jeudi 12 novembre 2015

L’Île Saint Louis

L’Île Saint Louis

Chanson française – L’Île Saint Louis – Léo Ferré – 1948
Texte et Musique : Francis Claude – Léo Ferré (1948)
Biographie du coauteur : Francis Claude https://fr.wikipedia.org/wiki/Francis_Claude
Interprétations :



Si l’on a trop de vague à l’âme,
Mourir un peu n’est pas partir.
Quand on est île à Notre-Dame,
On prend le temps de réfléchir.

Voici une chanson éminemment poétique, dont on pourrait se demander ce qu'elle vient faire dans les Chansons contre la Guerre. On pourrait faire valoir que c'est une chanson d'émigration et d'une émigration ratée, puisqu'en finale, elle revient à son point de départ. Mais le principal argument n'est pas celui-là.


Quel est -il dès lors, dit Lucien l'âne un peu interloqué ?


Mais, ajoute Marco Valdo M.I., tout simplement celui qui veut que les meilleures chansons contre la guerre sont des chansons qui n'en parlent pas, ce sont des chansons de paix. Cependant, pour revenir à l'argument premier, c'est curieux, mais il me semble que le destin de pas mal des émigrés, réfugiés, personnes déplacées, fuyards contemporains est ou sera précisément celui-là de fuir un endroit avec dans la tête une « île au trésor » qui s'est noyée depuis longtemps… C'est un destin tout à fait tragique… Heureux encore quand on peut rentrer dans son pays de départ. Il reste la leçon de la chanson qui dit : le large ne vaut pas le port…


Je sais. Rien n'est plus épouvantable. Fuir, mais où ? Camus avait raison. Globalement, ce monde est absurde, plongé qu'il est irrémédiablement dans sa Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font aux pauvres et aux plus faibles pour asseoir leur domination, étendre leur pouvoir, renforcer leur exploitation et accroître leurs richesses. Et face à ça, seul l'être vivant (qui ne peut quand même pas attendre la fin de cette guerre absurde) en vivant sa vie, sa simple vie quotidienne de grain de sable sur une plage, parvient à lui donner un sens obstiné. Mais trêve de philosophie, écoutons la chanson et reprenant noter tâche, tissons le linceul de ce vieux monde absurde, suicidaire, dément et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






L’île Saint Louis en ayant marre
D’être à côté de la Cité,
Un jour a rompu ses amarres
Elle avait soif de liberté.
Avec ses joies, avec ses peines
Qui s’en allaient au fil de l’eau,
On la vit descendre la Seine.
Elle se prenait pour un bateau.

Quand on est une île,
On reste tranquille
Au cœur de la ville,
C’est ce que l'on dit
Mais un jour arrive,
On quitte la rive,
En douce, on s’esquive
Pour voir du pays.

De la Mer Noire à la Mer Rouge,
Des îles blanches aux îles d’or,
Vers l’horizon où rien ne bouge,
Point n’a trouvé l’île au trésor.
Mais tout au bout de son voyage,
Dans un endroit peu fréquenté,
On lui raconta le naufrage :
L’île au trésor s’était noyée.

Quand on est une île,
On vogue tranquille
Trop loin de la ville
Malgré ce qu’on dit,
Mais un jour arrive
Où, l’âme en dérive,
On songe à la rive
Du bon vieux Paris.

L’île Saint Louis a de la peine.
Du pôle Sud au pôle Nord,
L’océan ne vaut pas la Seine,
Le large ne vaut pas le port.
Si l’on a trop de vague à l’âme,
Mourir un peu n’est pas partir.
Quand on est île à Notre-Dame,
On prend le temps de réfléchir.

Quand on est une île,
On reste tranquille
Au cœur de la ville,
Moi je vous le dis.
Pour les îles sages,
Point de grands voyages,
Les livres d’images
Se font à Paris.

Mon Vieux Léo

Mon Vieux Léo
Chanson française – Mon Vieux Léo – Marco Valdo M.I. – 2008-2015


Et si tu peux
Encore un peu
Jouer du piano
Au cœur du néant
Tu te plais sûrement
Mon vieux Léo.


Ah, Lucien l’âne mon ami, c’était il y a déjà quelques années… Je venais de découvrir les Chansons contre La Guerre… Autrement dit, c’était en 2008 et c’était une de mes premières tentatives, disons, d’écriture de chanson. J’avais eu l’idée de faire une chanson, une parodie déjà. Et une parodie de Georges Brassens et je te le dis tout net, je n’avais pas pu aboutir. J’avais donc laissé la chose en plan.


