Ad Militiam
Chanson
française – Ad Militiam – Marco Valdo M.I. – 2015
ARLEQUIN
AMOUREUX – 22
Opéra-récit
historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola
« Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le
titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J.
Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de
l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR
CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez
Flammarion à Paris en 1979.
Dialogue
Maïeutique
Comme
à présent, Lucien l’âne mon ami, nul ne peut l’ignorer encore,
Matthias, Arlequin, Arlecchino est enfin rentré chez lui.
Certes,
dit Lucien l’âne, je ne peux l’ignorer ; c’est
impossible, depuis le temps que tu racontes cette histoire.
Justement,
dit Marco Valdo M.I., c’est là que je veux en venir. Car,
imagine-toi que cette chanson soit isolée, toute seule au milieu du
monde des chansons : qu’il n’y en ait pas avant, qu’il n’y
en ait plus après. Mais qu’il n’y en ait plus après, n’a pas
grande importance pour le raisonnement, du moins à ce stade.
À
l’envisager ainsi toute seule, répond Lucien l’âne, elle serait
dans le même cas que n’importe quelle autre chanson ou presque –
excepté évidemment celles qui s’insèrent ou qui sont insérées
dans des cycles longs.
De
fait, Lucien l’âne mon ami, celle-ci est la 22ième de
l’Arlequin amoureux, une errance longue, contée en un cycle long,
mais nécessaire. Car en connaissant les précédentes, on peut
reconstituer toute une histoire. Ce qui m’amène à deux idées –
au moins. La première, c’est que de se trouver dans un cycle ne
change rien à l’affaire, car il y a quand même toujours un
« avant ».
Sans
compter, interrompt Lucien l’âne, qu’il y a toujours un
« autour » et comme tu l’as déjà souligné, un
« après » qui n’est d’ailleurs ni nécessaire, ni
certain.
Avant,
autour, après, c’est le monde tel qu’il se présente toujours,
reprend Marco Valdo M.I. et la chanson mise en cycle fait ressortir
la consistance des personnages et des événements qu’elle relate
et ressentir la pesanteur du temps et de la durée ; elle ouvre
tout grand le regard sur la complexité. Elle élargit et précise le
champ de vision ; elle révèle tout un circuit labyrinthique,
digne d’Ariane et de Thésée. Elle permet à la chanson de tenir
la distance du récit, elle s’étale alors comme peut le faire le
roman, elle multiplie les épisodes et elle diversifie les points de
vue sur ce qu’elle raconte. Elle résout de cette manière la
grande difficulté à laquelle elle était confrontée depuis le
début de l’industrie phonographique, qui imposait des limites fort
strictes. Dans ce sens, la chanson se compose de toutes les chansons
du cycle ; c’est une seule et même chanson. Elle se développe
comme le fait le bouquet de robiniers.
Très
bien, dit Lucien l’âne, j’aime beaucoup les robiniers ; ils
ont de belles fleurs. Mais que raconte donc cette chanson ?
Commençons,
Mon ami l’âne Lucien, par éclaircir le sens du titre : « ad
militiam ». C’est une expression latine qui se traduit par
« à la milice » ; c’est-à-dire « à
l’armée » ; il faut immédiatement préciser ce sens,
car le « miles », c’est le « soldat » et
donc, un « militaire » et pas un « milicien »,
lequel cache un civil peut-être trop guerrier. La chose est claire
dans la chanson : « la nouvelle loi – Qui incorpore ad
militiam comme soldat ». Ensuite, pour restituer cette anecdote
dans l’histoire considérable de l’Arlequin Matthias, c’est une
période d’entre-deux où se préparent les événements futurs et
où mûrit le destin. On y voit Barbora, la fille superfétative,
résidu du premier mariage de sa mère et qui est échue au couple
Lukas-Rosalie ; une jeune fille de dix-sept ans délaissée,
méprisée par ses « parents » ; qui va se
rapprocher insensiblement de Matthias et s’y accrocher tant qu’elle
peut. On y voit aussi Arlequin se méfier du destin et tenter de
prendre les devants en s’inventant un nouveau masque : le
sieur Vojtěch Périnet,
montreur de marionnettes et en sollicitant ainsi l’autorisation
d’être artiste ambulant. Là aussi, la porte claque à son nez.
Pour le reste, suite au prochain épisode.
Évidemment,
répond Lucien l’âne, suite au prochain épisode ; je n’en
attendais pas moins après un tel préambule. Cependant, ne
t’inquiète pas, j’ai perçu ton clin d’œil à Prévert et la
chanson Barbara.
Dans le fond, Arlequin-Arlecchino aurait sans doute pu s’écrier :
« Oh Barbora, quelle connerie la guerre ! », ce
serait d’ailleurs assez dans le ton du personnage. Ce pourrait être
une de ses antiennes. Allons, tissons le linceul de ce vieux monde
ingrat, décevant, méprisant, militaire, guerrier et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Ce
matin, Matthias tarde à s’éveiller.
Les
souris dansent sur la pointe des pieds ;
Sur
la clôture perché, un coq s’égosille,
Le
soleil timide entame une séguedille,
Le
coq lance son clairon, c’est la paix.
La
chasse aux déserteurs s’étiole et se défait.
Dans
les villages, quelle fête, quel dimanche,
Pour
l’éclosion des fleurs blanches !
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Bientôt,
nous en serons au temps des cerises.
Barbora
son chiffon noué au-dessus de sa chemise
Rejoint
Matthias avec à l’épaule deux râteaux
Pour
faire les foins derrière les boqueteaux.
Elle
apporte l’eau et le pain. Tu as faim ?
Oh
Barbora, tu n’as pas mangé ce matin.
En
deux, Matthias brise et partage son quignon
Alors,
Barbora pleure en lorgnant l’horizon.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Partir,
demain, après-demain ? Il faut s’y préparer.
Arlequin
le sait, il a écrit à Prague pour solliciter,
Sous
le nom crypté de Vojtěch
Périnet, le droit d’animer
Ses
petites personnes devant les gens des petites localités.
Malheur,
le Périnet ignore la nouvelle loi
Qui
incorpore ad militiam comme soldat
Les
saltimbanques, les jongleurs et les marionnettistes ;
Ainsi
se referme la vie itinérante du dangereux artiste.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.