jeudi 25 avril 2019

Le Procès-verbal



Le Procès-verbal


Lettre de prison 24

31 mai 1935


Carlo Levi 1935






Dialogue Maïeutique


La chanson, Lucien l’âne mon ami, s’intitule « Le Procès Verbal ». Et il me vient à l’esprit soudain cette question : « Combien y a-t-il de procès-verbaux dans le monde chaque heure, chaque jour, chaque année et ainsi de suite et dans toutes les autres ? ». J’en ai la tête qui chavire et plus encore quand je pense qu’ils sont tous conservés dans des archives.

Ah, les archives, Marco Valdo M.I. mon ami, j’en ai le tournis. Si on les empile à un endroit, elles doivent être plus grandes que l’Himalaya et dire que certains craignent les inondations ou les mouvements tectoniques qui engendrent les montagnes et les plissements de terrain. Mais les archives seront bien plus rapides, car nourries par les procès verbaux, copieusement, elles vont bientôt nous submerger, tous. C’est le délire de l’humanité de vouloir tout conserver et tout pérenniser les monuments, les papiers ; tout éterniser à commencer par elle-même.

Les archives, copieusement nourries pas les procès-verbaux, sans doute aucun, vont nous écraser, Lucien l’âne mon ami ; à moins que ce ne soient les automobiles ou les objets qui l’emportent dans cette course à l’ensevelissement. Donc, la chanson de prison s’intitule : « Le Procès-verbal » ; il s’agit du célèbre PV d’interrogatoire du Sieur Levi par la police politique, autrement dit les agents, les inspecteurs, les commissaires ou que sais-je encore, de la trop célèbre OVRA, descendante directe de l’Okhrana, police secrète et politique de l’Empire russe, dont la Tcheka, le Guepeou (GPU), le NKVD, le KGB, le FSB sont les clones successeurs, mais ce n’est aps pour autant une spécificité russe, encore moins une exclusivité, et on avait le temps, on pourrait en faire la recension tout au travers de l’Histoire et partout dans le monde contemporain.

D’accord, Marco Valdo M.I. mon ami, cependant, ce n’est pas le moment ; parle-moi plutôt de la chanson elle-même.

Elle commence, dit Marco Valdo M.I., par des considérations sur la peinture et cet insistant espoir de libération qui est à la fois, réel et en grande partie aussi, une pose du prisonnier Levi pour dérouter ses censeurs. On y trouve aussi toujours et encore ces réfutations des accusations qui sont portées à son encontre :

« Un homme politique dangereux, moi ?
Où ont-ils été chercher ça ? »

Et cette pointe, cette pique, terriblement aiguë, pour le censeur qui sait lire :
Pour le reste, lire leurs archives
Quand ils auront disparu. »

Quand ils auront disparu… Il parle des fascistes, il annonce la fin. En clair, le régime est de toute façon condamné à disparaître. Dans un univers et parmi des gens aussi soumis à leurs émotions, aussi superstitieux, cela revient à jeter un sort. En clair aussi, Carlo Levi est parfaitement conscient que les PV gardent traces de ces « entretiens » et de ce qui y est dit. Ce sont des révélateurs détonants dans le futur et de cette manière, celui qui collabore, celui qui trahit est dès ce moment pris dans le filet de la trahison et se voit obligé de continuer. C’est un mécanisme de chantage dynamique. Pour le reste, voir le texte de la canzone qui dit encore beaucoup de choses.

Je sais, dit Lucien l’âne, c’est ainsi avec les textes poétiques ; ils racontent toujours mille choses en quelques mots qu’on arrive à leur faire dire seulement en les laissant se déployer, un peu comme le parfum d’une rose dont on ne perçoit l’amplitude, la profondeur que si on prend la peine de lui tenir compagnie. Enfin, concluons et tissons le linceul de ce vieux monde terne, procédurier, fouineur et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Un critique d’art du futur
Dans un siècle, scientifiquement,
Étudiera ma peinture.
Il lui faudra bien sûr
Tenir compte des événements.

L’autre fois, j’ai peint des fleurs
On change avec les ans
Et la peinture suit le mouvement.
Tout coule et rien ne demeure.
Que peindrai-je cette fois en sortant ?

Comment savoir ?
Le monde est dans un brouillard.
Je ne sais plus rien.
J’attends avec espoir
Qu’on me libère demain.

Procès-verbal de mon interrogatoire.
Dans le bureau de la police politique,
À Turin, a comparu…
Pour le reste, lire leurs archives
Quand ils auront disparu.