Et alors, pourquoi me racontes-tu ça ? J’imagine que tu as dû retrouver cette chanson inachevée et sans doute, as-tu essayé de la mener à son terme…


C’est exactement ça et comme tu le penses bien, vu qu’on en parle ici, j’ai dû réussir à la terminer. Mais je ne dirai pas combien de fois je l’ai reprise – une vieille chaussette ne l’a pas été autant, modifiée, recommencée, réécrite… Une montagne de papier griffonnée, raturée, barrée, sursaturée de corrections, de biffures… Et maintenant que je l’ai finie, j’en suis bien content, même si…


Tu m’en vois ravi, dit Lucien l’âne en tressautant pour simuler la joie, sauf que je ne sais toujours pas de quelle chanson il s’agit, de quelle autre chanson elle est une parodie, de quel auteur elle s’inspire et in fine, de qui ou de quoi elle parle. Ça fait beaucoup, tu l’admettras.


J’admets, j’admets, Lucien l’âne mon ami. Et je te livre le secret tout à trac. Son titre est fixé et on ne pourrait – tu vas le comprendre tout de suite – en donner un autre. C’est « Mon Vieux Léo », une canzone où il est question de Léo Ferré. C’est, comme je te l’ai dit, une parodie d’une chanson de Georges Brassens : « Le vieux Léon » (1953) et elle a comme trame une histoire que j’ai inventée, à savoir que Georges Brassens, reprenant son vieux Léon, s’adresse à Léo Ferré par-delà le temps de façon très amicale et l’interpelle à propos de son grand saut dans le rien ou sur le rocher (étant Monaco où on l’a ramené d’Italie) et la vie d’artiste qu’il peut y mener avec les autres anarchistes exilés là-bas dans le néant. Mais pour les anarchistes, l’exil est une seconde nature. Il lui demande (Georges à Léo) si les anars ont enfin fait un mauvais sort à la guerre et il lui donne des nouvelles d’ici.


Je verrais bien le père Valdu reprenant une telle parodie… Ce devrait être dans ses cordes de guitare et vocales… Juste pour dire, évidemment. Cela étant, il faudrait sans doute un de ces jours que tu insères « Le vieux Léon » de Tonton Georges dans les Chansons contre la Guerre, car tout comme La Vie d’Artiste de Ferré, cette chanson manque cruellement au tableau. Enfin, je t’avoue que je suis très impatient de découvrir cette parodie et je me réjouis hautement déjà, rien qu’à l’idée. Voyons-la et reprenons notre tâche ; tissons, tissons le linceul de ce vieux monde mortel, mortifère, morbide et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Ça fait maintenant
Près de vingt-cinq ans
Mon vieux Léo
Que tu es parti
Chanter au pays
Des arnarcos.
Parti serein
Voir si les copains
Du bref été
Étaient contents
De se marrer
Dans le néant.
Plus de vingt-ans
Depuis le temps
Que tu es allé
Guincher au bal
Phénoménal
Des révoltés.
Léo, mourir
N’est pas finir.
Léo, j’espère
Que tu as trouvé
Dans ce désert
La liberté.


C’est une erreur
Mais les rêveurs
De la grande vie
Au grand jamais
On ne leur permet
De fantaisie.
Et toi, tu as dû
T’en aller ailleurs
L’esprit rageur
Sans avoir vu
Revenir jamais
Le joli mois de mai.
Mais les copains
Viendront demain
Les rangs serrés
En rigolant
Et tout fringants
De te retrouver.
Et dans les cœurs
Où pousse la fleur
De l’anarchie
Il fait ma foi
Beaucoup moins froid
Qu’à la Bastille.

Depuis l’ami
Que d’Italie
On t’a ramené
On n’a pas cessé
De faire partout
Les quatre cents coups.
Et on gueulait
Tant qu’on pouvait
À l’unisson
Et dans les prisons
De la Pianosa
À la Santé
Nombre d’amis
Derrière les murs gris
Furent enfermés
Nul sans surprise
N’a oublié
Le temps des cerises.
Et les bons amis
Sont restés à l’écart
Des gens de partis.
À t’écouter
Nous rechanter
Graine d’ananar
Tous ces anars
Ont le cœur gros
Mon vieux Léo.

