dimanche 27 décembre 2020

BALLADE DES BONNES CERISES

BALLADE DES BONNES CERISES

 

Version française – BALLADE DES BONNES CERISES – Marco Valdo M.I. – 2020

Chanson allemande – Ballade vom gut KirschenessenWolf Biermann – 1989-90




 

Le Politburo en route vers l’avenir

LA PARABOLE DES AVEUGLES

Pieter Brueghel - 1568




Le Mur était tombé depuis peu et en février 1990, lors d’un concert à Altona, Hambourg (la ville du martyr antifasciste Bruno Tesch et des nombreux autres qui ont été tués par les nazis durant l’été 1932), Wolf Biermann chanta, entre autres, cette belle ballade dédiée à un de ses amis, également martyr du totalitarisme : Robert Havemann.

Robert Havemann (1910-1982) était chimiste. À l’avènement du nazisme, il était déjà chercheur universitaire à l’Institut Kaiser Wilhelm. Pas de chance, Robert Havemann était communiste, et pas seulement cela ; il devint rapidement un membre actif de la Widerstand, la résistance allemande. Arrêté par la Gestapo en 1943, il fut condamné à mort, mais l’exécution de la sentence fut continuellement reportée, grâce à l’intercession de certains de ses anciens collègues qui firent croire aux nazis que les recherches du chimiste communiste étaient essentielles dans le domaine de la guerre.

Ainsi de suite et après des mois, les troupes soviétiques arrivèrent également à la prison de Brandebourg-Görden où Robert Havemann était enfermé, toujours vivant…

Après la guerre, Robert Havemann devient directeur de l’Institut Kaiser Wilhelm à Berlin-Ouest, mais très vite, il se retrouva en conflit avec les autorités américaines qui exerçaient une forte pression sur les programmes du centre.

Ils le licencièrent en 1950. Robert Havemann passa à l’université Humboldt de Berlin-Est, remportant des prix importants pour ses recherches et devenant membre du Parlement.

Mais en 1963, l’idylle apparente avec les autorités communistes s’effrange : Robert Havemann présente une étude intitulée « Dialectique sans dogmatisme : les sciences naturelles contre le communisme ». Je ne pense pas que les gros « coquelicots rouges » de l’époque se soient donné la peine de le lire. Le professeur Havemann a été instantanément expulsé du Parti et de l’Université et, en fait, à partir de ce moment, il a été placé en résidence surveillée dans le village de Grünheide, dans le Brandebourg, où il est mort en 1982 après une longue et douloureuse bataille contre le cancer du poumon.

En 1989, Robert Havemann a été « gracié » et « réhabilité »” par le Sozialistische Einheitspartei Deutschlands.

Depuis 2005, Robert Havemann est à Yad Vashem à Jérusalem en tant que « Juste des Nations ».



Dialogue maïeutique


À mon avis, Lucien l’âne mon ami, Wolf Biermann, l’auteur et l’interprète de cette Ballade des bonnes cerises (Ballade vom gut Kirschenessen) – titre qu’il eût fallu traduire par Ballade du bon mangeur de cerises, mais comme on sait, je ne traduis pas –, outre que d’être un familier de François Villon, auquel il dédia sa Ballade du Poète François VillonBallade auf den Dichter François Villon, est aussi sans doute assez familier d’Arthur Rimbaud et particulièrement de ce qui concerne la guerre de 1870.


Ah bon !, dit Lucien l’âne, et qu’est-ce qui te fait dire ça ?


Les corbeaux, mon ami Lucien l’âne, les corbeaux, ne t’en déplaise, les corbeaux, funèbres oiseaux noirs. Je suis aussi sensible au ton de la chanson, à l’allusion à la Commune, à cette manière si particulière qui est celle des poètes. Des poètes, justement ! Dans cette chanson, Wolf Biermann se décrit, se dénomme, se plante dans le décor, se met en scène, s’engage, tout ce qu’on voudra, comme poète. Mais ce n’est là qu’un aspect de la chanson.


Ah oui ?, dit Lucien l’âne. Je l’imaginais bien, vu que le titre parlait de cerises. Et d’abord, quand même, qui est ce mangeur de bonnes cerises ou est-ce un bon mangeur de cerises ? Je ne sais trop ; les deux peut-être.


Eh bien, répond Marco Valdo M.I., c’est comme qui dirait le héros auquel est dédié la ballade – Robert Havemann. Un héros, véritablement particulier, une sorte d’anti-héros – tous régimes confondus ; toujours en rupture avec l’establishment ; comme Wolf Biermann lui-même, comme le fut, par exemple, Carlo Levi sous le fascisme.


