vendredi 20 mars 2020

Le Fossoyeur


Le Fossoyeur

Chanson française – Le Fossoyeur – Georges Brassens – 1952




Yorick le Fossoyeur
Eugène Delacroix - 1859


Dialogue Maïeutique

Dis-moi, Lucien l’âne mon ami, as-tu idée d’un personnage central de notre société dont on s’ingénie à cacher la présence et même l’utilité ? Dont on s’ingénie la plupart du temps à ignorer jusqu’à l’existence ? Et pourtant, il a fort à faire de ces temps-ci, comme en temps de guerre, d’ailleurs.

Que sais-je, moi à qui tu penses toi ?, Marco Valdo M.I. mon ami. Est-ce le balayeur de rues qui a presque disparu ? Ou alors, le laitier qui chaque matin, comme dans Drôle de Drame, porte le lait devant les portes et même, dans les maisons ? Est-ce l’ânier qui nous faisait si souvent escorte pour veiller sur nous comme un garde du corps ?

Nullement, Lucien l’âne mon ami, nullement. Songe un peu à ce qui se passe en ce moment, car c’est une profession de saison et sans doute, une idée te passera - en vitesse – par ta cervelle d’âne. Comme je vois un immense point d’interrogation dessiné par ton oreille gauche, je t’offre un indice supplémentaire en te précisant que tu l’as nombre de fois rencontré lorsque tu menais certaines gens à leur dernier domicile.

Cette fois, dit Lucien l’âne, je suis sûr d’avoir trouvé la bonne réponse ; c’est le dernier intervenant, celui qui s’assure de votre logement éternel, qui prend le dernier relais après l’intervention du croque-mort et après l’eau bénite, quand il y en a : c’est le fossoyeur.

Très exactement, Lucien l’âne mon ami, le fossoyeur, celui-là même à qui Georges Brassens a consacré toute une chanson, il me paraît à la fois utile et de circonstance de l’exhumer. Elle ne date pas d’hier cette joyeuse chansonnette, même si, intitulée naturellement « Le Fossoyeur », elle est de la brûlante actualité. C’est un personnage assez proche du « Pauvre Martin », qui du reste, lui avait retiré le pain de la bouche, ce qui entre personnages d’un même auteur, n’était pas vraiment très confraternel. Voici ce qu’il avait fait :

« Il creusa lui-même sa tombe
En faisant vite, en se cachant,
En faisant vite, en se cachant, »

Oh, dit Lucien l’âne, c’était à coup sûr, un manque à gagner. Quoique aujourd’hui, ce serait plutôt un coup de main ; les fossoyeurs ont tant à faire ; je dirais même, comme l’agriculture, les funérailles manquent de bras. Mais quand même, fossoyeur, quel métier ! Surtout ces temps-ci où, comme je viens de te le dire, on manque cruellement de main d’œuvre expérimentée dans ce domaine un peu particulier. Cependant, c’est une excellente idée de ressortir ce fossoyeur de la tombe.

Pour autant, reprend Marco Valdo M.I., il ne me paraît pas inopportun non plus de citer la fin d’une autre chanson de Tonton Georges, celle dédiée à Grand-Père, qui me semble elle aussi d’une singulière justesse, tant elle est consolante pour les défunts qui s’en vont aujourd’hui au cimetière (quand ils y arrivent) comme ils allaient la veille au bistro, pour chercher une compagnie. Mais à présent, paraît-il, il faut attendre son tour.

« Bon papa,
Ne t’en fais pas,
Nous en viendrons
À bout de tous ces empêcheurs d’enterrer en rond,
À bout de tous ces empêcheurs d’enterrer en rond. »

Oh, dit Lucien l’âne, je me souviens du début :

« Grand-père suivait en chantant
La route qui mène à cent ans. »

et que « la mort, la mort, la mort le prit », comme elle avait surpris l’amateur de nombril de femme de flic (Le nombril des femmes d’agents).