Comment ç’est-y
Chez les amis
Autour de toi.
Les libertaires
Ont-ils déjà
Tué la guerre
Et le pinard
Du Père Peinard
Est-il meilleur
D’être partagé
En amitié
Et de grand cœur.
Et s’il t’arrive
Qu’une fée vive
Se laisse approcher
C’est sûr alors
Que tu as trouvé l’Âge d’or
Sur ce rocher
Et si tu peux
Encore un peu
Jouer du piano
Au cœur du néant
Tu te plais sûrement
Mon vieux Léo.


mercredi 11 novembre 2015

LE TRAVAIL FATIGUE

LE TRAVAIL FATIGUE



Version française – LE TRAVAIL FATIGUE – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson italienne – Lavorare stancaIl Teatro degli Orrori – 2015


Tout le monde sait que 
Finmeccanica fait de l'argent 
Avec les armes


Ce serait fantastique
De se retrouver chef du monde
Et de voir les choses à sa mode,
De se sentir en sécurité,
De se sentir chez soi.
Un appartement est inutile,
Une famille est inutile.
Ne nous cachons plus en pleine journée,
Ni de la lumière de la mer.
Nous combattrons une autre fois 

Hors des tranchées.
Ce serait fantastique.
Travailler fatigue.
Travailler tue.
Tout le monde sait que 
Finmeccanica fait de l'argent 
Avec les armes
Et nous ici à aimer nos enfants
Mais quel sens ça a ?
Ce serait fantastique
De ne pas voir la fin du mois 

En chaque Saint jour que 
L'Éternel agaçant concède à nos vies inutiles
Si je ne m'étais jamais marié 

Et je n'avais pas eu d'enfants, 
Pas un, même.
J'aurais tant de temps, 

Mais tant de temps 
Pour ne plus rien faire.

Ce serait fantastique
De se retrouver chef du monde
Et de voir les choses à sa mode,
De se sentir chez soi.

Certes, ce ne serait pas mal de se lever
À midi et ne pas devoir chaque matin rencontrer
Un contremaître affolé et toujours affairé.
Dieu sait peut-être pourquoi.
Pour prendre soin de soi
Et descendre boire un café,
Acheter un quotidien
Pour connaître les derniers scandales du pays qui
Ne change pas, ne change pas, ne change pas, ne change pas, ne change pas, ne change jamais.

Let's take a low cost flight and low profile sneak away from them all.
Fuir Varese en gobant les apéritifs.
Fuir Caserte à toutes jambes.
Aller dans ce pays à l'autre bout du monde où le ciel ne finit jamais,
Où l'océan en tempête est 

Si beau, car j'ai peur de te regarder dans les yeux 
Et de te dire que je t'aime 
Encore plus peut-être que ma première amie.
Fuyons un pays qui ne change pas, car il ne veut pas changer
Qui ne change pas car il ne veut pas.

Il ne change pas, ne change pas, ne change pas, ne change pas, ne change pas, ne change pas, ne change pas, ne change pas, ne change pas.

Mais, peut-être bien que oui ou que non.
Il pourrait bien tomber
Que sais-je moi ?
Il pourrait pleuvoir.

Ce serait fantastique
De se retrouver chef du monde
Et de voir les choses à sa mode,
De se sentir en sûreté,
De se sentir chez soi.
Ce serait fantastique
Et de voir les choses à sa mode,
De se sentir chez soi.
Ce serait fantastique.

mardi 10 novembre 2015

CHANSON DE LA BASILICATE

CHANSON DE LA BASILICATE

Version française – CHANSON DE LA BASILICATE – Marco Valdo M.I. – 2015
D’après la version italienne
D’une chanson napolitaine – Canzone della Basilicata – Eugenio Bennato – 1980


Et quand on y va une nuit de lune
Que de loin, une voix appelle
Ne l’écoutez pas, c’est une strige




« La Basilicate était un des thèmes musicaux qui m’étaient demandés, et concernait justement le paysage, peut-être plus précisément le paysage comme il apparaît à qui vient de Naples.Naquit une mélodie qui accompagnait les panoramiques sur ces vallées et sur ces collines, une musique pour ces terres décrites par le peintre lettré Carlo Levi qui y séjourna en confinement politique et qui, en peintre, la décrivit dans son roman Le Christ s’est arrêté à Eboli.
À la musique, j’ajoutai un texte, que j’écrivis immédiatement après pour souligner la civilisation de ces gens qui dans l’Histoire n’avaient jamais fait la guerre à personne, mais l’avait toujours subie chez eux au cours des invasions et des dominations qui s’étaient succédés au long des siècles.

