vendredi 19 janvier 2018

SOIGNER LA FAIM

SOIGNER LA FAIM

(UNE ALLÉGORIE ALLEMANDE)


Version française – SOIGNER LA FAIM (UNE ALLÉGORIE ALLEMANDE) – MarcoValdo M.I. – 2018
Poème d'Erich Kästner, dans le recueil « Gesang zwischen den Stühlen » (Chant entre deux chaises) publié en 1932.
Musique de Werner Helwig (1905-1985), alias Hussa, écrivain, poète et auteur-compositeur allemand.



Dialogue maïeutique

Tu te souviens sans doute, Lucien l’âne mon ami, que nous avons déjà publié quelques versions françaises de poèmes ou de chansons d’Erich Kästner.

Certainement, Marco Valdo M.I. mon ami, et je me souviens également qu’elles étaient des plus intéressantes. J’en retiendrai quelques-unes : CONNAIS-TU LE PAYS OÙ LES CANONS FLEURISSENT ?, SPORTS D'HIVER, TRÈS SAGES CONTEMPORAINS, LE POIRIER SUR LA LORELEI (d’après un événement vrai), etc. Il y en avait d’ailleurs une belle série, près d’une quarantaine, un nombre tel que je ne pourrais les citer toutes ici. Mais, dis-moi, que raconte la chanson ?

Comme souvent, Lucien l’âne mon ami, cette chanson raconte une histoire qu’il faut comprendre à deux niveaux différents qui peuvent se suffire à eux-mêmes. Il y a en premier l’histoire anecdotique qui est celle d’un homme qui arrive à l’hôpital en très mauvais état et qu’il convient de soigner. Ce premier niveau montre comment fonctionne le service hospitalier d’urgence, dans lequel les médecins apparaissent comme des incompétents, des ignares et des irresponsables et vont faire subir à ce pauvre homme des interventions médicales des plus catastrophiques au point qu’il en mourra. À la fin arrive le médecin-chef qui – au premier coup d’œil diagnostique le véritable mal du patient : la faim. Si l’on s’en tient à ce niveau purement factuel, on a déjà une critique virulente de l’état des services médicaux dans l’Allemagne de l’époque, qui est celle de Weimar. Évidemment, on peut augurer que dans les cliniques pour riches, les choses se passaient différemment.

Oh, dit Lucien l’âne, j’ai entendu dire que c’était comme ça encore à présent dans certains pays. Comme de bien entendu, les services de santé (et pas seulement) laissent à désirer dans les pays en déliquescence, mais aussi, ainsi qu’on peut le savoir par mille sources, dans des pays qui disposent de moyens importants et qui pratiquent une médecine de pointe, mais uniquement pour ceux qui peuvent payer ou qui disposent du pouvoir et de l’influence nécessaires. En clair, dans ce domaine aussi, on découvre des métastases de la Guerre de Cent Mille Ans, ce cancer qui ronge le monde et les populations depuis fort longtemps.

Oh, Lucien l’âne mon ami, ce que tu dis est assez pertinent. De façon générale, il y a une tendance à privilégier cette forme de division du monde et cela se révèle plus directement dramatique quand il s’agit de la santé, dramatique et profondément injuste et humainement inacceptable. Une fois de plus, on découvre que l’homme n’a pas encore accédé à l’humanité, c’est-à-dire à un comportement digne.
Cependant, comme je te l’ai dit, il y a une autre lecture de cette chanson et elle s’impose puisqu’elle est suggérée dans la parenthèse du titre qui dit explicitement : « Une allégorie allemande ». Donc, il y a cette allégorie qui indique que l’Allemagne elle-même – la République de Weimar – est ce malade que tout un bataillon de médecins incompétents et criminels se proposent de soigner. Ces médecins, ce sont évidemment les hommes politiques ou ceux qui se mêlent de politique, qu’ils soient au gouvernement ou non. Il suffit de regarder les dates : celle de la chanson : 1931 et celle de l’accession au pouvoir d’Hitler au tout début de 1933.

Si je comprends bien, dit Lucien l’âne, cette chanson est un cri d’alarme.

Bien sûr, reprend Marco Valdo M.I., un cri d’alarme et un diagnostic terriblement exact : l’Allemagne finira, après diverses manipulations et traitements de ses « médecins » par mourir de faim.

En effet, la suite est connue et il ne nous revient pas de faire ici un cours d’histoire de cette destruction systématique. Il nous faut conclure ici en reprenant notre tâche en tissant le linceul de ce vieux monde malade, injuste, inacceptable et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane







Un homme arrive à l’hôpital
Et déclare qu’il se sent mal.
Alors, ils lui enlèvent l’appendice
Et le lavent à l’antiseptique.

Ils lui demandent si ça va mieux,
L’homme répond : « Non ! » ; ils l’encouragent,
Ils amputent sa jambe gauche
Et lui disent : « Maintenant, vous allez mieux. »

Le pauvre homme par contre souffre
Et sature le bâtiment de ses hurlements.
Ils lui font une césarienne,
Pour voir ce qui se passe en dedans.

Dans leur domaine, ce sont des maîtres
Et des experts très appréciés.
Lui se tait, il est trop faible pour pleurer,
Mais il
vit encore.

Son sang se raréfie doucement,
L’homme étouffe lentement.
Ils lui
scient trois côtes encore.
Alors, enfin il
est mort.

Le médecin-chef découvre le cadavre.
Un des jeunes confrères l’interroge :
« 
Qu’avait donc ce pauvre homme à la fin ? »
Le médecin-chef
murmure :
« Je
pense qu’il avait seulement faim. »