lundi 21 avril 2014

LES ENFANTS DE BULLENHUSER DAMM

LES ENFANTS DE BULLENHUSER DAMM



Version française – LES ENFANTS DE BULLENHUSER DAMM – Marco Valdo M.I. – 2014
d'après la traduction italienne de Riccardo Venturi d'une
Chanson allemande - Die Kinder vom Bullenhuser Damm – Hannes Wader – 1989



La Mort du prisonnier ( Camp de Neuengamme)





Il s'agit en réalité d'un récit dit par la voix prenante de Wader, accompagné simplement du son d'une boîte à musique.
Wader nous parle d'un ogre méchant et d'un groupe d'enfants qui finirent sous ses griffes, mais il ne s'agit malheureusement pas d'une fable…

L'ogre répondait au nom de Kurt Heissmeyer (1905-1967), un médecin médiocre, de modeste intelligence, qui avait cependant l'ambition d'obtenir un poste universitaire prestigieux. Objectif difficile à atteindre, vu que le jeune médecin n'avait même pas à son actif une seule publication scientifique. Heissmeyer cependant pressentit qu'en devenant un fervent nazi et en se rapprochant des milieux les plus fanatiques du régime, ceux de la SS, il pourrait obtenir de belles avancées dans sa carrière. Il se rendit ainsi vite compte que, avec tout ce matériel humain à perdre disponible dans les centaines de camps de concentration existants, en se faisant assigner au laboratoire médical de l'un quelconque de ceux-ci, peut-être même pas trop loin de chez lui, il pourrait mener librement des expérimentations nécessaires pour revigorer son maigre C.V.

En se faisant recommander par de hauts gradés de la SS, Kurt Heissmeyer se vanta d'être un spécialiste d'immunologie et bactériologie et d'avoir développé un vaccin contre la tuberculose pulmonaire qui cependant devait être expérimenté sur des cobayes humains avant de pouvoir être mis sur le marché. Leonardo Conti, président de la chambre des médecins allemands, haut officier de la SS (qui s'est suicidé ensuite en cellule à Nuremberg en 1945), fut enthousiasmé par l'idée et assigna Heissmeyer au camp de Neuengamme, près de Hambourg. Dans sa baraque laboratoire, Heissmeyer commenca à se procurer une trentaine de prisonniers russes et à leur injecter sous la peau les bacilles tuberculeux, convaincu que la réaction à l'infection aurait spontanément engendré des défenses immunitaires. Les protocoles employés par Heissmeyer avaient déjà été démentis des années avant par la médecine, mais il les appliqua quand même sans avoir le moins conscience de ce qu'il faisait. Lorsque les cobayes commencèrent à mourir, il ne se donna pas pour vaincu et demanda à son ami et collègue Josef Mengele, lui-même très engagé au camp de Birkenau, de lui expédier une vingtaine d'enfant juifs pour continuer l'expérimentation.

« Qui veut voir sa maman ?  », dema nda Mengele aux enfants à sa disposition…

Les 20 petits « volontaires », entre les 5 et 12 ans, en majorité polonais (mais aussi français, yougoslaves, hollandais et même, un italien, Sergio De Simone, 7 ans, de Naples) arrivèrent à Neuengamme à la fin novembre 1944. Le Reich s'écroulait, mais pas l'enthousiasme de Kurt Heissmeyer, qui injecta à ces enfants les habituels bacilles et ensuite, après quelques jours, il leur extrait les ganglions lymphatiques axillaires où il pensait que s'étaient concentré les anticorps mûrs. Mais les glandes lymphatiques ne révélèrent aucune réaction positive.

Avec l'armée alliée aux portes de Hambourg, Heissmeyer se dégonfla, son programme d'étude fut annulé et se posa le problème de faire disparaître ces pauvres petits cobayes infectés…
Le camion avec les enfants à bord roula une dizaine de minutes ; à 22h30 environ, il s'arrêtait dans la Spaldingstrasse devant l'école de Bullenhuser Damm.
Il s'agissait d'un immeuble qui était resté indemne au milieu d'une mer de ruines provoquées par les bombardements alliés sur Hambourg. Les SS avaient affecté l'ex-école au camp de concentration satellite de Neuengamme et ils y avaient concentré des prisonniers provenant du Danemark et de la Norvège.

