lundi 30 décembre 2019

Barbora


Barbora

Chanson française – Barbora – Marco Valdo M.I. – 2019

ARLEQUIN AMOUREUX – 32

Opéra-récit historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola « Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez Flammarion à Paris en 1979.



Dialogue Maïeutique


Finalement et sans doute, heureusement, oui, heureusement, dit Marco Valdo M.I., Barbora et Lukas, son garçon, étaient morts.

Heureusement ?, Marco Valdo M.I. mon ami, je le pense aussi. Simplement, même quand les gens le pensent au plus intime de leur conviction, ils évitent la plupart du temps de révéler leur vrai sentiment, ils font une figure d’enterrement et jouent la sinistre comédie du deuil et du chagrin falsifié car, disent-ils, si jamais on les interroge, ça ne se dit pas, ça ne se fait pas. Et voilà le monde plongé dans un malodorant bain d’hypocrisie. Moi, ce qui m’intrigue vraiment, c’est le pourquooi d’un tel maquillage, la raison profonde d’un tel travestissement ; est-ce religion, est-ce rite, est-ce superstition, est-ce qu’en-dira-t-on ?

À mon sens, Lucien l’âne mon ami, un peu tout ça, à la fois. Mais disons-le tout net, cette double mort était une circonstance bienfaitrice, un aléa salvateur, même si cela consterne notre Arlequin, qui n’a pas beaucoup les moyens d’y faire face ; il en sort complètement ruiné. Il n’avait pas le choix non plus, car c’est à lui et à lui seul que revient de donner les soins à ces ex-êtres. Et en premier lieu, il lui incombe de leur donner un nom, une identité éphémère et une vie honorable ; en somme, effacer toute trace du néfaste destin qui les avait marqués. Pour ce faire, une seule voie s’offrait à lui : les adopter au moins à titre posthume. Il épousa donc Barbora morte et il fit de ce fait, de l’enfant, son propre fils, qui – hasard du calendrier – fut prénommé Lukas, du nom du saint du jour. Ainsi, tout fut transcrit dans les registres.

Tout compte fait, dit Lucien l’âne, ce n’est pas plus mal et globalement, ça clôture cet épouvantable épisode de Barbora et ça évite toutes les questions sur le passé. Néanmoins, le déserteur devra à nouveau déserter, fuir et fissa, encore.

Certes, dit Marco Valdo M.I. ; cependant, la chanson est l’histoire de l’enterrement de Barbora et de Lukas ; un enterrement de pauvres parmi les enterrements de pauvres, lesquels s’efforcent d’être décents malgré les ravages de la Guerre de Cent Mille Ans que leur font les riches dont les funérailles, les obsèques ne sont que parades, cortèges et monuments, les derniers feux de l’arrogance ambitieuse de la domination, la glorification de l’égo d’un monde en mal de surdimension. C’est un enterrement de pauvres tout entier obéré par l’argent ; nulle institution ne prenant à sa charge ces dépenses, les derniers restes de la dot que Matthias avait commencé à constituer pour Barbora, se sont ainsi évaporés.

Oh, dit Lucien l’âne, à propos de chansons d’enterrement, de funérailles, de cérémonies funèbres, outre que celles que fit Georges Brassens : Les Funérailles d’Antan, Oncle Archibald, Grand-père, Le Temps passé, La Ballade des Cimetières, Le Fossoyeur, Le Testament, Le Codicille, Les Quatre-z-Arts, et peut-être d’autres encore que j’aurais omises et cet incroyable Enterrement de Cornélius, que chantait Gilbert Bécaud, il me souvient que toi aussi tu en fis. De mémoire, L’Enterrement d’Alberto, Rouge pour l’Éternité, Les Funérailles de Franco.

En effet, Lucien l’âne mon ami, mais puisque tu as amorcé une liste de chansons de référence, spécialement pour celle-ci, qui se termine par :

« Oh, Barbora, quelle connerie, la vie ! »

tu noteras qu’il s’agit au mot près – vie au lieu de guerre – d’une quasi-citation de cette chanson de Prévert au titre lui aussi presque identique : Barbara. Une allusion que j’avais déjà faite dans une chanson intitulée : « Oh, Barbara, il gelait sur l’Elbe... ».