Un homme politique dangereux, moi ?
Où ont-ils été chercher ça ?
D’elle-même, la vérité s’imposera
Et le jour-même, on me relâchera.
Ah, je voudrais y être déjà !

Il n’y aura pas de bonne surprise.
Tout est décidé là-bas.
Mais à ma sortie, on dansera
Ensemble, ces danses assises.
Quelle belle fête, on se fera!

POÉSIE FACILE

POÉSIE FACILE


Version FRANÇAISE – POÉSIE FACILE – Marco Valdo M.I.2019
Chanson italiennePoesia facileMassimiliano Larocca2015

Poème de Dino Campana [1928]
Tiré des Canti Orfici (édition à compte d’auteur – Firenze 1914
Musi
que : Massimiliano Larocca
Interpr
étation : Massimiliano Larocca
Vo
ix et guitare ténor : Cesare Basile
Album
 : Un mistero di sogni avverati [2015]


Dino Campana



Le poète Dino Campana, né le 20 août 1885 à Marradi, en Toscane romagnole, aurait été fou, dit-on. Comme il y a maintenant beaucoup de biographies de ce grand poète, philologiquement correctes ou romancées (ainsi que des films et des scénarios), je n’en ajouterai certainement pas une autre, je ne parlerai pas de son célèbre et grand amour avec Sibilla Aleramo et ça se terminera que je ne dirai même pas qu’il est mort, vraiment là à l’asile, le 1er mars 1932 à Castelpulci près de Lastra a Signa, à deux pas de la villa (appartenant au ténor Enrico Caruso), qui vit beaucoup de sa relation avec Sibilla Aleramo.

Dino Campana est enterré à deux pas de là, presque comme un empereur, dans la médiévale et magnifique Badia a Settimo. Je l’ai vue par hasard, une nuit d’Halloween lointaine, quand je suis entré à l’intérieur de l’asile de Castelpulci (alors encore dans un état d’abandon sinistre, avant sa reconversion en quelque chose lié aux institutions juridiques universitaires européennes ou quelque chose comme ça, choses qui ne m’intéressent pas) avec une bande d’enfants qui grouillent à la recherche de babioles sans valeur (et le lieu les y incite vraiment, je le garantis).

Dino Campana, un grand poète, avait certainement un énorme malaise existentiel en lui ; mais qui n’en a pas ? Seulement, il n’est pas donné tout le monde d’être Dino Campana, avec tout ce que cela implique. Pendant longtemps, il est resté, sinon inconnu, au moins méconnu. Je m’étais toujours demandé pourquoi – par exemple à Florence – un poète « patriotique » comme Aleardo Aleardi s’était vu consacrer une grande avenue, alors que Dino Campana s’était vu réserver un cul-de-sac insignifiant à côté du Centre technique fédéral du Ballon, à Coverciano ; puis j’ai lu quelques critiques assez pompeuses, même dans ma grande et bien faite édition Oscar Mondadori, des « Canti Orfici », que j’avais achetéE à quinze ou seize ans. Une affaire de garçon, parce que Dino Campana est un de ces poètes qui vont droit au cœur des garçons, surtout s’ils sont difficiles et seuls, c’est-à-dire des garçons. Comme le garçon Rimbaud & d’autres, ou comme le garçon Massimiliano Larocca, auteur-compositeur-interprète florentin qui, semble-t-il, à l’âge de dix-neuf ans, il y a quelques années, a commencé à chanter précisément en mettant en musique certains des Canti Orfici (Chants Orphiques) de Dino Campana.

Contrairement à d’autres pays (je pense à la France, je pense à la Grèce), qui ont une grande tradition de poésie mise en musique par des gars (comme le gars Brassens, comme le gars Theodorakis), l’Italie des poètes en musique en a toujours produit peu. Sans parler d’un gars de Rifredi, un quartier populaire et prolétarien de Florence, qui commence à être auteur-compositeur-interprète en choisissant les Canti Orfici de Dino Campana, des chansonnettes vulgaires qui longtemps, n’ont pas été reconnues par la littérature italienne du XXe siècle, parmi les plus grandes choses produites par un pauvre homme qui a connu une vie étrange, pénible, presque toujours de merde et qui est mort dans la maison de fous. Ce garçon de Rifredi, cependant, s’est avéré être absolument récidiviste. Non seulement dans la suite de sa carrière, entre les retours de passions et de beaux étés, il a toujours continué à chanter et à transporter Dino Campana (une fois, il y a des années, même dans la villa d’Enrico Caruso à Lastra a Signa, j’y étais aussi et je peux en témoigner) ; l’année dernière, il est revenu à Dino Campana en beauté avec Nada, Riccardo Tesi, Cesare Basile et autres. Il a repris certaines de ses premières choses « campanianes » et en a mis d’autres en musique. Massimiliano Larocca est un peu plus âgé maintenant, il a toujours sa belle et chaleureuse voix (Il faut l’entendre pour le croire) et il porte régulièrement sa fameuse veste sombre, laquelle si Leonard Cohen la voyait, réactualiserait certainement le célèbre imperméable bleu. Et Dino, Dino Campana, est toujours là. Des choses de gars, en fait. Des histoires de fous.