Et si je cite la ville de Turin n’est pas la Turin des intrigues de Cavour, mais le sommet du triangle industriel qui dans l’après-guerre accueillait des légions de paysans recyclés en ouvriers, mais en même temps toujours des culs terreux, sur les chaînes de montage des usines et des ateliers. »


(Eugenio Bennato 
"Brigante se more - viaggio nella musica del Sud", Coniglio editore, 2010)


Et qu’est-ce que j’en sais de la Basilicate ?
On dit que le Christ n’y est jamais venu
Et s’est arrêté avant cette terre.
Et qu’est-ce que j’en sais de la Basilicate ?
C’est une histoire ou un lointain mythe
Qu’on oublie à peine les a-t-on entendus.

À celui qui veut venir sur cette terre
Où la douleur n’est pas péché
Où ne peut jamais exister la guerre
Car la paix n’y a jamais été.
Et quand on y va de jour sur cette terre
Par les routes serpentent sous le soleil,
On y entend le pas de la tarentelle.

Et quand on y va une nuit de lune
Que de loin, une voix appelle
Ne l’écoutez pas, c’est une strige
Et avant cette terre
Un ange s’est arrêté
Et le temps s’est arrêté
Mais le diable est arrivé.
Il y a le rouge du soir,
Il y a la cheminée et le noir.
On naît à Matera
Et à Turin, on mourra.

Tuez les hérétiques, leurs femmes et leurs enfants !


Tuez les hérétiques, leurs femmes et 


leurs enfants !


Chanson française – Tuez les hérétiques, leurs femmes et leurs enfants ! – Marco Valdo M.I. – 2015

Ulenspiegel le Gueux – 11




Marie et Philippe

Un joyeux couple royal





Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – I, LII)
Cette numérotation particulière : (Ulenspiegel – I, I), signifie très exactement ceci :
Ulenspiegel : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs, dans le texte de l’édition de 1867.
Le premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre d’où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui ne figurent pas ici.


Nous voici, Lucien l’âne mon ami, à la onzième canzone de l’histoire de Till

 le Gueux. Les dix premières étaient, je te le rappelle :

01 Katheline la bonne sorcière  (Ulenspiegel – I, I)
02 Till et Philippe (Ulenspiegel – (Ulenspiegel – I, V)
03. La Guenon Hérétique (Ulenspiegel – I, XXII)
04. Gand, la Dame (Ulenspiegel – I, XXVIII)
05. Coupez les pieds ! (Ulenspiegel – I, XXX)
06. Exil de Till (Ulenspiegel – I, XXXII)
07. En ce temps-là, Till (Ulenspiegel – I, XXXIV)
08. Katheline suppliciée (Ulenspiegel – I, XXXVIII)
09. Till, le roi Philippe et l’âne (Ulenspiegel – I, XXXIX)
10. La Cigogne et la Prostituée (Ulenspiegel – I, LI)


« Tuez les hérétiques, leurs femmes et leurs enfants. », quel est le grand macabre qui énonce de pareilles horreurs ? Ne serait-ce pas encore une fois Charles le sanguinaire, dit Lucien l’âne en relevant sa queue en point d’interrogation. Ou alors, peut-être, son fils Philippe ?

De fait, tu ne te tropes pas du tout, Lucien l’âne mon ami, il s’agit bien de ces deux-là. Oh, ils ne sont sans doute pas les seuls à avoir ce genre d’idées ; l’espèce court le monde depuis longtemps et elle s’y répand encore aujourd’hui. Cependant, ce titre reflète bien l’esprit de ces rois catholiques. L’Église et les supposés souhaits de sa divinité en sont la suprême autorité.
Il y a entre ceux-ci et celle-là un jeu subtil ; à savoir qui va tirer profit de l’autre. Mais à terme, comme elle joue une pièce éternelle ; entre les rois et l’Église, c’est toujours l’Église qui finit par gagner. C’est du moins la conviction profonde qui la maintient en place.


Finalement, à t’entendre, Marco Valdo M.I. mon ami, les rois ou les pouvoirs temporels sont en quelque sorte les bedeaux du monde.


On peut dire ainsi les choses. Maintenant, j’en reviens à la canzone en commençant par la fin, où Charles dit :
« Tuez les hérétiques, leurs femmes et leurs enfants.
Vous ferez bien, car de cela, Dieu sera ravi. »
Ce qui me semble conclure ce point.


Oui mais, la chanson, que raconte-telle ?


