PATATES
Version
française – PATATES – Marco Valdo M.I. – 2016
de
la chanson : Kartoszki – écrite par Jan Vala au camp de
Sachsenhausen en 1942 ; d’autres sources l’attribuent à
Paul Rankow, un artisan communiste berlinois, prisonnier politique
durant des années à Sachshausen – disparu lors de son
incorporation au bataillon disciplinaire de la Wehrmacht.
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Patates à Sachsenhausen |
Ah !
Les patates, c’est la joie des familles ; du moins, dans
certains pays. Je ne sais pas si tu aimes les patates, ni si tu en
manges d’ailleurs, mais chez nous, la patate se mange souvent et de
diverses façons : cuites à l’eau (pas terrible!), à la
vapeur, c’est meilleur, avec du beurre, c’est délicieux,
mais trop de beurre, ça écœure. On les mange frites à la graisse
de bœuf ou de cheval, au saindoux, à al graisse végétale,
chaudes, froides, tièdes, baignant dans la sauce, écrasées, en
purée, en soupe, en gâteau… On l’accompagne de toutes sortes de
viandes, de poissons et de légumes. Que sais-je ?
Les patates, ce sont les pâtes du nord.
Mais sans aucun accompagnement, c’est la nourriture la plus
élémentaire. Quand elle n’est pas pourrie.
Oui,
j’imagine volontiers. Mais qu’est-ce
que c’est que cette histoire de « musulman » ?
Ah !
Je m’y attendais à ta question et elle est tout à fait
pertinente. « Musulman »
doit être ici interprété dans le contexte du camp de
concentration, du lager. Au camp, on appelait « Musulman »,
le prisonnier qui était au dernier stade du vivant ; un
« musulman » était en quelque sorte un « mort
ambulant ». Je te cite trois extraits de témoignages
de
gens
qui ont connu le camp et donc, ont vu des « musulmans ».
Le
professeur Robert Waitz (1947): « …
Dans de telles conditions de vie, le détenu, surmené, sous
alimenté, insuffisamment protégé du froid, maigrit progressivement
de 15, 20, 30 Kilos. Il perd 30%, 35% de son poids. Le poids d’un
homme normal tombe à 40 Kilos. On peut observer des poids de 30 et
de 28 kilos. L’individu consomme ses réserves de graisse, ses
muscles. Il se décalcifie. Il devient, selon le terme du camp, un
« Musulman ».
Le
Dr Aharon
Beilin,
médecin-prisonnier à l’infirmerie du camp d’Auschwitz ( au
procès Eichmann – 7 juin 1961) : « « Les Musulmans ?
Je les ai rencontrés pour la première fois à Auschwitz-Birkenau.
Le « musulmanisme » était la dernière phase de la
sous-alimentation. Il est très intéressant de voir qu’un homme
qui arrive à cette phase commence à parler de nourriture. Il y
avait deux sujets que les détenus d’Auschwitz considéraient comme
une espèce de tabou : les crématoires et la nourriture. »
Primo
Levi : « Les
« musulmans », les hommes en voie de désintégration,
ceux-là ne valent même pas la peine qu’on leur adresse la parole,
puisqu’on sait d’avance qu’ils commenceraient à se plaindre et
à parler de ce qu’ils mangeaient quand ils étaient chez eux.
Inutile, à plus forte raison, de s’en faire des amis : ils ne
connaissent personne d’important au camp, ils ne mangent rien en
dehors de leur ration, ne travaillent pas dans des commandos
intéressants et n’ont aucun moyen secret de s’organiser. Enfin,
on sait qu’ils sont là de passage, et que d’ici quelques
semaines il ne restera d’eux qu’une poignée de cendres dans un
des champs voisins, et un numéro matricule coché dans un
registre. »
Quant
à la chanson elle-même, à mon sens, c’est une variante d’une
chanson aussi populaire qu’anonyme très diffusée dans les pays où
on mange quotidiennement la pomme de terre. Toutefois, elle est
baignée d’ironie, c’est une de ces chansons qui organise la
résistance par le rire – Ora e sempre : Resistenza ! Mais
cette résistance par le rire à la patate, qui en l’occurrence
incarne l’enfermement et le régime alimentaire aussi insipide que
la patate à l’eau, était pratiquée depuis longtemps dans les
armées et les internats de nos pays (par exemple) où circulaient des chansons
(anonymes) sur le même thème ; moi, je connaissais cette
version, mon grand-père la chantait déjà et il avait fait la
Grande Guerre :
« Le
lundi, des patates
Le
mardi, des patates
Le
mercredi, des patates aussi
Le
jeudi, des patates
Vendredi,
des patates
Samedi, des
patates aussi
Mais le
dimanche,
Pour
tout dessert
Nous
mangerons des pommes de terre. »
Cette
chanson traditionnelle sur les patates a donc été adaptée au camp
de Saschsenhausen, comme elle a dû l’être un peu partout
ailleurs.
Alors,
dit Lucien l'âne en souriant, il doit dès lors en exister une
version dans de nombreuses langues et peut-être pourrait-on en
retrouver des interprétations en anglais, en allemand, en espagnol,
en polonais, en tchèque, en russe, en néerlandais, en hongrois, en
russe… Que sais-je encore ? En italien, peut-être même.
Probablement,
en
somme, c’est une variante
d’un classique, y compris du jazz. Une
dernière chose, j’ai
un tout petit peu modifié la fin de la chanson… La rime, toujours
la rime… Mais je trouve ce « patates à en crever »
rimant avec éternité, assez dur et exact, sur le fond.
Alors,
savourons la patate et reprenons notre tâche qui est de tisser le
linceul de ce vieux monde inutilement cruel, idiotement assassin,
insipide et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Chacun
pense en rêve à
un poulet gras et moelleux
Une
oie rôtie, à une côte de porc épaisse
À
du café au lait
avec crème, de la tarte
aux pommes sucrée
et tendre !Quand
j’y pense, j’ai
une envie de
pleurer terrible…
Mais moi je reste
ferme, donnez-moi
seulement le reste !
Les
patates, les patates,
que chacun aime
!Les patates,
patates plaisent
à tout homme
Le
lundi et le mardi, peu importeMais
seulement sept fois par
semaine.
Il
y en a qui aiment les patates bien cuites avec du bacon
(Le chef
mange les patates bien cuites avec du bacon)
D’autres mangent
les patates même avec des saloperies
(Et le musulman des patates
pourries )
Les patates ! Il y a des patates à en
crever ;
Patates, patates – dans l’éternité.