LA FEMME LUNAIRE
Version française – LA FEMME LUNAIRE – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson
guatémaltèque (de langue espagnole) – Mujer
lunar – Rebeca
Lane – 2014
Le
Guatemala est un des pays où les violences sexuelles contre les
femmes sont les plus nombreuses. Rebeca Lane, sociologue et rappeuse,
met en musique une nouvelle image de la femme : ni Dieu, ni
Patrie, ni mari, ni parti.
Dialogue
Maïeutique
Oh,
Marco Valdo M.I., dis-moi, j’aimerais savoir ce qu’est une femme
lunaire. Je suppose qu’elle n’a rien à voir avec le Pierrot
lunaire.
Tu
vois, Lucien l’âne mon ami, je m’en vas te donner une réponse
ambiguë, à la manière des Normands. Peut-être bien que non, mais
peut-être bien que oui. D’abord, ce Pierrot Lunaire date de plus
d’un siècle (Albert Giraud le publia en 1884) et a tous les airs
d’un clown triste, un personnage pâle, tout chez lui manque de
couleur, comme la pleine lune laiteuse.
« O
Lune, nocturne phtisique,
Sur le noir oreiller des cieux !
Mais dans sa volupté physique
L'amant qui passe insoucieux
Prend pour des rayons gracieux
Ton sang blanc et mélancolique,
O Lune, nocturne phtisique ! »
Sur le noir oreiller des cieux !
Mais dans sa volupté physique
L'amant qui passe insoucieux
Prend pour des rayons gracieux
Ton sang blanc et mélancolique,
O Lune, nocturne phtisique ! »
Vu
ainsi, la réponse est nettement non. Mais si l’on prend au pied de
la lettre l’affirmation de Rebeca Lane (ne serait-ce pas ta
cousine ?) : « Je suis un être lunaire », là,
c’est incontestablement oui.
« Je
suis une femme, je suis un être lunaire.
Je
passe comme la lune de l’obscur au blanc. »
Et
tout cela renvoie à la façon dont la Lune elle-même est considérée
dans la tradition. Au travers des siècles, cet astre changeant a
toujours eu la réputation d’engendrer certaines humeurs chez les
femmes, de les rendre parfois mélancoliques – comme le Pierrot,
mais aussi souvent, combattives et ardentes comme l’est la « mujer
lunar ». Je pense que c’est ce deuxième sens qui est celui
qu’il faut entendre dans la chanson. Une femme de caractère,
libre, peut-être fantasque, mais sûrement revendicative et digne.
Oh,
je vois, une femme de caractère, dit Lucien l’âne. Au fait,
j’aimerais bien que ce soit ma cousine ; elle m’a l’air de
ne pas vouloir se laisser faire et d’avoir les pieds sur terre.
C’est
ainsi que je le ressens aussi, reprend Marco Valdo M.I., mais il ne
faudrait pas réduire le propos et oublier qu’il y a derrière tout
ça, un puissant ressort qu’est le combat féministe, la lutte pour
la dignité des femmes, la revendication majuscule qui ouvre la
chanson :
« Ni
dieu, ni patrie, ni mari, ni parti.
C’est
comme ça que je suis née, c’est comme ça que je vis. »
Elle
me plaît bien cette ouverture, dit Lucien l’âne. Elle m’a tout
l’air d’une manière féministe d’agrémenter le « Ni
Dieu, ni Maître ». Quant à nous, tissons le linceul de ce
vieux monde sexiste, inégalitaire, indigne, oppresseur et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Ni
dieu, ni patrie, ni mari, ni parti.
C’est
comme ça que je suis née, c’est comme ça que je vis.
Depuis
que maman me mit au monde.
On
a teint de rose le chemin de ma vie.
Mais
maman, moi, j’aime le mauve.
J’aime
la poésie et la mélancolie
Je
ne crois ni aux contes de fées, ni aux fantômes.
Je
veux être à moi, je ne serai à personne
Tous
les matins, Je me raconte une histoire
J’ouvre
mes ailes, je fuis le paradis avec Lilith et les mauvaises filles.
Je
ne crois pas qu’en haut quelqu’un nous juge.
Je
vais improviser, je suis souveraine de mes actes.
Je
suis une femme, je suis un être lunaire.
Je
passe comme la lune de l’obscur au blanc.
Je
porte la semence dans mon ventre,
De
mon utérus sont nés tous les gens.
De
mon sang menstruel chaque mois
Naît
la vie, car de ta côte, elle ne sort pas.
Je
ne suis pas venue au monde pour ton bonheur,
Ni
pour que tes coups m’abreuvent de douleur.
Ils
voudraient que je sois chaste et pure,
Sans
désirs et sans doutes,
Que
mon bonheur soit dans la cuisine
À
faire des ragoûts qui méprisent ma dignité
Vouloir
être à une maison enchaînée,
Être
mariée, tomber enceinte,
Donner
des enfants au système et si le ventre se serre,
Apprendre
à vivre la pauvreté en silence.
Pour
chaque coup que tu me donnes, l’univers est ébranlé.
Pour
ça je me défends et je ne peux accepter
Les
princes qui viennent me sauver
Avec
des compliments et de l’argent, viennent m’insulter.
Je
suis une femme, je suis un être lunaire.
Je
passe comme la lune de l’obscur au blanc.
Je
porte la semence dans mon ventre,
De
mon utérus sont nés tous les gens.
De
mon sang menstruel chaque mois
Naît
la vie, car de ta côte, elle ne sort pas.
Je
ne suis pas venue au monde pour ton bonheur,
Ni
pour que tes coups m’abreuvent de douleur.
Comme
j’ai un corps de femme, ils veulent que je sois tendre.
Mais
ils me traitent de salope, si je montre mes jambes en rue.
Plus
qu’une femme, les gens cherchent une bonne.
Mieux
encore silencieuse et les jambes ouvertes.
Je
suis un fruit complet, je ne suis pas une demi-orange.
Je
suis ce que je veux. Je ne suis pas une pute et je ne suis pas un
saint.
J’entends
être traitée au minimum comme un humain .
Face
à ce délire collectif, je m’émancipe, j’abdique.
Je
n’accepte pas les rôles imposés.
Je
ne t’aime pas pour ton sexe, mais pour ce qu’on partage.
La
liberté, c’est quand on n’est plus catalogué ;
C’est
le poing levé pour célébrer les guerrières.
Comme
à la montagne sont les guérilleros,
Sont
aujourd’hui les rappeuses au micro :
Survivantes
de la violence, mères célibataires,
Sœurs
féministes de la planète Terre.