’assassins, escadrons de la mort,

En groupe, de maison en maison, pas à pas,

Ils enlèvent ceux qu’ils n’épargnent pas.

La haine efface leurs scrupules.

Ils enferment, ils massacrent, ils acculent

Dos au mur, ceux qui ne sont pas partis,

À devenir hors-la-loi dans leur propre pays.


L’État unique

 


L’État unique



Chanson française — L’État unique Marco Valdo M.I. — 2023



LA ZINOVIE
est le voyage d’exploration en Zinovie, entrepris par Marco Valdo M. I. et Lucien l’âne, à l’imitation de Carl von Linné en Laponie et de Charles Darwin autour de notre Terre et en parallèle à l’exploration du Disque Monde longuement menée par Terry Pratchett.
La Zinovie, selon Lucien l’âne, est ce territoire mental où se réfléchit d’une certaine manière le monde. La Zinovie renvoie à l’écrivain, logicien, peintre, dessinateur, caricaturiste et philosophe Alexandre Zinoviev et à son abondante littérature.




LA ZINOVIE

Épisode 1 : Actualisation nationale ; Épisode 2 : Cause toujours ! ; Épisode 3 : L’Erreur fondamentale ; Épisode 4 : Le Paradis sur Terre ; Épisode 5 : Les Héros de l’Histoire ; Épisode 6 : L’Endémie ; Épisode 7 : La Réalité ; Épisode 8 : La Carrière du Directeur ; Épisode 9 : Vivre en Zinovie ; Épisode 10 : Le But final ; Épisode 11 : Les nouveaux Hommes ; Épisode 12 : La Rédaction ; Épisode 13 : Glorieuse et grandiose Doussia ; Épisode 14 : Le Bataillon des Suicidés ; Épisode 15 : Les Gens ; Épisode 16 : Jours tranquilles au Pays ; Épisode 17 : La Région ; Épisode 18 : Mémoires d’un Rat militaire ; Épisode 19 : L’inaccessible Rêve ; Épisode 20 : La Gastronomie des Étoiles ; Épisode 21 : Le Progrès ; Épisode 22 : Faire ou ne pas faire ; Épisode 23 : Le Bonheur des Gens ; Épisode 24 : La Sagesse des Dirigeants ; Épisode 25 : Les Valeurs d’Antan ; Épisode 26 : L’Affaire K. ; Épisode 27 : L’Atmosphère ; Épisode 28 : La Nénie de Zinovie ; Épisode 29 : L’Exposition colossale ; Épisode 30 : La Chasse aux Pingouins ; Épisode 31 : Le Rêve et le Réel ; Épisode 32 : La Vérité de l’État ; Épisode 33 : La Briqueterie ; Épisode 34 : L’Armée des Chefs ; Épisode 35 : C’est pas gagné ; Épisode 36 : Les Trois’z’arts ; Épisode 37 : La Porte fermée ; Épisode 38 : Les Puces ; Épisode 39 : L’Ordinaire de la Guerre ; Épisode 40 : La Ville violée ; Épisode 41 : La Vie paysanne ; Épisode 42 : La Charrette ; Épisode 43 : Le Pantalon ; Épisode 44 : La Secrète et la Poésie ; Épisode 45 : L’Édification de l’Utopie ; Épisode 46 : L’Ambition cosmologique ; Épisode 47 : Le Manuscrit ; Épisode 48 : Le Baiser de Paix ; Épisode 49 : Guerre et Paix ; Épisode 50 : La Queue ; Épisode 51 : Les Nullités ; Épisode 52 : La Valse des Pronoms ; Épisode 53 : La Philosophie spéciale ; Épisode 54 : Le Pays du Bonheur ; Épisode 55 : Les Pigeons ; Épisode 56 : Les Temps dépassés ; Épisode 57 : La Faute à la Contingence ; Épisode 58 : Guerre et Sexe ; Épisode 59 : Une Rencontre en Zinovie ; Épisode 60 : La Grande Zinovie ; Épisode 61 : La Convocation ; Épisode 62 : Tatiana ; Épisode 63 : L’Immolation ; Épisode 6: Que faire ? ; Épisode 65 : Ni chaud, ni froid ; Épisode 66 : Le Congé éternel ; Épisode 67 : À perdre la Raison ; Épisode 68 : Les Sauveurs de l’Humanité ; Épisode 69 : L’Eau qui dort ; Épisode 70 : Le Régime en Place ; 071. Épisode : Un Conflit avec l’Étranger ; 072 : Petit Manuel de Survie ; 073. La Banalité ; 074. La Ligne de Conduite ; 075 : Les Femmes de Zinovie ; 076. La Légende ; 077 : Le Devoir sacré ; 078 : Les nouveaux Soldats ; 079 : Bruit de Fond ; 080 : Une résistible Ascension ; 081 : La Zone interdite ; 082 : Les Pommes ; 083 : La Normalité ; 084 : L’Autorisation ; 085 : L’Exclusion ; 086. Quelle Affaire ?; 087 : Le Vase vide ; 088. Introspection ; 089. Le Pays gris ; 090. Tout un Style