La vieille école était vide : tous les prisonniers avaient été évacués sur les camions de la Croix Rouge suédoise.
Attendant le camion à la Bullenhuser Damm, il y a l'Obersturmführer Strippel : c'est le commandant du camp.
Selon le témoignage de Trzebinski, Ss-Hauptsturmführer et médecin du camp de Neuengamme, entre les deux SS se déroula une discussion :

« Je demandai à Strippel [Ss-Obersturmführer à Neuengamme, mort dans son lit en 1994] de lui parler en privé, je lui parlai très clairement, je lui dis qu'il fallait des instructions : le Département Heissmeyer avait été dissous et Max Pauly [commandant des camps de Stutthof et de Neuengamme, poursuivi en justice et de pendu des alliés en 1946] m'avait confié la désagréable tâche d'empoisonner les enfants.
Je lui dis que je n'avais pas intention de le faire et que je n'avais pas de poison. Strippel me répondit que si Pauly avait donné un ordre, il fallait l'exécuter.
Je lui dis alors que je n'avais pas apporté avec moi le poison intentionnellement. Strippel s'énerva et il me dit que si les choses étaient ainsi il pourrait me coller au mur et que ce serait le cas, si je le défiais.
Je répondis qu'il fallait un ordre de Berlin et que s'il était arrivé, nous l'aurions exécuté. Nous continuâmes à discuter à propos du poison que je n'avais pas avec moi. À la fin, il dit que vu que j'étais un couard, il prendrait en main l'affaire. »

On fit descendre du camion les Russes, les médecins, les infirmiers et on les fit entrer dans l'école. Les deux médecins français et les infirmiers hollandais furent placés dans une chambre, les enfants dans une autre et les Russes dans la chaufferie.
Dans l'école avec Trzebinski , il y avait Strippel, Jauch, Frahm et Dreimann.
Il était environ 23 heures du 20 avril 1945. Les premiers à mourir furent les médecins français et les infirmiers hollandais.
Au procès Jauch se rappela : « Dreimann avait attaché quatre cordes à des crochets et mit la corde autour du cou des prisonniers ensuite les souleva du sol et il les tint ainsi pour trois ou quatre minutes jusqu'à qu'ils moururent. Je constatai que contrairement à quel avait été dit personne n'opposa de résistance. J'aurais été content de sauver le médecin français [Quenouille] mais je n'étais pas en mesure de le faire. »
Quenouille, Florence, Deutekom et Holzel pendaient aux crochets, étranglés par la corde. Dans l'autre pièce, furent pendus les six Russes. Maintenant, c'était le tour des enfants.

Aux enfants,on fit des injections de morphine et ensuite, ils furent pendus comme les autres, « comme des cadres aux murs », dit au procès un des exécuteurs, le SS Johann Frahm. Le massacre se termina à l'aube avec l'élimination de huit autres prisonniers russes.
Les cadavres des enfants furent rapportés au camp de Neuengamme et incinérés.

Max Pauly, Alfred Trzebinski, Wilhelm Dreimann, Johann Frahm Ewald Jauch furent condamnés à mort par les Anglais en 1946.
L'ogre Kurt Heissmeyer par contre s'en retourna dans son Magdebourg, continuant à exercer la profession de médecin et vivant confortablement. C'est seulement en 1963 qu'il fut arrêté, poursuivi en justice et condamné à la prison à vie. Il mourut en prison quatre ans plus tard.
Ce 20 avril 1945, dans l'école Bullenhuser Damm, en même temps que les 20 petits cobayes humains furent massacrés beaucoup d'autres personnes.
Pour commencer, au moins 24 prisonniers russes furent tués, dont cependant les identités ne furent jamais retrouvées…
Moururent pendus deux médecins et deux aides-soignants qui s'occupaient des enfants. Il s'agissait de :

René Quenouille, un médecin français, communiste, membre de la Résistance, arrêté par la Gestapo en 1943. Déporté d'abord à Mauthausen et ensuite à Neuengamme, il avait toujours soigné les autres prisonniers.