Oh, tu sais, Lucien l’âne mon ami, il y en a encore d’autres qu’il ne faudrait pas négliger en ces circonstances : « Le Testament », qui conviendrait tant à tant :

« Ici-gît une feuille morte,
Ici finit mon testament.
On a marqué dessus ma porte :
« Fermé pour cause d’enterrement. »
J’ai quitté la vie sans rancune,
J’aurai plus jamais mal aux dents :
Me voilà dans la fosse commune,
La fosse commune du temps.
Me voilà dans la fosse commune,
La fosse commune du temps. »

« Oncle Archibald », qui montre la bonne voie à beaucoup, la bonne façon de s’en aller« Quand faut y aller, faut y aller » :

« Et mon oncle emboîta le pas
De la belle, qui ne semblait pas
Si féroce
Et les voilà, bras dessus, bras dessous,
Les voilà partis je ne sais où
Faire leurs noces,
Faire leurs noces. »

et une qui s’impose plus que tout de nos jours : « Les Funérailles d’antan ».

Oui, oui, dit Lucien l’âne, surtout le début :

« Jadis, les parents des morts vous mettaient dans le bain,
De bonne grâce, ils en faisaient profiter les copains.
Y a un mort à la maison, si le cœur vous en dit,
Venez le pleurer avec nous sur le coup de midi
 »
Mais les vivants
aujourd’hui ne sont plus si généreux,
Quand ils possèdent un mort, ils le gardent pour eux. »

Et songe qu’il y a encore « L’Auvergnat »

« Toi l’Auvergnat quand tu mourras
Quand le
croque-mort t’emportera »

Soit, Lucien l’âne mon ami, mais je suggère (aux messieurs, évidemment) une fin aussi heureuse que celle revendiquée par « L’Ancêtre » (et par moi aussi, d’ailleurs), qui réclamait l’heure de la pipe avant de la casser.

« Quand nous serons ancêtres,
Du côté de Bicêtre,
Pas d'enfants de Marie, oh ! non,
Remplacez-nous les nonnes
Par des belles mignonnes
Et qui fument, cré nom de nom ! »

Pas la cigarette, évidemment ! À propos de pipe, il faut dire toute la justesse qu’il y a dans ce passage de la chanson « Le Temps passé » :

« Il est toujours joli, le temps passé.
Une fois qu’ils ont cassé leur pipe,
On pardonne à tous ceux qui nous ont offensés,
Les morts sont tous des braves types. »

On ne peut passer à côté de ces obsèques (zobs secs ?) des Quat’z’Arts, qui ont une fin de circonstance :

« Adieu! les faux tibias, les crânes de carton...
Plus de marche funèbre au son des mirlitons!
Au grand bal des quat'z'arts nous n'irons plus danser,
Les vrais enterrements viennent de commencer.

Nous n'irons plus danser au grand bal des quat'z'arts,
Viens, pépère, on va se ranger des corbillards. »

Remarque qu’il n’est pas question de « Mourir pour des Idées », car des idées, il n’y en a pas ; on meurt bêtement ces temps-ci ; c’est une mort de circonstance. Comme chez le grand Jacques, à mourir, on se retrouve Seul.

« Mais lorsqu’on voit venir
En riant la charogne,
On se retrouve seul. »

Je suis sûr, dit Lucien l’âne qu’on pourrait encore continuer longtemps. La mort est partout ; c’est normal, puisque c’est la dernière étape de la vie. Mais comme il nous faut finir, tissons le linceul de ce vieux monde mortel, mortifère, morticole, mortuaire et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Dieu sait que je n’ai pas le fond méchant,
Je ne souhaite jamais la mort des gens,
Mais si l’on ne mourait plus,
Je crèverais de faim sur mon talus,


Je suis un pauvre fossoyeur.


Les vivants croient que je n’ai pas de remords
À gagner mon pain sur le dos des morts,
Mais ça me tracasse et d’ailleurs,
Je les enterre à contrecœur,


Je suis un pauvre fossoyeur.


Et plus, je lâche la bride à mon émoi,
Et plus, les copains s’amusent de moi,
Ils me disent : « Mon vieux, par moments,
Tu as une figure d’enterrement »,


Je suis un pauvre fossoyeur.


J’ai beau me dire que rien n’est éternel,
Je ne peux pas trouver ça tout naturel
Et jamais je ne parviens
À prendre la mort comme elle vient,


Je suis un pauvre fossoyeur.


Ni vu ni connu, brave mort, adieu !
Si du fond de la terre, on voit le Bon Dieu
Dis-lui le mal que m’a coûté
La dernière pelletée,


Je suis un pauvre fossoyeur.