TRAVAILLER
AVEC LENTEUR (2019)
Version
française – TRAVAILLER AVEC LENTEUR – Marco Valdo M.I. – 2019
(2010)
Chanson
italienne – Lavorare
con lentezza – Enzo Del Re – 1974
« Une
des figures les plus radicales de l’alternative politico-musicale
des années soixante. Utilisant comme instrument une chaise et
demandant comme cachet le minimum syndical de la paie d’une journée
de travail d’un métallo, Del Re avait coutume de se lancer dans
des performances imprévisibles et provocantes, de vrais marathons
par lesquels il entendait représenter et dénoncer l’infinie
répétitivité du travail en usine. À une époque où le refus du
travail avait une valeur morale et idéale, Del Re a représenté
l’utopie la plus avancée de la rébellion et de la dénonciation
[du travail]. Tout en étant diplômé du Conservatoire de Bari, il
avait en fait refusé les instruments classiques pour adopter des
matériaux pauvres et de récupération (cartons, objets usuels) avec
lesquels il transformait ses chansons en récitatifs monodiques avec
un accompagnement rythmique très soutenu. Aujourd’hui, Del Re, le
dernier chantauteur de Mola di Bari, comme il se définit lui-même,
sa longue barbe blanche, ses yeux paisibles et pétillants, il
appartient à la multitude de ceux qui résistent. Il s’accompagne
toujours en jouant d’objets de la vie de tous les jours, qui
remplissent parfois une fonction symbolique, comme quand il utilise
une valise comme percussion, pour raconter l’émigration. »
Du
sito
di Gianni.
Tu
vois, Lucien l’âne mon ami, dit Marco Valdo M.I., j’ai traduit
ce commentaire, cette introduction à la chanson d’Enzo Del Re. Je
ne le fais pas toujours, mais cette fois, je voulais le faire,
car
j’aime
beaucoup ce qui est dit de ce chantauteur. Oui, je sais, ce mot de
chantauteur n’existe pas dans les dictionnaires de langue
française. Ils n’ont qu’à l’y mettre, car c’est vraiment
quelque chose de particulier que ces chantauteurs qui
écrivent ou inventent des chansons qui racontent vraiment quelque
chose, ces artistes qui parlent de la vraie vie, qui s’en vont dans
l’air et les rues porter le message de révolte, qui construisent
une pensée, qui prennent leur parti dans la Guerre de Cent Mille Ans
que les riches font aux pauvres afin d’accroître impitoyablement
leur puissance, leur richesse et leurs privilèges.
Moi,
dit Lucien l’âne tout ragaillardi, il me rappelle Homère, tu sais
bien l’aède aveugle qui nous a conté l’Odyssée et l’Iliade
ou les aèdes du Sud, ceux de Méditerranée qui, encore aujourd’hui,
en ont continué la pratique. Il y en a même qui se bandent les yeux
pour pouvoir s’isoler du monde (comme devait l’être Homère) et
retrouver le chant intérieur, le rythme qu’il imprime en frappant
le sol d’un bâton.
C’est
exactement ça.
Je te ferai lire un jour ce qu’en raconte Carlo Levi, dit Marco
Valdo M.I. Cela dit, Del Re redonne à la chanson, comme bien des
autres en Italie (à mon sens plus qu’en région de langue
française), toute sa place comme instrument de lutte et comme lieu
de pensée, de philosophie quotidienne et populaire. C’est
important, cette pensée qui s’incarne ainsi, cette résistance à
la lobotomisation télévisuelle et médiatique. Une pensée faite
main, une philosophie artisanale, une invocation à la révolte
artistique. En somme, il nous montre plusieurs choses qui me plaisent
bien : d’abord, que l’art, la chanson, la poésie sont les armes
de la révolte, en quelque sorte subversives par nature (sinon l’art,
la poésie, la chanson sont vides de sens et de substance et se
dissolvent à peine esquissées); l’autre chose, c’est –
souviens-toi que Pierre Valdo fut le fondateur de la fraternité des
pauvres de Lyon – sa volonté de mettre son « cachet »,
je cite, au « minimum
syndical de la paie d’une journée de travail d’un métallo ».
C’est
rare, en effet, dit Lucien l’âne.
C’est
rare, c’est plein de sens et c’est honnête. C’est une manière
d’affirmer l’égalité et d’affirmer une volonté de ne pas
tirer profit des autres. C’est l’antipode de la manière
dominante. De même, pour en venir à la chanson, elle exprime très
bien le meilleur conseil qui se puisse donner à un « travailleur »
(à quelqu’un ou quelqu’une qui est contraint au travail
« libre »
– Arbeit
macht frei !). Travailler avec lenteur
– « Festina
lente ! »
(Hâte-toi lentement, disait Auguste). Évidemment, c’est le
contraire de l’idée démente de « compétitivité »,
c’est le refus du monde de la concurrence, c’est le refus de la
productivité ; mais, regarde comment vont les choses, c’est
aussi agir lentement pour épargner le travailleur – ce qui est
essentiel, et bien faire son travail, ce qui l’est aussi. Car
actuellement, malgré toutes leurs prétentions, les choses résistent
elles aussi à la vitesse, à la précipitation et les objets (les
services, les journaux…)
deviennent de plus en plus des machins, de la camelote. « Chez
ces gens-là, Monsieur, on ne pense plus…
On court ».
Nous
les ânes, on a toujours fait ainsi : travailler avec lenteur,
avancer
avec lenteur. C’est notre devise. C’est pas qu’on refuse de
faire les choses, mais on veut les faire à notre rythme, faire les
choses utiles et seulement celles-là et les faire bien pour le plus
grand « profit »
de tout le monde. J’entends bien, le profit réel, l’agrément
que l’on se partage et pas cette escroquerie financière qu’ils
nomment pareillement « profit ».
Ne
sois pas gêné, Lucien l’âne mon ami, d’user des mots. Ce n’est
pas juste de décrier ce beau mot de profit au prétexte qu’ils
nous l’auraient volé lui aussi. Il n’y a rien de désolant à
tirer profit des choses à partir du moment où le profit est
partagé, où le profit est collectif, où
le profit « profite »
à chacun et à tous, qu’il n’est pas accaparé par certains. À
propos de mots volés, il y en a beaucoup, mais
je te laisse les deviner.
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Travailler
avec lenteur
Sans
faire aucun effort :
Qui
est rapide se fait mal
Et
finit à l’hôpital.
À
l’hôpital, il n’y a pas de place
Et
on peut y mourir vite.
Travailler
avec lenteur
Sans
faire aucun effort :
La
santé n’a pas de prix
Dès
lors, ralentir le rythme :
Pause,
pause, rythme lent,
Pause,
pause, rythme lent,
Toujours
en dehors du moteur,
Vivre
au ralenti !
Travailler
avec lenteur
Sans
faire aucun effort :
Je
te salue, je te salue,
Je
te salue du poing fermé ;
Dans
mon poing, il y a la lutte
Contre
la nocivité.
Travailler
avec lenteur
Sans
faire aucun effort :
Travailler
avec lenteur,
Travailler
avec lenteur,
Travailler
avec lenteur,
Travailler
avec lenteur,
Travailler
avec lenteur !