Quant à Prévert, dit Lucien l’âne, je ne pense pas qu’on puisse ignorer ici la « Chanson des Escargots qui vont à l’Enterrement », qui elle aussi traite avec une pudique dérision ce sujet généralement considéré comme grave. Alors qu’il conviendrait mieux de le considérer comme un moment de réjouissance : pour le mort, c’est un temps apaisant, quand ce n’est pas une vraie libération de mille douleurs – « il n’aura plus jamais mal aux dents », comme avait si bien remarqué Brassens. Ave, Marco, morituri te salutant ! Gaudeamus ! Enfin, tissons le linceul de ce vieux monde mortel, mortifère, morticole, mortuaire, mourant et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



L’obituaire de la paroisse,
Les mentionne tous les trois :
Le père, le Marionnett-Spieler : Kuře Matthias.
L’enfant et la mère : Kuře Lukas et Kuře Barbora.

Le vendredi, sous la pluie, on les met en terre.
Chez le curé s’échouent soixante kreutzers,
Dix-huit échoient au maître et aux chanteurs,
Matthias en débourse encore dix pour le sonneur.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.


Pour ensevelir ensemble sous terre
L’enfant dans les bras de la mère,
Dans le même trou, sans cri, ni pleur,
Quinze kreutzers défrayent le fossoyeur.

Le cœur de Matthias donne de la bande,
Il va de guingois comme en contrebande.
Faust et Geneviève suivent en boitillant :
Triste vendredi, triste théâtre, triste enterrement.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Barbora égarée dans le martyrologe,
Matthias marche l’œil à terre,
Perdu en un muet monologue :
« Où est la justice sur cette terre ? »

Barbora, sa femme très chérie, partie,
Lukas, son fils, perdu à peine né,
Au pas, Arlequin amer serine atterré :
« Oh, Barbora, quelle connerie, la vie ! »

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

mardi 24 décembre 2019

L’Enfant de Barbora


L’Enfant de Barbora

Chanson française – L’Enfant de Barbora – Marco Valdo M.I. – 2019

ARLEQUIN AMOUREUX – 31

Opéra-récit historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola « Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez Flammarion à Paris en 1979.


« Oh, Barbora, tu connaîtras le bonheur sur terre ! »


Dialogue Maïeutique


Comme le dévoilait déjà la précédente chanson du cycle d’Arlequin amoureux, dit Marco Valdo M.I., la fille Barbora était enceinte et bien proche d’accoucher. Jusque-là, dans cette interminable fuite, elle s’était comportée avec le courage, la bonne volonté et l’obstination nécessaires. Et tout ça, sans jamais se plaindre.

Je me souviens très bien de ça, dit Lucien l’âne. Sans doute également, elle n’avait pas trop le choix ; sauf évidemment à vouloir tenter l’aventure en solitaire, il lui fallait suivre Matthias. De plus, j’ai comme l’impression qu’elle s’accrochait à lui aussi, car pour tout dire, elle l’aimait ; à sa manière, secrète et silencieuse.

Oui, sans doute, Lucien l’âne mon ami. Ici, durant la veillée natale, j’écris et je vais publier cette chanson, qui ferait un émouvant conte de Noël. Écoute voir ! D’abord, la belle enfant qui a trouvé refuge et gîte dans une habitation de fortune, est prise des préliminaires annonciateurs de l’enfantement et Matthias, qui est le seul être vivant à ses côtés, se dévoue tant et plus. Le voilà seul à présent à monter son petit théâtre, ameuter le public, jouer et rejouer Faust et Geneviève – tout son répertoire pour ramener de quoi nourrir et encourager la malheureuse Barbora.

« Oh, Barbora, tu connaîtras le bonheur sur terre ! »

Voilà une magnifique promesse, dit Lucien l’âne.

Le mieux de l’histoire, répond Marco Valdo M.I., c’est que Matthias s’y tiendra. Grâce à toute cette agitation, à ses efforts, elle connaît un petit bonheur. Un soupçon ou une grande goulée, mais du bonheur et sans doute aussi, pour la première fois dans toute sa vie.

Ah, dit Lucien l’âne, ça fait plaisir ; mais comme disait Lætitia : « Pourvu que ça dure ! »

Procédons à partir de là, reprend Marco Valdo M.I., comme le suggère la sagesse (?) populaire, les meilleures choses ont un temps et il est souvent bien court (Est-ce ainsi que les hommes vivent ?).