Gabriel Florence, alsacien, professeur de biochimie à l'Université de Lyon, membre du comité français pour l'attribution du prix Nobel. Sous l'occupation, il fut beaucoup engagé dans la tentative de protéger et sauver les collègues de confession juive et entra vite dans le comité médical de la Résistance. Arrêté en 1944, il fut vite assigné au laboratoire de Heissmeyer à Neuengamme. Lorsque il comprit ce que le monstre voulait faire, il chercha inutilement de boycotter l'expérience tentant de faire bouillir les bacilles tuberculeux avant qu'ils fussent injectés aux enfants.
Antonie Hölzel, Hollandais, routier et barman, communiste, arrêté en 1941 en possession de presse censurée par l'occupant nazi. D'abord à Buchenwald et ensuite à Neuengamme, où il fut chargé de s'occuper des 20 enfants sélectionnés pour les expériences de l'ogre Heissmeyer.

Dirk Deutekom, Hollandais, catholique pratiquant, organisateur d'une cellule de la Résistance au moment de l'occupation allemande. Arrêté en 1941, il fut pareil d'Antonie Hölzel à Buchenwald et ensuite à Neuengamme et avec lui il fut assigné au soin des enfants maltraités de l'ogre Heissmeyer.


Et voilà les noms et les faces des assassins. Leurs pauvres biographies ne nous intéressent pas.. (pour ceux qui voudraient en savoir plus : http://www.kinder-vom-bullenhuser-damm.de/_francais/les_responsables.html).


In memoriam :
Birnbaum, Lelka, 12 ans, PolonaiseDe Simone, Sergio, 7 ans, ItalienGoldinger, Surcis, 11 ans, PolonaiseHerszberg, Riwka, 7 ans, PolonaiseHornemann, Alexander, 8 ans, HollandaisHornemann, Eduard, 12 ans, HollandaisJames, Marek, 6 ans, PolonaisJunglieb, W. , 12 ans, Yougoslave
Klygermann, Lea, 8 ans, PolonaiseKohn, Georges-André, 12 ans, FrançaisMania Altmann, 5 ans, née dans le ghetto de RadomMekler, Bluma, 11 ans, PolonaiseMorgenstern, Jacqueline, 12 ans FrançaisReichenbaum, Eduard, 10 ans, PolonaisSteinbaum, Marek, 10 ans, PolonaisWassermann, H. , 8 ans, PolonaiseWitónska, Eleonora, 5 ans, PolonaiseWitónski, Roman, 7 ans, PolonaisZeller, Roman, 12 ans, PolonaisZylberberg, Ruchla, 9 ans, Polonaise




Les jours précédant la fin de la guerre, les SS ont encore
Le temps les pressait –
Maltraité, frappé vingt enfants, d'abord.
Puis, ils les ont pendus dans la cave sous l'école .
Les enfants pesaient peu – La faim les aurait
Bientôt conduits à la mort, mais
Les nœuds ne serraient pas leurs cols .
Trop légers, agrippés aux cordes,
Ils se démenaient et ne mourraient pas.
Pour les suffoquer, les tueurs durent
Se pendre à eux de tout leur poids.

En apparence complètement défaites,
Mais jamais tout-à-fait destituées,
Vivent encore trop de ces bêtes,
Par trop de gens honorées et respectées
Par ceux-là même qui semblent les meilleurs,
Qui s'offusquent des victimes plus que des tueurs
Dans cet État où la plupart de ces tueurs vivent tranquilles
Préservant et entretenant ainsi une épouvantable semence


Avec leurs pattes sanglantes, ils tripotent tendrement leurs petits-enfants,
Supputant sur ce terrain fangeux leur épanouissement
En binant, ils étouffent les rudiments
D'humanité dans leurs rangs.
Il s'agit maintenant de neutraliser les exhalaisons,
Qui montent de ce boueux poison,
Et de les annihiler pour toujours, Messieurs, Mesdames,
En souvenance des enfants du Bullenhuser Damm.