Oh, dit Lucien l’âne, dissidence et résistance sont souvent une seule et même chose et l’une comme l’autre sont difficilement solubles dans la normalité du pouvoir.


Et puis, dit Marco Valdo M.I., donc, ces deux dissidents, tous deux déjà ostracisés dans leur propre pays, se retrouvent dans le jardin, au mois de juin 1989 ou celui de l’année suivante – c’est le temps des cerises, c’est le moment d’aller siffler – merle moqueur – entre les branches. Il y a une pie dans le cerisier, j’entends la pie qui chante, il y a une fille dans le cerisier, j’entends la fille chanter. C’est donc un moment symbolique que ce temps des cerises et Wolf Biermann trace un tableau philosophico-poétique de ces retrouvailles de deux amis.


Il y a, énonce Lucien l’âne, du Diogène dans ce réfugié politique perché – comme un baron d’Italo Calvino – dans ses branches. Et puis, cette fille (de ton invention) dans le cerisier me fait penser à la demoiselle sur une balançoire, dont « on pouvait voir ses jambes blanches sous son jupon noir ».


Pour en finir quand même, dit Marco Valdo M.I., sinon il n’y aura plus assez de temps pour la chanson, je voudrais attirer l’attention sur la confrontation avec les corbeaux et aussi à ce crépuscule du rouge qu’ils annoncent :


« Soudain, le ciel devint noir

De milliers de funèbres oiseaux noirs ;

La nuée s’envola dans la nuit éternelle

Et dans la bruine, croassa toujours plus haut.

(Devant tout le Politburo) :

« Au rouge crépuscule –

Au rouge crépuscule,

Au moment du rouge crépuscule. »


Oui, dit Lucien l’âne, j’y prendrai garde. Cela dit, tissons le linceul de ce vieux monde aux couleurs changeantes, aux irisations multiples, chatoyant, parsemé de fleurs, de fruits, de feuilles et de branches et pourtant, cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane





Encore à moitié endormi ce matin,

J’ai fait un beau rêve enfantin.

Vivant, Robert, mon vieil ami,

Au milieu des cerises était assis ;

À Grünheide sur Möllensee dans le jardin,

Robert Havemann était assis ;

Assis sur une branche, joyeux, il cria :

Viens, poète vers moi !

Viens, poète !

Viens, poète !

Viens, poète !

Poète, approche-toi de moi.



Il me jetait des cerises de là-haut

Et me crachait des noyaux

Bienvenue, Wolf et il riait de moi,

Tu es de retour chez toi

Pas revenu en enfant perdu,

Pas devenu docile et brave gars,

Pas revenu en chien battu

Et pas non plus,

Et pas non plus,

Et pas non plus

Comme un mouton noir,

Comme un mouton noir.



Wolf, sors tes cordes chantantes et chante

Le paradis terrestre ;

Oui, chante-moi l’enfer sur terre

Et chante-moi Le Temps des Cerises.

J’ai sorti de ma guitare

La chanson de la Commune.

L’air si aigre, si doux,

L’air si aigre, si doux,

Je chantais en allemand, je chantais en français,

Je fredonnais heureux comme jamais.



Je chantai mes anciennes, mes nouvelles,

Je chantai mes chansons les plus belles.

Soudain, le ciel devint noir

De milliers de funèbres oiseaux noirs ;

La nuée s’envola dans la nuit éternelle

Et dans la bruine, croassa toujours plus haut.

(Devant tout le Politburo) :

« Au rouge crépuscule –

Au rouge crépuscule,

Au moment du rouge crépuscule. »



En vol, contre le vent, croassaient

À l’est, les corbeaux ensorcelés.

Maintenant, ils nous ont tous pardonnés

Ce qu’ils nous ont fait

Dans mon mi-éveil, ce matin tôt

J’ai fait le plus fou des rêves, le rêve le plus beau

Et Robert riait comme quand il était vivant

Là-haut, là-haut,

Là-haut, là-haut,

Là-haut, là-haut,

Dans le cerisier,

Dans le cerisier.


mercredi 23 décembre 2020

Ô TOI, MON AUTRICHE !


Ô TOI, MON AUTRICHE !


Version française – Ô TOI, MON AUTRICHE ! – Marco Valdo M.I. – 2020

avec l’aide de la traduction italienne de Riccardo Venturi – OH TU, AUSTRIA MIA !

d’une

Chanson allemande – Oh, du mein Österreich ! – Erich Kästner1946


Texte d’Erich Kästner, pour cabaret littéraire à Die Schaubude à Munich (1945-48).