« Cœur léger cœur changeant cœur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours
Que faut-il faire de mes nuits
Je n’avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je
m’endormais comme le bruit. »

Et très rapidement, les événements se précipitent. Un matin, Barbora met au monde un garçon et dans la fin de l’après-midi, elle meurt – probablement d’épuisement. La conséquence, c’est que Matthias se retrouve à devoir s’occuper de l’enfant et des funérailles de la mère. Mais là aussi, tout se précipite et l’enfant – un garçon nommé Lukas, meurt – lui aussi, las de vivre.

Oh, dit Lucien l’âne, il a bien fait de se laisser aller, car pour lui, la vie ne se présentait pas sous de riants auspices. Alors, ne pouvant rien pour lui, ni pour sa mère, tissons le linceul de ce vieux monde pluvieux, humide, malheureux, catastrophique et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Il pleuvait. Il tombait des cordes sans arrêt.
Le temps de la récolte était passé.
Au tronc d’un pommier, Barbora s’appuyait
Ses jambes d’enfant l’empêchent de marcher.

En contre-bas, Matthias regardait
Une avoine où les javelles noircissaient.
La disette envahissait la monarchie.
De sa vareuse essorée, Arlequin protégeait la fille.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Et alors, Matthias jouait jusqu’à l’épuisement
Faust et Geneviève : hop, bis et encore une fois.
À l’arrière du moulin, sans bœuf, sans âne, Barbora
Hagarde, essoufflée en était à l’enfantement.

Chaque jour, de ses courses solitaires,
Le marionnettiste déserteur ramenait à la resserre
Des œufs, du beurre, du fromage, de la bière.
Oh, Barbora, tu connaîtras le bonheur sur terre !

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Mardi matin, sur les neuf heures, Barbora
Enfin libérée, d’un fils accoucha.
Mardi soir, vers six heures, Barbora
Sans un cri, sans un mot, défuncta.

Mercredi matin, s’en vient un vicaire
Baptiser Lukas pour vingt kreutzers.
Jeudi matin, l’orphelin de Barbora –
Il pleuvait toujours – de la vie se lassa.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

lundi 23 décembre 2019

SIROCCO


 

SIROCCO


Version française – SIROCCO – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson italienne – SciroccoFrancesco Guccini – 1987
Paroles : Francesco Guccini
Musique : Francesco Guccini – Juan Carlos Biondini [Flaco]

1. Album : Note di viaggio – Capitolo 1: Venite avanti – Interprète : Carmen Consoli [2019]
2. Album : Signora Bovary [1987] – Francesco Guccini [1987]


Toi derrière la vitre d’un bar discret,
Assis à une table de poète français
Avec béant de doutes, ton sempiternel visage



Dialogue Maïeutique


Je pense, Lucien l’âne mon ami, que tu connais très bien ce sirocco, ce vent des sables, ce vent sec et brûlant qui tombe brusquement sur les villes et qui sème aussi sûrement le chaud que la bise glacée de l’hiver sème l’effroi. L’un comme l’autre vident les boulevards et les esplanades ; ils créent pour un instant un autre climat passablement insalubre et inhospitalier.


Certes, dit Lucien l’âne, ce sont des courants d’airs venus d’ailleurs, qui amènent dans leurs basques des effluves étranges qui bouleversent le paysage olfactif. À moi, ces senteurs lointaines me plaisent beaucoup ; elles rompent la monotonie des jours et des climats ; elles mettent une autre ambiance. Ces souffles plient autrement les grands voiles de l’espace. Le sirocco est particulier cependant ; il fait sonner la musique du désert lointain ; il fait y entendre le chant des regs, des ergs et des dunes, comme les miaulements et les feulements d’un énorme guépard. Il emporte très loin les sauterelles en de sombres nuages et les cris des suricates et des fennecs. Quant à la bise du pôle, elle purifie en quelque sorte l’atmosphère – qui en a bien besoin, et même de plus en plus de nos jours – et décantent les rues des importuns et des bégueules. C’est un vent rempli d’humeurs prophylactiques et ses froidures et ses pluies éliminent sévèrement les insectes urticants et les microbes infects. Il s’agit pourtant de se brosser énergiquement le poil.


