Texte de Kurt Tucholsky, publié sous le nom de Kaspar Hauser (un de ses pseudonymes) sur Die Weltbühne du 19 décembre 1918
Musique de Hanns Eisler
Interprétée par Ernst Busch in “Ernst Busch Singt Tucholsky Und Brecht – Deutsches Miserere »
Kurt Tucholsky |
Eh
bien, il nous fallait vraiment une chanson de Noël !
Sauf que celle de Tucholsky - écrite en décembre de 1918, à peine plus d'un mois après la fin de la Grande Guerre, dont l'Empire était sorti abîmé par la faute des « idées spartakistes et des socialistes qui empoisonnaient l'armée allemande », comme le dit le grand général Ludendorff, et en plein dans la rébellion socialiste qui de là à peu serait écrasée dans le sang – ce n'est pas vraiment une chansonnette rassurante…
Sauf que celle de Tucholsky - écrite en décembre de 1918, à peine plus d'un mois après la fin de la Grande Guerre, dont l'Empire était sorti abîmé par la faute des « idées spartakistes et des socialistes qui empoisonnaient l'armée allemande », comme le dit le grand général Ludendorff, et en plein dans la rébellion socialiste qui de là à peu serait écrasée dans le sang – ce n'est pas vraiment une chansonnette rassurante…
Ah,
Lucien l'âne mon ami, tu connais assez Tucholsky pour savoir qui il
était et quel talent et quel tempérament l'animaient. C'était un
homme qui savait faire deux choses : penser et écrire… dans
cet ordre. Entre les deux, il était journaliste. Enfin, il y aurait
beaucoup de choses à dire de ce mot de « journaliste »
et de ce qu'il recouvre. Mais peut-être n'est-ce pas le lieu, ni
l’heure…
Moi,
je trouve plutôt que si. Je suis terriblement intéressé à ce que
toi, précisément, tu pourrais en dire. Car, si je ne me trompe, il
fut un temps où tout comme Tucholsky et d’autres, tu exerças
cette noble profession. J'en ai encore des échos aujourd'hui.
Bon,
pour te faire plaisir et comme tu m'y pousses en quelque sorte, je
m'en vais dire quelques mots de ce métier. Il est clair que derrière
cette « étiquette » de « journaliste », on
trouve mille et une figures. Cela va de l'honnête correspondant
local qui relate les faits divers et les événements au chroniqueur
sportif qui commente les actualités, sans
oublier les « grands reporters ».
Mais, ici on parle d'autre chose. À un moment donné, le
journaliste – à force de relater des faits finit par quand même
énoncer des éléments de la réalité et contraint par la logique
des choses, il se retrouve à prendre parti. Dans le domaine sportif,
tant qu'on reste au niveau interne de la compétition (et encore…),
on
reste à un niveau superficiel, on ne touche pas au réel. Mais si –
et ce fut le cas de Tucholsky et bien d'autres – on relate la
société et ses mécanismes, on se retrouve à devoir révéler ce
qui ne peut l'être, mais aussi à expliquer ce qui est et pour ce
faire – c'est pure question de correction intellectuelle –
appeler un chat un chat et par exemple, l'Empereur un dictateur, le
patron un exploiteur… Arrivé à ce point, tout va dépendre du
journal et de sa direction. Tucholsky à la Weltbühne avait toute
liberté d'écrire ; c'était aussi un « petit »
journal – tirage 15.000 exemplaires et ce n'était pas un
quotidien. Il rassemblait aussi une belle et incroyable série de
journalistes- écrivains… Mettons – présents
dans les CCG :
Kurt Tucholsky et ses hétéronymes : Paulus
Bünzly, Kaspar Hauser, Theobald Körner, Peter Panter, Theobald
Tiger, Ignaz Wrobel ;
Ernst
Toller ;
Erich
Mühsam ;
Walter
Mehring ;
Else
Laksker-Schüler ; Klabund ;
Erich
Kästner et
d'autres encore sans doute.