Épisode 91








EUGÈNE ZAMIATINE


Boris Koustodiev — 1923









Dialogue Maïeutique




L’État unique, dit Marco Valdo M.I., c’est bien évidemment la Zinovie étendue à toute la Terre, ainsi que le précise la chanson.


« La Zinovie future, c’est sûr, triomphera.

Dans la paix de l’État unique

Sur toute la Terre, elle instaurera

Avec ses rues et ses boulevards droits,

Une harmonie urbaine géométrique… »


Il faut donc comprendre quoi exactement ?, demande Lucien l’âne. Il y a là une ambition démesurée, excessive. La Zinovie entendrait-elle ramener sous sa tutelle directe l’ensemble de la population mondiale ? Ce serait donc là le véritable objectif du Guide ?



Sans doute, répond Marco Valdo M.I., du moins, c’est ce qu’affirme la voix anonyme qui rapporte les slogans du Guide :


« Vive notre merveilleuse Patrie !

Vive la grandiose Zinovie ! »


De fait, raisonne Lucien l’âne, avec de pareils mots d’ordre et une grande armée, il y a de quoi s’inquiéter et comme je l’ai déjà dit, il y a des précédents et tous ont mené à la catastrophe. Le dernier en date avait fait des ravages énormes et des dizaines de millions de morts, sans compter les mutilés, dont certains étaient de véritables morts-vivants.


Oui, dit Marco Valdo M.I., l’ambition de domination de la Zinovie – tant qu’il y aura des Guides – est mégalomane et démentielle. Mais revenons à la chanson où il est une chose essentielle, primordiale : l’apparition soudaine d’un mystérieux Z, écrivain,


« De Z l’écrivain, vous saurez cela aussi… »


Un Z qui apparemment ne peut être précisé davantage pour la même raison que s’impose en Zinovie l’anonymat des voix.


Oui, s’interroge Lucien l’âne, un écrivain désigné par Z, sans doute l’initiale de son patronyme qui doit être autre que Zinoviev. Je me demande qui ça peut bien être et puis aussi pourquoi il est évoqué par la voix, peut-être celle du Veilleur de Nuit lui-même ou d’un de ses interlocuteurs ou un des buveurs impénitents du caboulot.


