FERDINAND EST MORT
Version française – FERDINAND EST MORT – Marco Waldo M.I. – 2021
Chanson
suisse alémanique bernoise (Bärndüüdsch) – Dr Ferdinand
isch gstorbe – Mani Matter – 1969
Paroles
et musique : Hans-Peter Matter (Mani Matter)
L'APOTHÉOSE DES CHATS
Théophile-Alexandre Steinlen – 1905
|
C’est le milieu de la nuit et j’attends le Noir. Mais non, que diable comprenez-vous : je ne sanctifie pas une obscure entité infernale, ni ne me prépare à affronter un fasciste menaçant qui me l’a juré. J’attends Noir, un gros chat noir poilu, en fait, noir comme un tison, qui est en amour ces jours-ci, fait des concerts dignes de Von Karajan et arrive dans la cour fagoté de sorte qu’il semble un « Ecce Gatto » après des combats héroïques visant à peupler le quartier de chatons, et après de nombreuses bagarres avec d’autres chats. Avec mes habitudes de noctambule, je suis un véritable phare dans la nuit (à plus forte raison en période de couvre-feu) : il est plus de trois heures, ma porte est la seule éclairée dans un rayon de kilomètres (et elle est ouverte), les écuelles sont prêtes et déjà remplies et, on peut en être certains, bientôt Noir viendra prêt à tout nettoyer en deux minutes et deux dixièmes (*).
En attendant, m’est venue à l’esprit cette chansonnette de Mani Matter laquelle raconte son grand déplaisir face à la disparition inattendue de Ferdinand, un gros matou tué d’un coup de vase de nuit par son voisin habituel. Un gros matou qui, tout à fait dans l’esprit de « faites l’amour et non la guerre », préférait de loin baiser plutôt que donner la chasse aux souris et aux oiseaux. Pour cela aussi je veille la nuit : au cas où l’un de mes voisins se hasardait à faire du mal à Noir, chat magnifique baiseur, et lui faire faire la fin du Ferdinand de l’avocat Mani Matter. Si l’un de mes voisins avait osé faire du mal à Noir, un chat très excité, et le faire finir comme le Ferdinand de l’avocat Mani Matter (qui, en tant que tel et étant qualifié pour le faire, aurait dû faire condamner à la guillotine, le félinicide, M. Brändli), il aurait fait la dernière chose de sa vie. Avec un souvenir pour Nestor et Redelnoir, noirs eux aussi, dont je vois la queue suspendue à la faucille de la lune. Es tuet mer hüt no weh. [RV]
(*)
Chose
qui a été faite (mise à jour à 4 h 06)
Dialogue maïeutique
Oh, dit Lucien l’âne, Ferdinand est mort ! Ce qui n’est certes pas le cas de Saint Éloi, « Non, non, non, Saint-Éloi n’est pas mort », comme une chanson l’affirme. Ferdinand, lui, est mort, c’est bien triste, mais qui est donc Ferdinand ? Il doit y avoir un tas de Ferdinand dans le monde. Par exemple, moi, j’ai un cousin qui s’appelle Ferdinand et je ne sais même pas s’il vit encore. Alors, franchement, lequel est-ce ? Serait-ce encore un archiduc ? Aurait-on encore une guerre mondiale en perspective ?
Eh bien, répond Marco Valdo M.I., il n’en est rien, du moins en raison de la mort de ce Ferdinand-ci, qui a pourtant, il faut le souligner, était très vilainement assassiné par un haineux tueur vindicatif du voisinage, dont je ne veux même pas prononcer le nom. On le trouvera dans la chanson. Il est mort, le bienheureux Ferdinand, il a rejoint le champ des vierges éternelles. Mais assassiné salement, car ce ne fut pas d’un élégant coup de pistolet, ni d’un audacieux coup de poignard, ni de l’explosion d’une ingénieuse bombe, non, non, non, Ferdinand n’est pas mort de ces choses-là, Ferdinand est mort d’un coup de pot de chambre sur la tête.
En voilà une histoire, dit Lucien l’âne. Elle me paraît bien baroque. Cela dit, je ne sais toujours pas qui est ce Ferdinand, je ne peux même pas imaginer pourquoi on l’a assassiné.
