samedi 11 août 2018

Trinquons aux Gueux !


Trinquons aux Gueux !


Chanson française – Trinquons aux Gueux ! – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
79
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel –
III, XXXV)








Dialogue Maïeutique


Lors donc, Lucien l’âne, mon ami, nous avons laissé Till et Lamme enfermés comme des oiseaux en cage dans l’auberge de l’Arc-en-Ciel, entourés de filles et de happe-chair, chargés de les appréhender au corps. Tout le monde est là à faire la fête chez Stevenine. Une fausse fête, en quelque sorte, une fête qui sonne faux, où tous les fêtards font semblant d’y croire et attendent le dénouement. Stevenine, Gilline et les happe-chair sont convaincus de tenir le bon bout et savourent déjà leurs récompenses. Cependant, Till et Lamme pensent exactement l’inverse, car ils ont reçu un renfort qu’ils n’attendaient pas ; ce sont les Sept, sept bouchers des plus costauds, armés de leurs grands couteaux, envoyés par le baes des Gueux de la région, qui n’est autre que le patron de l’auberge de l’Abeille.

Je me souviens fort bien de tout ça, dit Lucien l’âne, mais ce qui m’intéresse à présent, c’est évidemment la suite. Que va-t-il se passer ? Je me doute bien qu’avec de tels renforts, la position de Till et de Lamme s’est considérablement améliorée et me semble-t-il, les probabilités de victoire ont changé de camp.

Tu comprends bien la situation, dit Marco Valdo M.I., ce qui n’est exactement le cas de Stevenine et des happe-chair qui croient encor tenir les oiseaux en cage et qui n’ont pas encore perçu les intentions des 7 bouchers. Soudain, l’action s’engage : Till lance le signal « Trinquons ! » et le répète sur une cadence et un son, qui comme dans le Boléro de Ravel, va aller en s’amplifiant jusqu’à créer une atmosphère étouffante, terrifiante et jusqu’à la victoire totale de Till et de ses amis.

Je suis tout impatient de voir cette chanson, dit Lucien l’âne, qui m’a l’air pleine d’action et de réserver certaines surprises. Puis, il nous faut reprendre notre tâche et tisser le linceul de ce vieux monde querelleur, orgueilleux, autosatisfait, présomptueux et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Till dit : « Trinquons encore !
Il fait meilleur ici que dehors.
Que celui qui a faim, mange !
Que celui qui a soif, boive !

« Nul ne sortira sans qu’il paie,
Ricane la Stevenine.
Et Till conclut : « À la fin du repas, je paie ! 
Silence, Messieurs, car chante la Gilline ! »

« Vois, je vends tout : mes charmes,
Mon âme et mes yeux bleus ;
Bonheur, rires et larmes,
Et la Mort si tu veux. »

Je n’en veux pas de ta Mort !
Même si les bateaux vont au port !
Trinquons dans des verres sonores !
Trinquons et rions encore !

Et Till jette tout à terre
Et donne le rythme à la colère.
Et Till tape son verre plus fort,
Et Lamme par-dessus clinque encore

Toute la salle vibre à la cadence
Et les Sept entrent dans la danse,
Et les bouchers sortent leurs coutelas,
Et les happe-chair reculent d’un pas.

Et les Sept et Till et Lamme
Rengainent leurs longues lames,
Ils brisent les verres et joyeux,
Ils grondent : « Trinquons aux Gueux ! »

Ils empoignent les chaises et furieux,
N’épargnant que les filles, ils tapent dur,
Ils cassent tout et le reste, en mesure.
« Trinquons aux Gueux ! Trinquons aux Gueux ! »

Till attrape par le col la Stevenine
Et lui fait manger ses chandelles
Et la belle Gilline chancelle,
Et se terre derrière sa viole, chagrine.

Et les filles rient de leur baesine
Déchue et moquent l’orgueilleuse Gilline.
Et Till et Lamme et les Sept, victorieux,
Martèlent à qui mieux mieux « Trinquons aux Gueux ! »

La Fête chez Stevenine


La Fête chez Stevenine


Chanson française – La Fête chez Stevenine – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
78
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel –
III, XXXV)



Dialogue Maïeutique


Ah, Lucien l’âne, mon ami, je suis content de te voir, car je viens de terminer cette chanson que j’ai intitulée « La Fête chez Stevenine », une drôle de fête, comme on le verra. Pour resituer la chose, Stevenine est la baesine (en français, la patronne) de l’Arc-en-Ciel, un établissement rempli de dames et de demoiselles dort accueillantes pour autant que le visiteur ait de quoi payer, si tu vois ce que je veux dire.