Sur la mélodie de la marche du même nom de Franz von Suppé (1849).

Texte in Geschichte und Poetik des österreichischen Kabaretts









Du haut de la Dachstein à Vienne : troulala hiho !



À la fin de la guerre, Erich Kästner s’installe à Munich et se consacre à la mise en scène de spectacles musicaux grâce auxquels il parvient à illustrer et à stigmatiser avec férocité tous les maux de cette sombre période de l’après-guerre. Marschlied 1945 et Lied vom Warten remontent à ces années-là, où l’Allemagne était une immense salle d’attente remplie de millions de femmes incertaines du sort de leurs hommes… Mais les chants accusateurs et les blagues vitrioliques atteignent leur apogée dans le « Deutsches Ringelspiel », le « German Round Trip », une production de l’automne 1946, qui comprend Die Jugend hat das Wort, une attaque véhémente contre la génération des pères, responsables de l’arrivée au pouvoir de Hitler, et ce « Oh, du mein Österreich ! » , couplet non moins impitoyable dédié par Kästner à l’Autriche, qui s’est déclarée victime innocente du nazisme, écartant complètement l’enthousiasme avec lequel elle avait accueilli l’Anschluss en 38. […] C’est ainsi que le numéro est apparu au public du Schaubude : sur scène, quatre jeunes hommes en short de cuir, avec des moustaches à la Hitler, récitent des vers de Kästner avec en fond une valse. À la fin de chaque couplet, ils yodèlent et dansent le Schuhplattler typiquement tyrolien. Ils répètent que le Danube n’a jamais été brun, mais seulement bleu, qu’il ne faut pas croire ce que disent les journaux et que voter pour Hitler n’était qu’une « petite blague ». Ce qui compte vraiment, c’est « le caractère viennois en or », dit la renversante finale.



La désormais mythique « Ronde allemande » d’Erich Kästner est une sorte de cercle infernal où défilent un à un tous les personnages les plus louches de l’après-guerre. Véritable danse macabre, elle présentait une scénographie complexe et grandiose ; le Schaubude, en effet, grâce au travail d’équipe d’artistes ingénieux et innovants, avait changé le schéma traditionnel du Kabarett, basé sur la succession de numéros uniques, au profit d’un spectacle basé sur un seul grand thème dont les chansons, interprétées par différents personnages, faisaient partie intégrante.

La « Ronde allemande » était l’exemple le plus frappant de cette nouvelle tendance dans le grand Kabarett de Munich.


Extrait de « Kabarett ! : Satire, politique et culture allemande sur scène de 1901 à 1967 », par Paola Sorge, Elliot, 2014.


Commentaire de la traduction italienne de Riccardo Venturi.


La marche patriotique « O du, mein Österreich ! » est une des compositions les plus célèbres du Dalmate Francesco Suppé Demelli, né à Split en 1819, qui faisait alors partie de l’Empire des Habsbourg. Et le musicien était fidèle à l’empire des Habsbourg, au point de changer son nom en « Franz von Suppé », avec lequel il est entré dans l’histoire. Vous connaissez tous la marche pour l’avoir entendue plus ou moins chaque 1er janvier lors du concert du Nouvel An diffusé en Eurovision :


Le fait qu’Eric Kästner l’ait utilisé à nouveau pour cette pièce légèrement satirique sur l’Autriche et son attitude d’avant et d’après-guerre est une moquerie qui revient à l’actualité : dans l’Autriche d’aujourd’hui (et pas seulement en Autriche, cela va de soi…) certaines choses ne semblent jamais s’être démodées. Il y a quelques jours à peine, deux touristes britanniques qui s’étaient arrêtés dans un Gasthof soigné comme celui peint par Kästner ici, ont été accueillis à l’entrée par une belle photo du grand-père du propriétaire en uniforme SS avec une croix gammée sur le mur (« un souvenir de famille », a déclaré le propriétaire en question). Le natif de Dresde Kästner s’est méchamment mis dans l’ambiance, en écrivant cette pièce intentionnellement pleine d’idiotismes autrichiens (pour laquelle j’ai sorti l’Österreichisch für Anfänger, le petit dictionnaire autrichien qu’un jeune homme de 21 ans en camping-car a acheté à Vienne en 1984). Il s’ensuit que la traduction est parsemée de notes : sans elles, il serait assez difficile de comprendre pleinement le texte.




Nous sommes les Ostmärker, nous, les Autrichiens, pardon.

Mes respects, Monsieur le Baron.

Les clochards du Reich allemand, renvoyés à la maison.