Évidemment, dit Marco Valdo M.I., c’est même le temps pour toi de porter ton célèbre bonnet et d’y enfourner tes oreilles. Mais tout ceci nous éloigne du récit de la chanson, qui raconte une brève rencontre manquée entre un poète attablé à la vitrine d’un café à la mode de Paris, mais néanmoins italien, et de sa muse, elle-même italienne.


Une affaire intemporelle, si tu veux mon avis, dit Lucien l’âne.


Relativement, en tout cas, reprend Marco Valdo M.I. ; toutefois, vu ainsi, ce sirocco est un vent qui soupire à l’intérieur des gens. Il conte une banalité comme il en rencontre des millions d’autres dans son parcours erratique. Il raconte une histoire quotidienne, qui se répète quasiment à l’identique chaque jour, même quand il ne souffle pas. Mais heureusement, il le raconte en chanson.


C’est ce qui fait son intérêt, dit Lucien l’âne, sinon qui l’aurait entendu. En somme, voilà à quoi sert la chanson : faire voir le banal et le quotidien au travers des yeux des vents. Alors, miracle, on voit tout différemment et ça donne à penser et oserais-je le mot, à ruminer. Sur ce, tissons le linceul de ce vieux monde venteux, brûlant, glacial, aride, odorant et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.






Rappelle-toi ce sirocco luminescent balayait les rues,
Mystifiait la réalité et la rendait irréelle.
En un assaut baroque, les tours montaient au ciel
Et dans la rue des Juifs, les voiliers poursuivaient les nues.
Toi derrière la vitre d’un bar discret,
Assis à une table de poète français
Avec béant de doutes, ton sempiternel visage
Et dans un verre, un peu de rouge ordinaire…
Je pensais entrer pour prendre un verre…
Et parler des nuages.


Mais elle est arrivée affairée dansant dans le rose
D’une robe vichy qui s’enroulait autour de sa taille
Et elle commença à parler et commanda quelque chose
Dans le ciel extasié, les nuages couraient à la bataille…
Les larmes s’ajoutèrent au lait de ce thé,
Les mains dessinèrent des rêves et des certitudes…
Mais moi, je savais à quel point tu te sentais tiraillé.
Entre elle et l’autre, que tu ne pouvais pas laisser…
Entre vos deux fils et l’autre attitude,
Tu semblais paralysé…


Avec un dernier geste, elle se levait
Puis sans se retourner, elle partait
Tandis que ce vent la remplissait
De souvenirs impossibles
De confusion et d’images…


Il est resté comme qui se serait trompé de rue,
Errant à la recherche d’on ne sait quelle issue,
Mais il vaut mieux se souvenir d’un jour fatidique
Que de retomber dans une réalité toujours identique.


Maintenant, je ne sais vraiment pas où elle est partie
Si elle a un enfant ou comment elle meuble ses soirs,
Lui, il vit seul et partage sa vie
Entre le travail, ses vers inutiles et la routine du boire.
Ce vent de sirocco soufflait des vérités
Et tous les jours nous poussaient à ausculter,
Derrière le visage abusé des usages
Dans les sombres labyrinthes des maisons
Derrière le miroir secret de chaque visage
Au-dedans de nous, nos émotions.

vendredi 20 décembre 2019

SOUS TERRE


SOUS TERRE


Version française – SOUS TERRE – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson italienne – Sotto terraGiacomo Lariccia – 2014







Sous terre,
Où jamais, le soleil ne brille ;
Sous terre,
Creuser dans les galeries ;
Sous terre
Où l’air est poussé de loin
Par l’amour de qui espère
Le cœur à la main.


Nous descendons au cœur de la terre
Dans une cage d’ascenseur
Fermée à la nostalgie et aux pleurs
Pour creuser dans nos cœurs, extraire
Nos souvenirs, ressasser nos douleurs,
Chercher nos erreurs.


Sous terre,
Où jamais, le soleil ne brille ;
Sous terre,
Creuser dans les galeries ;
Sous terre
Où l’air est poussé de loin
Par l’amour de qui espère
Le cœur à la main.


Nous volons dans des nuages de poussière,
Denses comme des mers,
Épais comme des murs.
Nous respirons le mal de vivre
En attendant, on espère
Qu’il ne fera pas de blessure.