En somme, dit Lucien l’âne, ce sont des commerçantes.

En effet, mais pas seulement, Lucien l’âne mon ami, ce sont aussi pour certaines d’innocents appâts, pour d’autres d’authentiques traîtresses. Pourtant, tu as raison, ce sont des vendeuses d’amour et la baesine Stevenine, qui est assez âgée, se contente de vendre les charmes des autres et accessoirement, de vendre les clients aux autorités et principalement, s’ils sont des réformés ou des Gueux. Elle partage cette honteuse mission et les fruits qui en découlent avec la Gilline. Donc, Till et Lamme s’étaient fourvoyés dans cet endroit mal famé, dans cette souricière que Stevenine leur avait préparée : Lamme cherchant sa femme et Till, l’aventure. Et si Lamme, comme d’habitude, ne trouve pas sa femme ; Till par contre y trouve l’aventure et quelle aventure. Heureusement, le baes (en français : le patron) de l’Abeille, une auberge accueillante aux Gueux, a été averti du danger et vient à leur secours avec les Sept, qui ici sont sept bouchers particulièrement costauds et bien équipés de leurs grands coutelas. Au moment où commence la canzone, le baes vient de glisser à l’oreille de Till qu’il est là pour les sauver et lui indique la phrase pour déclencher l’action : Faire clinquer les verres. Faire clinquer les verres est une coutume locale qui consiste à casser tout dans l’estaminet en tapant les verres sur les tables et en répétant sur un mode particulier, cette phrase rituelle. Le reste est dit dans la chanson.

Eh bien, dit Lucien l’âne, il ne reste plus qu’à la découvrir et …

Pas tout à fait cependant. Lucien l’âne mon ami, tu vas trop vite. Je dois encore te dire deux ou trois choses. La première, c’est te faire noter cette apparition des Sept, qui renvoie au mystérieux message du Roi du printemps. La deuxième, c’est que cette canzone est l’exposition, la mise en scène de l’action à venir. Les personnages se mettent en place et s’installe une tension dramatique : la Stevenine provoque Till et se réjouit ouvertement, tout comme la Gilline, de ce que le piège se referme ; elles sont sûres de leur fait et de toucher la récompense. Le reste est à venir.

C’est bien ce que je disais, reprend Lucien l’âne, attendons la suite et pour ce qui nous concerne, tissons le linceul de ce vieux monde vénal, piégé, mortifère et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



« Baes sauveur ? Vraiment ?
Nous sauver de quoi ?
De la potence assurément
Où Stevenine nous envoie. »

« Les Sept sont là,
Sept pour te sauver,
Sept fort bouchers,
Sept amis pour toi.

Faire tinter les verres et s’amuser !
Trinquer, manger, rire, chanter !
Faire clinquer les verres et tout casser !
La fête peut commencer. »

Les Sept saluent la belle Gilline
Ils crient : « À boire et à manger ! »
Les Sept s’entendent à truffer
Les happe-chair et Stevenine.

Et les filles disent tout bas :
« L’espionne, trop belle, a mené,
Pour cent carolus, aux bourreaux du roi,
Plus de trente réformés. »

Till dit : « Je paie à manger et à boire
Dans des verres qui sonnent,
Des verres sur pied qui carillonnent,
Des verres qui clinquent dans le noir. »

Et les Sept crient : « À boire, Stevenine,
Dans des verres qui sonnent ! »
« L’oiseau est en cage !, chante la Gilline,
Et pour lui déjà, le glas sonne. »

« Buvons ! », disent les Sept ; « Buvons ! », dit Till.
« Pas de cage pour l’oiseau indocile ! 
À boire du vin et du meilleur :
Pour Gilline, trinquons tous en chœur ! »

« Till a les yeux brillants du cygne,
Si on les donnait aux cochons, dit Stevenine.
On le brûlera, on le marquera ;
Par quatre galères, on l’écartèlera. »

« En la mer, répond Till, on me jettera.
De mes bras, de mes jambes, les requins se régaleront
Et les restes de mes restes resteront
Pour le festin qui t’étouffera ! »