Ne te désespère pas comme ça, Lucien l’âne mon ami, je m’en vas tout te révéler. Qui est Ferdinand ? C’était un chat, un chat chat, un gros chat, un chat père cent fois, un matou de son quartier (pour l’air voir le Shah shah persan de Jean Constantin), un de ces félins ordinaires qui n’avait que l’ambition de vivre sa vie et de remplir ses obligations génétiques, un agent darwinien, en quelque sorte.
Quoi, dit Lucien l’âne, serait-ce un suppôt de Dawkins ? Un de ces chats noirs aux allures libertaires, un de ces semeurs à tous vents, un de ces Stakhanov de la copulation, un roi de la bricole, un d’Artagnan à la flamberge héroïque ?
Un peu tout ça, en effet, reprend Marco Valdo M.I., un marathonien du sexe, un danseur étoile, mais avec en plus, un certain talent lyrique propre à briser les cœurs des chattes. C’est là son talon d’Achille, c’est par là qu’en quelque sorte bibliquement, il périt – contrairement à ce que prétendait l’Écriture (enfin, celle des chrétiens) dit : « remets ton épée à sa place ; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée ». Ce bon Ferdinand mourut d’avoir trop bien chanté sa vertu ; il importunait ainsi de ses vocalises érotiques certaines gens aigries et sans doute, jaloux de ses prouesses et de ses succès multiples auprès des chattes du quartier, un pisse-vinaigre d’un geste rageur a balancé de sa fenêtre un pot de nuit assommeur.
Comme on le voit, enchaîne Lucien l’âne, la Guerre de Cent Mille Ans emprunte des voies inattendues. Ah maille !, pauvre Ferdinand, il ne copulera plus. Dommage pour lui !
Certes, dit Marco Valdo M.I., très dommage, mais heureusement, il avait fort largement répandu sa semence, démocratiquement dispersé son patrimoine, et généreusement transmis ses capacités à une kyrielle d’autres Ferdinand aussi ardents qu’il ne le fut.
Ainsi, conclut Lucien l’âne, Ferdinand engendra Ferdinand, qui lui-même engendra Ferdinand et ainsi de suite, dans les siècles des siècles encouragé par la déesse Bastet. Il en va de même pour les ânes et pour les hommes tout au long d’un fil génétique qu’il convient seulement d’étendre encore et encore et de ne jamais interrompre, fût-ce au péril de sa propre existence. Gloire à Ferdinand !
Quant à nous, veillons aussi à faire notre devoir génétique, à transmettre (urbi et orbi) sans peur notre patrimoine cellulaire et tissons le linceul de ce vieux monde grincheux, sexué, lyrique, érotique, exotique, scientifique et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Ferdinand est mort,
Mort, mort, mort,
Ferdinand est mort,
J’en souffre encore aujourd’hui.
Ferdinand est mort,
Ferdinand a tant fait, lui,
Pauvre contrebandier,
Pour l’amour dans le quartier !
Comme il me plaisait
De voir passer Ferdinand,
Un chat si conquérant,
Personne n’en aura plus jamais.
Par l’amour toujours conduit partout,
Il laissait en paix les oiseaux et les souris.
Je me souviendrai toujours de lui
Le grand matou !
En
toute son
existence,
En toute sa vie d’insouciance,
Il ne chanta dans la cour
Que des chansons d’amour.
Ainsi, de bordée en bordée,
Il conquit ses bien-aimées.
Il chantait pour les chattes,
Mais pas pour des rattes.
Ardent, il donna naissance
À une énorme descendance,
Et depuis que M. Brändli
Le grand Ferdinand a tué,
Tous ces petits Ferdinand jolis,
Dans les jardins de la cité,
Consolent encore
Celui qui repense à sa mort.
On devrait punir ces gaillards,
Qui ferment leur cœur à l’art,
Qui ne peuvent ouïr,
Qui ne pensent qu’à dormir,
Qui comme ce Brändli
Qui avec un pot de lit,
Au pauvre Ferdinand
Fit un sort méchant.
Ferdinand
est mort,
Mort, mort, mort,
Ferdinand est mort,
J’en souffre encore aujourd’hui.
Ferdinand est mort,
Ferdinand a tant fait, lui,
Pauvre contrebandier,
Pour l’amour dans le quartier !