Nous sommes une glorieuse nation.


Il ne faut pas croire les journaux, madame,

Je vous baise la main, ma chère dame !

Il n’a jamais été brun le Danube bleu,

Notre Danube bleu a toujours été bleu.


On s’est dit quand ça a commencé :

« Par ce falot, on ne se laissera pas berner ! »

Jamais dans le Reich, on n’a voulu entrer,

On voulait juste demeurer plus riches dans notre foyer.


Parfois, il semblait en être autrement, même si

Nous avons toujours été contre lui !

Il a peint tout en brun les Prussiens,

Mais chez nous, il n’est arrivé à rien.


Comment peut-on croire l’un d’entre nous, devenant

(anxieux) Membre du Parti ?

Membre du Parti ?

Nous n’agissons pas si légèrement.


Du haut de la Dachstein à Vienne : troulala hiho !

Contre lui, nous avons toujours été !

Et pourtant, que nous a pas conté

Le conteur d’histoires de Braunau.


Le seul faux pas que nous ayons commis,

Ce fut de voter deux fois pour lui.

Ce n’était pas un facteur décisif,

C’était plutôt un canular inoffensif


L’important, c’est notre caractère fort

Et de Vienne, le cœur d’or !


Oui, oui, nous Ostmärkers, pardon, nous Autrichiens.

Bonsoir, mon colonel !

Nous allons valser, – plus jamais de rapin !

Nous créons du vrai culturel !


La loyauté inconditionnelle est un héritage sacré.

Votre esclave Mademoiselle, mignonne enfant !

Nous sommes un peuple montagnard très accueillant.

Dans nos Alpes, il n’y a pas de péché.


Comme nous avons à nouveau la paix,

Vous êtes bienvenus dans notre hôtel !

Bonsoir, Monsieur ! Bonsoir, Mademoiselle !

Monsieur le Baron, mes respects !


Innsbruck, St. Johann, Salzbourg,

La saison recommence !

La neige brille. Les lacs sont immenses.

Quand vous en aurez envie, faites le détour !


Pour les voyageurs d’un passeport allemand munis,

(anxieux) C’est in…

C’est in…

C’est tout à fait interdit !


Notre chancelier l’a ordonné :  troulala hiho !

L’Allemagne ne peut pas se redresser !

Maintenant, les barrières tombent à nouveau.

Nos spectacles sont déjà commandés.

Bienvenue aux dollars, aux francs,

Aux livres du monde du monde entier !


L’argent est un facteur important

Même si le cœur n’a pas parlé.

L’essentiel, c’est le caractère,

Et le nôtre, on ne peut pas le contrefaire !


mardi 22 décembre 2020

LES PETITS HÉROS FATIGUÉS

LES PETITS HÉROS FATIGUÉS


Version française – LES PETITS HÉROS FATIGUÉS – Marco Valdo M.I. – 2020

Chanson italienne – Piccoli eroi stanchi PeggiorItalia – 2020






Dialogue maïeutique


Oh, dit Lucien l’âne, « les petits héros sont fatigués », ça me rappelle quelque chose, on dirait le titre d’un film.


En effet, Lucien l’âne mon ami, j’avais eu la même sensation quand j’ai vu le titre en italien « Piccoli eroi stanchi », mais ce peut être seulement une coïncidence ou alors, une réminiscence inconsciente. Le film « Les héros sont fatigués » est sorti depuis longtemps de l’affiche, car il date quand même de 1954. Cependant, on ne sait jamais. Cela dit, la chanson n’a rien à voir avec ce film où d’anciens aviateurs guerriers ennemis trafiquent ensemble du diamant et se racontent leurs souvenirs. Rien de rien qu’elle a à voir.


Je le pensais aussi, Marco Valdo M.I. mon ami, et je me demandais évidemment, du coup, de quoi ou de qui il est question dans cette chanson. Dis-le-moi, ça m’intéresse. Toutefois, avant que tu me répondes, je voudrais te remémorer tes chansons où il est question de héros, question de montrer que j’apprécie ce que tu fais. Il y a La Loi des Héros, Nicolas le civil et le Héros militaire et la Bravade héroïque.


Eh bien, voilà, dit Marco Valdo M.I., ces « petits héros fatigués », ce sont les enfants qui sont contraints de travailler pour assurer leur subsistance et souvent aussi, celle de la famille ; certes, certains d’entre eux sont moins écrasés, car ils ne travaillent pas ou qu’ils sont encore trop jeunes pour passer déjà sous le joug et que leur rendement s’en ressentirait. Par contre, ils s’en vont tous tout autant à la dérive. Ces enfants-là sont à de très rares exceptions près, condamnés à une vie peu enviable.