Vous me pardonnerez si, en conclusion, j’utilise un instant les fameuses biographies dont, au début, j’ai dit que je ne voulais pas les répercuter ici. Après que personne n’ait voulu qu’il imprime et publie les Canti Orfici, et après avoir vu perdre le manuscrit par Ardengo Soffici, à qui il l’avait confié (il a dû le réécrire de mémoire), Dino Campana a imprimé et publié le livre à ses frais et a commencé à le vendre à Piazza Vittorio, à Florence, aux gens qui passaient. On était en 1914, des roulements de tambours et des sonneries de guerre, l’Italie patriote et nationaliste, tricolore et ainsi de suite. Les biographies, toujours elles, disent que, dégoûté par tout ça, Dino Campana dédia le livre à « Guillaume II, Empereur d’Allemagne ». Il ne recherchait pas la paix et ne supportait pas la guerre, le Campana de Marradi ; même si la « Poesia Facile » (Poésie Facile) remonte à 1928, les Canti Orfici (Chants Orphiques), son œuvre unique et éternelle, ne finit jamais et, peut-être, ne sont pas encore achevés à présent. Et il faut dire, certes, que cette phrase, le premier vers de ce poème, est généralement comprise comme un résumé précis de sa vie, des revers et des ruines d’un esprit, d’un « combat intérieur » sans solution.

Il n’y a pas, en somme, de référence directe au sujet principal de ce site, à son « topos », même s’il m’a plu de penser qu’il pourrait très bien fonctionner comme une sorte de slogan de synthèse (les voies de la poésie sont infinies). Au final, cette « POÉSIE FACILE », si elle doit aller quelque part, a été mise dans le « parcours » des asiles, bah. L’arbitraire ? Vous pouvez le penser, sans aucun doute. Bref, c’est aussi un « Mistero di sogni avveratiMystère des rêves AVÉRÉS », comme s’intitule l’album de Massimiliano Larocca. Par exemple, je rêve parfois d’être passé, vers 1914, Piazza Vittorio et d’avoir acheté un exemplaire original de Canti Orfici à un jeune homme qui était clairement à moitié retardé, ce qui, actuellement, aurait fait de moi un millionnaire. Rien à faire. Néanmoins, je voudrais souscrire à ce vers de Campana : « Je ne cherche pas la paix, je ne supporte pas la guerre ». Ça me représente : moi, toi, toi, nous, toi, lui, eux. Salutations. [RV]



Je ne cherche pas la paix, je ne supporte pas la guerre
Tranquille et seul, je vas par le monde en rêve
Plein de chansons suffoquées. J’aspire
Au brouillard et au silence dans un grand port.

En un grand port plein de voiles légères
Prêtes à appareiller pour l’horizon azur
Ondulant doucement, tandis que le murmure
Du vent en de brefs accords s’étire.
Et ces accords que le vent emporte
Loin au-dessus de la mer comme morte.
Je rêve. Je suis seul et ma vie est triste.

Ou quand ou quand en un matin brûlant
Mon âme s’éveillera au soleil, dans
Ce soleil éternel, libre et tremblant.

Et ces accords que le vent emporte
Loin au-dessus de la mer comme morte.
Je rêve. Je suis seul et ma vie est triste.

Ou quand
ou quand en un matin brûlant
Mon âme s’éveillera au soleil, dans
Ce soleil éternel, libre et tremblant.

Je ne cherche pas la paix, je ne supporte pas la guerre.
Je ne cherche pas la paix, je ne supporte pas la guerre.
Je ne cherche pas la paix, je ne supporte pas la guerre.
Je ne cherche pas la paix, je ne supporte pas la guerre.
Je ne cherche pas la paix.