Cette chanson, Lucien l’âne mon ami, précédemment, est une sort de mise en scène de deux lettres. Une de Philippe à Charles et la réponse dudit à Philippe. Si tu t’en souviens, on en avait déjà touché un mot précédemment dans la neuvième chanson de ce cycle : «  Till, le roi Philippe et l’âne  » quand Philippe se plaignait à son père de son destin de « roi consort ». Cette fois, on a droit au détail de sa récrimination. Bref, ça se passe mal entre Philippe, mari de Marie Tudor, et les Anglais. Véritablement, il n’en peut plus et toute la puissance espagnole qu’il mettra en œuvre plus tard ne pourra renverser cet état de leurs relations. Elle s’épuisera comme sa grande Armada sur les brisants des côtés anglaises.

Donc, Philippe se plaint de son sort à son père Charles et que répond ce dernier ? Je suis très curieux de le savoir, insiste Lucien l’âne en se dandinant.

Avant de te faire connaître la réponse de Charles, laisse-moi, Lucien l’âne mon ami, attirer ton attention sur les exécrables relations qui – en plus du reste – meublent les jours et les nuits du couple royal. Voici ce qu’en dit Philippe :
« Et la Reine, ma femme est stérile
Et jalouse et farouche et gloute d’amour.
Elle me poursuit nuit et jour. »
Et en plus, on le sait, il ne la trouve pas jolie, pas à son goût et ne rêve que de lui échapper. Pour un peu, on le plaindrait. Si ce n’était le goût qu’il partage avec elle de massacrer les hérétiques et autre manifestation de sa folie sadique, qu’on avait déjà croisée dans son enfance (voir La Guenon Hérétique ), il aime jouer de la musique (et quelle musique !) sur un clavecin de son invention où à l’aide d’un fer rouge, il fait miauler les chats. Et, tiens-toi bien, il trouve cette pratique normale.


Il n'est pas le seul… D’autres cinglés s’y sont essayé dans ces temps barbares avec ce qu’on connaît sous le nom d’ « orgues à chats » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Orgue_%C3%A0_chats) ...


Quant à la réponse de Charles son père, elle va vite le rassurer. D’entrée de jeu, Charles lui annonce qu’il va bientôt lui céder la place et ce n’est pas peu de choses. Tout un empire et de plus hors d’Angleterre. Philippe sera Roi d’Espagne… Et Charles de conclure : « Entretemps, tuez les hérétiques... ».


Voilà un père et un fils qui s’entendent comme larrons en foire pour régler leur problème de succession. Ce serait chose bien rassurante s’ils n’étaient l’un et l’autre de dangereux fanatiques, attachés à réduire par le fer, l’eau et le feu toute liberté de conscience et au-delà de pensée. Car ce sont là gens d’Inquisition qui vont jusque dans le plus intime de la vie quotidienne tenter d’imposer (à peine de tortures et de mort) la vraie foi, le règne du Christ par l’entremise de son Église (catholique, apostolique et romaine). Et, on n’en est pas encore débarrassés hic et nunc (ici et maintenant) et dès lors, pour notre part, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde inféodé, croyant, crédule, catholique et cacochyme.



Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Monsieur et père, écrivait Philippe,
Il me déplaît de devoir vivre en ce pays
Où pullulent comme puces, chenilles et sauterelles
Ces hérétiques que notre Mère l’Église honnit.

Ici, je ne suis pas le roi
Mais tout bonnement le mari de la Reine
Et ces gens se moquent de moi,
Du Pape et de notre Mère l’Église souveraine.

On m’insulte, on me dit parricide,
Prêt à frapper votre Majesté pour hériter.
Ce sont là des propos méchants et acides.
Longue vie et long règne à votre Majesté !

On invente, on calomnie, on médit, on dit aussi
Que par le feu, je torture les chats pour mon plaisir.
Et ces gens sont si assotés d’animaux en ce pays
Qu’ils me reprochent jusqu’à cet innocent loisir.

Et la Reine, ma femme est stérile
Et jalouse et farouche et gloute d’amour.
Elle me poursuit nuit et jour.
Je souffre parmi cette engeance incivile.

Monsieur et fils, répondait Charles,
Vos ennuis sont grands, soyez patient.
Apprenez que bientôt vous attend
La couronne ; vous savez de quoi je parle.

Je suis vieux, goutteux maintenant.
Il devient temps de céder aux jeunes gens.
À Metz, j’ai perdu quarante-mille soldats
J’ai fui devant Saxe et je ne m’en remets pas.

Alors, Monsieur et fils, je suis d’avis
De vous laisser mes royaumes. Entretemps,
Tuez les hérétiques, leurs femmes et leurs enfants.
Vous ferez bien, car de cela, Dieu sera ravi.