C'était
un endroit exceptionnel mais et c'est important, ce n'était pas là
un hasard, car le propriétaire-fondateur
du journal –
Siegfried
Jacobsohn –
était lui aussi
un personnage et
un journaliste
de haut vol. Et
puis, c'est pas que je veux faire une conférence, mais je voudrais
ajouter encore quelques remarques.
Oh,
mais n'hésite pas, je suis tout ouïe, dit l'âne Lucien en agitant
ses oreilles comme des pavillons de marine par grand vent.
Prenons
la question sous un autre angle. Toi, Lucien l'âne mon ami, tu me
dirais bien pourquoi alors que je n'ai été « journaliste »
que deux ou trois ans, il y a maintenant fort longtemps et que depuis
j'ai fait mille autres choses, on continue à m'en attribuer le
« titre ». Il y a là une sorte de mystère, une aura qui
entoure la profession… Moi, je dis que – regarde la liste des
ceusses de la Weltbühne – ce
qui à mes yeux les caractérise, c'est que ce sont des journalistes
si l'on veut, mais surtout des écrivains, des poètes, des
intellectuels et des gens personnellement engagés dans la Guerre de
Cent Mille Ans et du côté des pauvres,
bien évidemment. Si je devais indiquer un
équivalent en Italie, je citerais Giustizia e Libertà. En
fait, cette question du journalisme est trouble ; ou bien, on
regarde les entreprises de presse, les médias et
on s'aperçoit que dans leur immense
majorité, ils font le jeu du système – quel qu'il soit. En somme,
leur devise est « bizzness as usual », comme on dit par
chez nous et fondamentalement, ils fonctionnent avec une autre devise
assez répandue chez nous : « Moi, je ne veux rien dire,
je suis en commerce » et leurs
« journalistes » suivent la politique de l'entreprise.
Généralement, il
faut dire les choses convenues de manière convenue. Ce n'était pas
le cas de Tucholsky. Qui, en plus, s'exprimait sous forme de poèmes
trempés dans l'acide ironique. Regarde son Weinachten, publié
à peine un mois après l'armistice de 1918, disons aussi de la
capitulation allemande de 1918, il ne devait pas plaire à tout le
monde, ce sapin qui chante dans les ruines de l'Allemagne et
demande :
« À
qui doit-on tout
le malheur ?
Qui nous a jetés ainsi dans le sang et les douleurs ?
Nous les Allemands à la patience d'agneau ?. »
Qui nous a jetés ainsi dans le sang et les douleurs ?
Nous les Allemands à la patience d'agneau ?. »
Oui,
j'imagine assez. Allons, reprenons notre tâche et à notre tour et
sans relâche, tissons le linceul de ce vieux monde écrasé par
l'industrie de l'information, décervelé, abêti et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Ainsi me voilà maintenant devant les débris allemands
Et moi, je me chante mon chant de Noël doucement.
Je ne me sens plus concerné,
Par ce qui arrive dans le monde entier.
C'est l'affaire des autres. Nous plus rien.
Moi, je ronfle tranquille, je le remarque à peine,
Comme aux jours de ma jeunesse :
Ô mon beau sapin !
Si j'étais le père Fouettard à Noël
Et que j'arrivais dans ce bordel
– les Allemands n'apprennent jamais rien –
Dieu
sait !, je ferais demi-tour tout de suite.
Le dernier grain de pain tire à sa fin.
La rue gronde. Ils s'excitent.
Je les accrocherais volontiers dans tes branches,
Ô mon beau sapin !
Le dernier grain de pain tire à sa fin.
La rue gronde. Ils s'excitent.
Je les accrocherais volontiers dans tes branches,
Ô mon beau sapin !
Couvert de bougies grésillantes, je déclare bien haut :
À qui doit-on tout le malheur ?
Qui nous a jetés ainsi dans le sang et les douleurs ?
Nous les Allemands à la patience d'agneau ?
Eux ne souffrent pas. Eux sagement attendent.
Je rêve mon vieux rêve :
Frappe, peuple, la morgue de caste, abats-la !
Ne crois jamais, jamais plus ces gars !
Alors chante les chants de Noël, sans trêve :
Ô mon beau sapin !