Sous terre,
Où jamais, le soleil ne brille ;
Sous terre,
Creuser dans les galeries ;
Sous terre
Où l’air est poussé de loin
Par l’amour de qui espère
Le cœur à la main.


Nous transpirons dans le froid de l’enfer,
Réconfortés par la pensée
De revoir le soleil et la lumière.
On ne peut vivre une vie sensée,
Si on n’a personne
Qui vous attend à la sortie.


Et à la fin de ce travail démentiel,
Noirs comme les fumées,
Nous revoyons le ciel.
Nous traînons des lambeaux de pensées
Et en nous, nous jurons
Que nos enfants prendront
D’autres allées.


Sous terre,
Où jamais, le soleil ne brille ;
Sous terre,
Creuser dans les galeries ;
Sous terre
Où l’air est poussé de loin
Par l’amour de qui espère
Le cœur à la main.

mercredi 18 décembre 2019

Heureux et content


Heureux et content

Chanson française – Heureux et content – Marco Valdo M.I. – 2019

ARLEQUIN AMOUREUX – 30

Opéra-récit historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola « Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez Flammarion à Paris en 1979.


« Écoute, le Docteur Faust chuchote avec la mort. »




Dialogue Maïeutique


À propos de dialogue, Lucien l’âne mon ami, en voici un, un nouveau, un de plus entre Matthias, alias Vojtěch Boronelli et le célèbre Docteur Faust.

Ah, Marco Valdo M.I. mon ami, ça me fait bien plaisir de voir que notre petit manie du dialogue est aussi celle d’autres locuteurs impénitents.

Mais enfin, Lucien l’âne mon ami, tu sais certainement mieux que moi, du fait que tu participas des quatre pieds à la déambulation philosophique antique qui se menait au son du dialogue maïeutique, père socratique du dialogue platonicien. Je me permets de te le faire remarquer ; il fallait que cela fut dit ici.

Ça, dit Lucien l’âne, c’est une définition ou je n’y comprends rien. Je la retiens, car elle me plaît. Quant à moi, j’ai la maligne joie d’évoquer ici les compères dialogueurs émérites Fruttero et Lucentini, dont les échos sont venus jusqu’ici.

Pour faire court aujourd’hui, Lucien l’âne mon ami, je finirai par cet apparent monologue de Tristram, initiateur du dialogue majuscule de Jacques le Fataliste et son maître, lui-même se répercutant des décennies plus tard, du côté de l’Ukraine, en Marguerite et son maître, où avait ressurgi l’increvable Docteur Faust. C’est à lui que Matthias s’adresse pour s’affirmer en personne, tel un précurseur du Docteur Coué, son propre bonheur.

Au fait, dit Lucien l’âne, il aurait aussi bien – comme le systématisera Émile Coué (Émile Coué de La Châtaigneraie, fils d’Exupère Coué de La Châtaigneraie), s’adresser à lui-même dans ce qu’il faudrait dès lors appeler un autodialogue, pratique qui s’accorderait assez bien à l’injonction socratique du gnothi seauton.

Donc, je reprends dit Marco Valdo M.I., Matthias se gargarise d’une confirmation bien nécessaire, comme on le verra, tant la situation est dramatique et précaire ; on dirait qu’il en appelle à une sorte de médecine homéopathique, où cette petite dose de proclamation optimiste tente d’endiguer la vague que pressent Arlequin.

Oui, dit Lucien l’âne, moi aussi, je sens venir l’orage et certes, ces personnages ne sont pas d’inconscients innocents, même s’ils ne révèlent pas toujours leurs ruminations.

Entretemps, enchaîne Marco Valdo M.I., et pour une fois, bienheureuse elle aussi – elle est au chaud, elle a bu, elle a mangé, elle soupire – Barbora se laisse aller à une douce satisfaction. Au-dehors, la guerre militaire a recommencé ses manœuvres à travers et tout autour de l’Europe, ce qui aggrave évidemment la situation d’Arlequin le déserteur.

Oui, dit Lucien l’âne, les déserteurs, c’est très mal vu par les autorités et c’est aussi, du coup, un gibier très apprécié des chiens de garde et des limiers courants et face aux balles des chasseurs, il n’est pas bon d’être lièvre.

