La
Renonciation
Chanson
française – La Renonciation – Marco Valdo M.I. – 2015
ARLEQUIN
AMOUREUX – 21
Opéra-récit
historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola
« Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le
titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J.
Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de
l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR
CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez
Flammarion à Paris en 1979.
Uniformes
Régiment Colloredo 1806 |
Dialogue
Maïeutique
Pour
finir, demande Lucien l’âne, où en est-on avec cet Arlequin
déserteur ?
Aux
dernières nouvelles, dit Marco Valdo M.I., il était rentré chez
lui, c’est-à-dire à la maison familiale, qu’il avait quittée
des années plus tôt, il y a certainement plus de onze ans ;
probablement selon mes calculs, treize ans. C’était une petite
maison, une de ces petites fermes couverte d’un toit de chaume, un
lieu d’une grande pauvreté, là-bas quelque part en Bohème.
Si
je me souviens bien, Marco Valdo M.I. mon ami, et n’hésite pas à
me corriger si je me trompe, Matthias avait découvert à son retour
que sa sœur aînée Katerina était morte et son mari l’avait
précédée et que Lukas, leur frère cadet, nanti d’une forte
veuve fiancée, occupait les lieux en entier propriétaire. Et si
j’ai bien compris la situation, il y avait là un conflit en
préparation et la tension était telle que le revenant, cédant à
l’humeur ambiante, avait envisagé un instant de repartir le
soir-même. Il y avait eu une conversation entre les deux frères et
une sorte d’accord était intervenu, renvoyant le nouveau départ
de Matthias au printemps. On en était là dans une sorte d’armistice
ou de trêve, mais il n’y avait, semble-t-il, rien de certain.
Bref, je ne sais plus trop où en est toute cette histoire du retour
du soldat-déserteur.
Et
là, Lucien l’âne mon ami, tu as mis le doigt sur le point le plus
douloureux de cette fraternelle affaire. Soit Matthias est revenu,
mais la question se pose en termes plus rudes. Il y a une guerre qui
s’installe, car du point de vue des occupants, qui s’y sentent à
demeure, Matthias est un gêneur ; on le croyait mort, tous
comptes soldés en quelque sorte, et le voilà revenu. Et somme
toute, à bien y regarder et conformément au droit, Matthias l’aîné
a des droits sur les biens familiaux. Certes, il a déclaré qu’il
s’en irait avant l’été, mais est-ce si certain ? Pour
finir, on n’a jamais que sa parole, des mots et pas de témoins,
autant dire rien. Car, cela est possible, entretemps, il pourrait
toujours changer d’avis ; on ne sait jamais. Cependant, les
paroles s’envolent, les écrits restent. Partant de là, il importe
que Matthias mette par écrit son intention, sa renonciation.
On
imagine aisément, dit Lucien l’âne, tous ces conciliabules entre
Lukas et Rosalie, sa puissante dulcinée. J’en perçois jusqu’au
bout des tous mes ongles toute la mesquine cupidité. Pourtant, il
faut être lucides : qu’auraient pu ambitionner d’autres ces
gens auxquels le destin avait fait un cadeau si empoisonné ?
Donc, je suppose que Matthias, Arlequin subtil et peu enclin à
s’ancrer en terre de Bohême à portée des recruteurs de son
ex-régiment de Colloredo, va leur signer ce foutu papier et sur
cela, je lui donne par avance mon absolution.
Absolution
d’âne est absolution absolue, mais absolution asinesque ou pas,
reprend Marco Valdo M.I., Matthias signe la renonciation.
« Moi,
Matĕj Kŭre,
fils de Josef, mon père,
Renonce
à tout en faveur de Lukas, mon frère. »
Sans
me faire l’avocat du Diable, je te ferai remarquer, dit Lucien
l’âne, que cette renonciation, tout écrite qu’elle est, n’a
qu’une valeur très relative et peut être contestée par le
signataire, lequel peut toujours faire valoir qu’il a changé
d’avis ou que les conditions ne sont plus réunies, qu’on l’a
trompé et ainsi de suite. Je t’accorde pourtant qu’il s’agit
là d’une sorte d’acte de trêve.
Je
vois, Lucien l’âne mon ami, que tu sens très bien les nuances de
cette situation difficile et de cet accord précaire. D’ailleurs,
nostalgie, retour à l’enfance, rêve d’amoureux, Matthias
balance encore : un peu, beaucoup, plus du tout et puis, on
recommence. Toute cette méditation, tout ce monologue est une part
du dialogue secret que mène Arlecchino depuis longtemps avec
Arlecchina. L’affaire est complexe, car il faut remarquer que la
personnalité de notre héros est composite : si Matthias, Matĕj
Kŭre, fils de Josef, est
lié à ce lieu familial, Arlequin, Arlecchino, Luigi, Sevastiano,
quant à lui, n’a pas d’attache terrestre, pas de lieu.
En
somme, Marco Valdo M.I. mon ami, Arlequin n’est pas Matthias, même
s’il partage avec lui (et d’autres comme on a vu) le même corps
et le même cerveau. Ce qui ne saurait nous surprendre, nous qui
sommes trois en un. Suffit, on n’est pas là pour théoriser ces
épais brouillards théologico-psychologiques. Alors, tissons le
linceul de ce vieux monde fumeux, propriétaire, cupide et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Un
homme averti en vaut deux !
Pollo,
ne va pas t’enraciner ici
Entre
les poules et les œufs,
À
mener à paître les vaches, à tâter leur pis !
Lukas,
mon propre frère,
Soupire
sans cesse et espère.
Je
sais ce qu’il attend,
Que
je reparte, tout bonnement.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Moi,
je ne bougerai plus d’ici, Arlecchina !
Dans
la soupente, Matthias restera.
Mais
Lukas, le bien aimé, veut sa maison
Et
Rosalie sa douce veuve fiancée tient le bâton,
Moi,
Matĕj Kŭre,
fils de Josef, mon père,
Renonce
à tout en faveur de Lukas, mon frère.
Papier
signé, dans le coffret caché,
Matthias
gêne, Matthias ne peut rester.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Sur
le banc façonné du matin
D’une
planche d’épicéa et de deux rondins,
Bouder
le village, se tenir loin des gens,
C’est
prudent, mais pas suffisant.
Matteo
Pulcino soupire rêveur :
« Arlecchina,
il est divin ce petit bonheur. »
« Le
bonheur ? Ô tu me tentes, mon cœur.
Mais
vois-tu, Pollo, tu es déserteur. »
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.