Oui, Lucien l’âne mon ami, c’est probablement la voix d’un de ceux-là qui commence ici dans la chanson un voyage dans le voyage et comme on le verra, d’un voyage dans le temps. Et doublement :

— D’abord, car l’écrivain Z est forcément antérieur au propos rapporté ; en fait, il s’agit d’Eugène Zamiatine et de son livre, que visite la chanson, « Nous autres », publié à Paris en 1920 en langue russe (Мы) ; il est interdit dès 1923 en Union soviétique. L’écrivain Zamiatine lui aussi sera interdit de vivre au pays et a réussi à repartir in extremis dès 1931 en émigration à Paris, où il meurt subitement en 1937. Il avait 53 ans. Il avait réclamé cet exil dans une lettre à Staline, où il disait :


« Pour moi, en tant qu’écrivain, être privé de la possibilité d’écrire équivaut à une condamnation à mort. Les choses ont atteint un point où il m’est devenu impossible d’exercer ma profession, car l’activité de création est impensable si on est obligé de travailler dans une atmosphère de persécution systématique qui s’aggrave chaque année. »


Oh, dit Lucien l’âne, n’était-ce pas lui, ce Zamiatine auteur de cette pièce « La Puce » interdite et retirée des théâtres en 1927, dont nous avons déjà causé dans Les Puces et j’avais déjà aussi entendu parler de lui comme un successeur de H.G. Wells et un prédécesseur de George Orwell. Du coup, je pensais bien qu’il s’agissait de ce roman « Nous autres ».


En effet, répond Marco Valdo M.I., et s’il avait été immédiatement interdit, c’est bien parce qu’il traçait un portrait du régime et surtout, de son futur terriblement véridique.



Ah, dit Lucien l’âne, comme disait ta grand-mère : « Il n’y a que la vérité qui blesse. »


Et puis, reprend Marco Valdo M.I., comme annoncé :

— Ensuite, c’est un voyage dans le temps futur et un futur diablement lointain :


« Selon le Guide, dans deux millénaires,

Après avoir gagné la longue guerre… »


et le monde qu’il annonce est affolant, régenté qu’il est par les Tables, mais je te le laisse découvrir par la chanson.


Ah, dit Lucien l’âne, lançons-nous à la découverte du monde par la chanson, voilà qui me plaît comme projet. Pour le reste, tissons le linceul de ce vieux monde chaotique, désordonné, brouillon et cacochyme.


Heureusement !




Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane





De Z l’écrivain, vous saurez cela aussi

Et vous saurez tout des Tables,

Régentes de nos heures innombrables.

Oui, tous les matins, c’est ainsi :

Avec exactitude, à la même heure,

Nous comme les voix d’un chœur

Précis, comme un seul numéro,

D’un bond, on se lève aussitôt ;

Nous tous, comme une seule main,

À la seconde, on met en bouche le pain.

Nous, au même moment, tous pareils,

Bel ensemble, on s’abandonne au sommeil.


Selon le journal, le Guide a décrété :

Il nous appartient de soumettre

À notre joug bienfaisant tous les êtres

Encore en l’état sauvage de liberté.

Notre devoir est de les forcer

À être et à vivre heureux.

Pour cela, il faut composer

Des poèmes, des chants généreux

Vantant notre État splendide,

Ses réalisations et son Guide.

Vive notre merveilleuse Patrie !

Vive la grandiose Zinovie !


Après l’hiver viendra le printemps,

Avec le vent reviendra le beau temps,

Avec le bleu du ciel joli

À la suave profondeur nacrée,

Avec le redoux, les lèvres sucrées

Des femmes frémissent en fruits confits

Du ballet, de la musique, de la beauté.

Elles se cambrent sous le soleil majestueux

Des revues militaires, des mystères religieux.

Gloire, gloire à l’invincible uniformité.

La bouche rosit, on lève la tête ;

On marche, on marche le cœur en fête.


Selon le Guide, dans deux millénaires,

Après avoir gagné la longue guerre,

La Zinovie future, c’est sûr, triomphera.

Dans la paix de l’État unique

Sur toute la Terre, elle instaurera

Avec ses rues et ses boulevards droits,

Une harmonie urbaine géométrique,

Formée de la multitude mathématique

Des numéros en rangs symétriques.

On ne verra plus ces foules chaotiques

Grouillant de gens, de rumeurs et d’animaux,

De couleurs, de bruits, de cris et d’oiseaux.