mardi 19 novembre 2019

Ad Militiam


Ad Militiam


Chanson française – Ad Militiam – Marco Valdo M.I. – 2015

ARLEQUIN AMOUREUX – 22

Opéra-récit historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola « Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez Flammarion à Paris en 1979.





Dialogue Maïeutique

Comme à présent, Lucien l’âne mon ami, nul ne peut l’ignorer encore, Matthias, Arlequin, Arlecchino est enfin rentré chez lui.

Certes, dit Lucien l’âne, je ne peux l’ignorer ; c’est impossible, depuis le temps que tu racontes cette histoire.

Justement, dit Marco Valdo M.I., c’est là que je veux en venir. Car, imagine-toi que cette chanson soit isolée, toute seule au milieu du monde des chansons : qu’il n’y en ait pas avant, qu’il n’y en ait plus après. Mais qu’il n’y en ait plus après, n’a pas grande importance pour le raisonnement, du moins à ce stade.

À l’envisager ainsi toute seule, répond Lucien l’âne, elle serait dans le même cas que n’importe quelle autre chanson ou presque – excepté évidemment celles qui s’insèrent ou qui sont insérées dans des cycles longs.

De fait, Lucien l’âne mon ami, celle-ci est la 22ième de l’Arlequin amoureux, une errance longue, contée en un cycle long, mais nécessaire. Car en connaissant les précédentes, on peut reconstituer toute une histoire. Ce qui m’amène à deux idées – au moins. La première, c’est que de se trouver dans un cycle ne change rien à l’affaire, car il y a quand même toujours un « avant ».

Sans compter, interrompt Lucien l’âne, qu’il y a toujours un « autour » et comme tu l’as déjà souligné, un « après » qui n’est d’ailleurs ni nécessaire, ni certain.

Avant, autour, après, c’est le monde tel qu’il se présente toujours, reprend Marco Valdo M.I. et la chanson mise en cycle fait ressortir la consistance des personnages et des événements qu’elle relate et ressentir la pesanteur du temps et de la durée ; elle ouvre tout grand le regard sur la complexité. Elle élargit et précise le champ de vision ; elle révèle tout un circuit labyrinthique, digne d’Ariane et de Thésée. Elle permet à la chanson de tenir la distance du récit, elle s’étale alors comme peut le faire le roman, elle multiplie les épisodes et elle diversifie les points de vue sur ce qu’elle raconte. Elle résout de cette manière la grande difficulté à laquelle elle était confrontée depuis le début de l’industrie phonographique, qui imposait des limites fort strictes. Dans ce sens, la chanson se compose de toutes les chansons du cycle ; c’est une seule et même chanson. Elle se développe comme le fait le bouquet de robiniers.

Très bien, dit Lucien l’âne, j’aime beaucoup les robiniers ; ils ont de belles fleurs. Mais que raconte donc cette chanson ?

Commençons, Mon ami l’âne Lucien, par éclaircir le sens du titre : « ad militiam ». C’est une expression latine qui se traduit par « à la milice » ; c’est-à-dire « à l’armée » ; il faut immédiatement préciser ce sens, car le « miles », c’est le « soldat » et donc, un « militaire » et pas un « milicien », lequel cache un civil peut-être trop guerrier. La chose est claire dans la chanson : « la nouvelle loi – Qui incorpore ad militiam comme soldat ». Ensuite, pour restituer cette anecdote dans l’histoire considérable de l’Arlequin Matthias, c’est une période d’entre-deux où se préparent les événements futurs et où mûrit le destin. On y voit Barbora, la fille superfétative, résidu du premier mariage de sa mère et qui est échue au couple Lukas-Rosalie ; une jeune fille de dix-sept ans délaissée, méprisée par ses « parents » ; qui va se rapprocher insensiblement de Matthias et s’y accrocher tant qu’elle peut. On y voit aussi Arlequin se méfier du destin et tenter de prendre les devants en s’inventant un nouveau masque : le sieur Vojtěch Périnet, montreur de marionnettes et en sollicitant ainsi l’autorisation d’être artiste ambulant. Là aussi, la porte claque à son nez. Pour le reste, suite au prochain épisode.

Évidemment, répond Lucien l’âne, suite au prochain épisode ; je n’en attendais pas moins après un tel préambule. Cependant, ne t’inquiète pas, j’ai perçu ton clin d’œil à Prévert et la chanson Barbara. Dans le fond, Arlequin-Arlecchino aurait sans doute pu s’écrier : « Oh Barbora, quelle connerie la guerre ! », ce serait d’ailleurs assez dans le ton du personnage. Ce pourrait être une de ses antiennes. Allons, tissons le linceul de ce vieux monde ingrat, décevant, méprisant, militaire, guerrier et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Ce matin, Matthias tarde à s’éveiller.
Les souris dansent sur la pointe des pieds ;
Sur la clôture perché, un coq s’égosille,
Le soleil timide entame une séguedille,

Le coq lance son clairon, c’est la paix.
La chasse aux déserteurs s’étiole et se défait.
Dans les villages, quelle fête, quel dimanche,
Pour l’éclosion des fleurs blanches !

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Bientôt, nous en serons au temps des cerises.
Barbora son chiffon noué au-dessus de sa chemise
Rejoint Matthias avec à l’épaule deux râteaux
Pour faire les foins derrière les boqueteaux.

Elle apporte l’eau et le pain. Tu as faim ?
Oh Barbora, tu n’as pas mangé ce matin.
En deux, Matthias brise et partage son quignon
Alors, Barbora pleure en lorgnant l’horizon.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Partir, demain, après-demain ? Il faut s’y préparer.
Arlequin le sait, il a écrit à Prague pour solliciter,
Sous le nom crypté de Vojtěch Périnet, le droit d’animer
Ses petites personnes devant les gens des petites localités.

Malheur, le Périnet ignore la nouvelle loi
Qui incorpore ad militiam comme soldat
Les saltimbanques, les jongleurs et les marionnettistes ;
Ainsi se referme la vie itinérante du dangereux artiste.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.