dimanche 16 août 2015

NOËL

NOËL


Version française – NOËL – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson allemande – WeihnachtenKurt Tucholsky1918

Texte de Kurt Tucholsky, publié sous le nom de Kaspar Hauser (un de ses pseudonymes) sur Die Weltbühne du 19 décembre 1918
Musi
que de Hanns Eisler
Interpr
étée par Ernst Busch in “Ernst Busch Singt Tucholsky Und Brecht – Deutsches Miserere »




Kurt Tucholsky


Eh bien, il nous fallait vraiment une chanson de Noël !

Sauf que celle de Tucholsky - écrite en décembre de 1918, à peine plus d'un mois après la fin de la Grande Guerre, dont l'Empire était sorti abîmé par la faute des « idées spartakistes et des socialistes qui empoisonnaient l'armée allemande », comme le dit le grand général Ludendorff, et en plein dans la rébellion socialiste qui de là à peu serait écrasée dans le sang – ce n'est pas vraiment une chansonnette rassurante…


Ah, Lucien l'âne mon ami, tu connais assez Tucholsky pour savoir qui il était et quel talent et quel tempérament l'animaient. C'était un homme qui savait faire deux choses : penser et écrire… dans cet ordre. Entre les deux, il était journaliste. Enfin, il y aurait beaucoup de choses à dire de ce mot de « journaliste » et de ce qu'il recouvre. Mais peut-être n'est-ce pas le lieu, ni l’heure…


Moi, je trouve plutôt que si. Je suis terriblement intéressé à ce que toi, précisément, tu pourrais en dire. Car, si je ne me trompe, il fut un temps où tout comme Tucholsky et d’autres, tu exerças cette noble profession. J'en ai encore des échos aujourd'hui.


Bon, pour te faire plaisir et comme tu m'y pousses en quelque sorte, je m'en vais dire quelques mots de ce métier. Il est clair que derrière cette « étiquette » de « journaliste », on trouve mille et une figures. Cela va de l'honnête correspondant local qui relate les faits divers et les événements au chroniqueur sportif qui commente les actualités, sans oublier les « grands reporters ». Mais, ici on parle d'autre chose. À un moment donné, le journaliste – à force de relater des faits finit par quand même énoncer des éléments de la réalité et contraint par la logique des choses, il se retrouve à prendre parti. Dans le domaine sportif, tant qu'on reste au niveau interne de la compétition (et encore…), on reste à un niveau superficiel, on ne touche pas au réel. Mais si – et ce fut le cas de Tucholsky et bien d'autres – on relate la société et ses mécanismes, on se retrouve à devoir révéler ce qui ne peut l'être, mais aussi à expliquer ce qui est et pour ce faire – c'est pure question de correction intellectuelle – appeler un chat un chat et par exemple, l'Empereur un dictateur, le patron un exploiteur… Arrivé à ce point, tout va dépendre du journal et de sa direction. Tucholsky à la Weltbühne avait toute liberté d'écrire ; c'était aussi un « petit » journal – tirage 15.000 exemplaires et ce n'était pas un quotidien. Il rassemblait aussi une belle et incroyable série de journalistes- écrivains… Mettons – présents dans les CCG : Kurt Tucholsky et ses hétéronymes : Paulus Bünzly, Kaspar Hauser, Theobald Körner, Peter Panter, Theobald Tiger, Ignaz Wrobel ; Ernst Toller ; Erich Mühsam ; Walter Mehring ; Else Laksker-Schüler ; Klabund ; Erich Kästner et d'autres encore sans doute. C'était un endroit exceptionnel mais et c'est important, ce n'était pas là un hasard, car le propriétaire-fondateur du journal – Siegfried Jacobsohn – était lui aussi un personnage et un journaliste de haut vol. Et puis, c'est pas que je veux faire une conférence, mais je voudrais ajouter encore quelques remarques.


Oh, mais n'hésite pas, je suis tout ouïe, dit l'âne Lucien en agitant ses oreilles comme des pavillons de marine par grand vent.


Prenons la question sous un autre angle. Toi, Lucien l'âne mon ami, tu me dirais bien pourquoi alors que je n'ai été « journaliste » que deux ou trois ans, il y a maintenant fort longtemps et que depuis j'ai fait mille autres choses, on continue à m'en attribuer le « titre ». Il y a là une sorte de mystère, une aura qui entoure la profession… Moi, je dis que – regarde la liste des ceusses de la Weltbühne – ce qui à mes yeux les caractérise, c'est que ce sont des journalistes si l'on veut, mais surtout des écrivains, des poètes, des intellectuels et des gens personnellement engagés dans la Guerre de Cent Mille Ans et du côté des pauvres, bien évidemment. Si je devais indiquer un équivalent en Italie, je citerais Giustizia e Libertà. En fait, cette question du journalisme est trouble ; ou bien, on regarde les entreprises de presse, les médias et on s'aperçoit que dans leur immense majorité, ils font le jeu du système – quel qu'il soit. En somme, leur devise est « bizzness as usual », comme on dit par chez nous et fondamentalement, ils fonctionnent avec une autre devise assez répandue chez nous : « Moi, je ne veux rien dire, je suis en commerce » et leurs « journalistes » suivent la politique de l'entreprise. Généralement, il faut dire les choses convenues de manière convenue. Ce n'était pas le cas de Tucholsky. Qui, en plus, s'exprimait sous forme de poèmes trempés dans l'acide ironique. Regarde son Weinachten, publié à peine un mois après l'armistice de 1918, disons aussi de la capitulation allemande de 1918, il ne devait pas plaire à tout le monde, ce sapin qui chante dans les ruines de l'Allemagne et demande :
« À qui doit-on tout le malheur ?
Qui nous a jetés ainsi dans le sang et les douleurs ?
Nous
les Allemands à la patience d'agneau ?. »


Oui, j'imagine assez. Allons, reprenons notre tâche et à notre tour et sans relâche, tissons le linceul de ce vieux monde écrasé par l'industrie de l'information, décervelé, abêti et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Ainsi me voilà maintenant devant les débris allemands
Et moi, je me chante mon chant de Noël doucement.
Je ne me sens plus concerné,
Par ce qui arrive dans le monde entier.
C'est l'affaire des autres. Nous plus rien.
Moi, je ronfle tranquille, je le remarque à peine,
Comme aux jours de ma jeunesse :
Ô mon beau sapin !

Si j'étais le père Fouettard à Noël
Et que j'arrivais dans ce bordel
– les Allemands n'apprennent jamais rien –
Dieu sait !, je ferais demi-tour tout de suite.
Le dernier grain de pain tire à sa fin.
La rue gronde. Ils s'excitent.
Je les accrocherais volontiers dans tes branches,
Ô mon beau sapin !

Couvert de bougies grésillantes, je déclare bien haut :
À qui doit-on tout le malheur ?
Qui nous a jetés ainsi dans le sang et les douleurs ?
Nous les Allemands à la patience d'agneau ?
Eux ne souffrent pas. Eux sagement attendent.
Je rêve mon vieux rêve :
Frappe, peuple, la morgue de caste, abats-la !
Ne crois jamais, jamais plus ces gars !
Alors chante les chants de Noël, sans trêve :
Ô mon beau sapin !
Ô mon beau sapin !