Je sais cela, dit Lucien l’âne, je l’ai même souvent rencontré. Et puis, il y a ceux qui sont encore moins bien lotis, ceux qui survivent en fouillant les poubelles ou qui vivent carrément sur les décharges d’immondices.


Tels sont les « héros » de cette chanson, reprend Marco Valdo M.I., tandis qu’à l’opposé, on y trouve des anti-héros, c’est l’avant-garde de l’humanité consommatrice, les « repus ». Loin de moi, l’idée qu’il faudrait aller à contre-courant, qu’il faudrait régresser ; je trouve satisfaisant le fait que chacun ait un logement, un coin où dormir, de quoi s’habiller, manger, apprendre, se laver, que sais-je, se distraire, mais tout est question de mesure et d’équité. À mon sens, c’est là que réside le nœud de la Guerre de Cent Mille Ans, cette guerre que les riches font aux pauvres pour accaparer les richesses, pour détenir le monde et les choses, pour se vanter de l’avoir, pour jouir en exclusivité, et ainsi de suite, on y mettrait une encyclopédie.


Oui, dit Lucien l’âne, trop, c’est trop ; l’ennui, la souffrance, l’épuisement, la maladie des uns sont les ingrédients nécessaires du confort de la frivolité des autres et à ce jeu de domination et de plastronnage, ces « petits héros fatigués » sont des victimes directes. On a supprimé l’esclavage chez les humains, dit-on, mais c’est faux. Ces petits héros fatigués ont tout de l’esclave, du serf ou de l’ilote ; on les traite comme des sous-hommes.


En effet, Lucien l’âne mon ami, pourtant, ils entrent en ligne de compte, ils sont inclus dans l’équation qui régit ce monde : « Combien faut-il de pauvres pour faire un riche ? ».


Oui, dit Lucien l’âne, l’affaire est claire : du point de vue du système, il faut maintenir une inégalité, car comment être riche, si tout le monde est riche. Les pauvres et toutes les misères sont indispensables au système, ils sont les sources et le réservoir de la richesse. Alors quand j’entends le mot richesse, j’entends une musique funèbre et détestable ; celle qui accompagne de son absence cette grande dépression humaine qu’est la vie superflue. Je songe alors que des hommes ont maltraité les ânes comme ils maltraitent ces « héros fatigués », petits et grands. Il faudrait quand même un jour arriver à faire appliquer La Déclaration universelle des Droits de l’Âne. Allons, en avant, y pas d’avance, il faut rire et vivre quand même et tisser le linceul de ce vieux monde riche, poussif, étouffé, repu et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






Ils vivent mal, pire que vous imaginez,

Une vie sans jeux, qui passe à travailler,

Sans avenir, désireux de partir,

La maladie est leur seul devenir.



Les petits héros fatigués,

On ne les voit pas, ils vont par milliers.

Les petits héros sont mis sur le côté,

Ils sont toujours humiliés.



Dans leur immeuble de banlieue, sans malice,

Ils ont appris à fuir la police,

Aux aléas d’internet, leurs parents les ont laissés

Entre violence et combats, mais on ne peut vivre ainsi.

À l’école, on leur colle une étiquette, on dit

Qu’ils portent malheur, qu’ils ne sont pas intégrés.

Inadaptés, survivants d’une nouvelle guerre,

Ils se relèvent, mais retombent à terre.



Les petits héros fatigués…



Vous préférez ne pas les voir ; il y en a tant,

Vous êtes pressé, vous n’avez pas le temps.

Ils sont nombreux, qu’est-ce que ça peut faire ?

Tant qu’ils ne se rebellent pas et savent se taire.

S’ils sont malades, personne ne le remarque,

La fumée toute la journée les suffoque,

À l’âge où les enfants pensent à jouer.

Elle me dégoûte de plus en plus, cette société.



Les petits héros fatigués…



Vous les exploitez, mais vous vous le cachez.

Quand un nouveau vêtement, vous achetez,

Quand de modèle de portable, vous changez,

D’enfants lointains, la souffrance vous ignorez.



Les petits héros fatigués



Ils vivent dans la rue, des vies délabrées

Dans les banlieues dégradées et délaissées.

Condamnés sans avoir commis de délits,

Enfermés comme des bandits.

Certains rêvent toujours de liberté,

D’autres fuient ou se laissent aller

Et si le sourire devient difficultueux,

Certains rêvent toujours d’un avenir fabuleux.



Les petits héros fatigués