Donc, Lucien l’âne mon ami, la fuite doit reprendre. Pas question de stationner, même une journée, il faut repartir chaque matin. Mais Barbora, comme tu le verras, a de plus en plus de difficulté à suivre la cadence.

Et pourquoi donc !, s’exclame Lucien l’âne.

Ah, dit Marco Valdo M.I., c’est dit à la fin de la chanson.

Alors, conclut Lucien l’âne, voyons vite ça et tissons le linceul de ce vieux monde harceleur, mauvais joueur, flambeur, tueur et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Docteur Johannes Faust, je suis heureux, dit Matthias ;
Barbora, paupières de plomb, yeux rougeoyants,
Rassasiée d’œuf et de pain, somnolait sur le banc ;
À cette heure, elle pique du nez, elle est lasse.

Barbora a mis la tête sur la table, elle dort.
Oui, je te le dis Arlecchina, je suis content ;
Juste là, au chaud, près de ce poêle, maintenant.
« Écoute, le Docteur Faust chuchote avec la mort. »

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

À nouveau, la flotte anglaise bloque les ports ;
Alors, l’infanterie française traverse encore, le décor ;
Alors, la guerre des patries reprend son sempiternel pas ;
À nouveau, les Empereurs ont besoin de soldats.

Au matin, le marionnettiste déserteur et toute sa smala
Recommencent à fuir à travers pluies et champs.
Mutique, l’œil hagard, la fille se traîne difficilement.
« Tu ne dis rien, tu as mal, dis-moi Barbora ? »

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Au bord du chemin, elle trône sur son séant,
Les pieds écartés, nus, gonflés,
Barbora, plus laide qu’avant l’été,
Rit, amère, moins deux dents de devant.

Avec ses lèvres enflées et gercées,
Elle souffle et soupire, Barbora ;
Ses grosses mains se posent résignées
Sur son ventre gros de sept mois.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

mardi 17 décembre 2019

Les Verbes manquants


Les Verbes manquants


Chanson de langue française – Les Verbes manquants – Marco Valdo M.I. – 2019



Je nazis, tu nazis, il nazit



Dialogue Maïeutique

Ah, Marco Valdo M.I., ne voilà-t-il pas que tu te mets à la conjugaison et au présent encore ! Aurais-tu des ambitions de grammairien ? J’avais bien remarqué ton goût pour de petites incursions récréatives dans le Bon Usage de Monsieur Grévisse, mais de là à te voir écrire une chanson sur la conjugaison, je te l’avoue, personnellement, je n’en reviens pas.

Oh, Lucien l’âne mon ami, attends un instant et tu vas comprendre de quoi il s’agit. Le fait est que cet exercice de conjugaison m’a bien amusé, mais il ne prend son vrai sens que par les verbes choisis qui sont des verbes « manquants », autrement dit qui ne se trouvent pas (encore ?) dans le dictionnaire et pour la plupart, sont absents du langage usuel. Et puis, c’est le minimum de correction, je dois bien signaler que le premier de ces verbes : « nazir », une vraie trouvaille, avait été conjugué ainsi dans les années 30 du siècle dernier par l’écrivain français Pierre Henri Cami. Déjà à l’époque, c’était un verbe « manquant » et hors cette occurrence, il l’est resté jusqu’à aujourd’hui. C’est à réparer cet oubli que je m’attelle.

Et sans aucun doute, Marco Valdo M.I. mon ami, tu fais œuvre utile ; mais dis-m’en plus sur ce sujet.

Comme je viens de l’expliquer, reprend Marco Valdo M.I., j’avais trouvé fort intéressante et significative, cette proposition de Cami d’un verbe « nazir » pour décrire le comportement et l’action des « nazis ». En raison de la qualité particulière de ce mot, car c’est carrément un verbe prophylactique. Il permet de faire apparaître toutes les faces du nazi – de la posture la plus individuelle, quasiment intime, intrinsèque : je nazis à la posture la plus générale : Ils nazillent, forme qui en français se rapproche comiquement de nasiller, qui désigne le fait de parler du nez. Quand on parcourt le déroulement de la conjugaison du présent de l’indicatif, on voit le verbe s’appliquer je : à moi ; tu : à toi ; à elle, à lui, à nous (a noï !, disaient les fascistes italiens), à vous, à eux, à elles. J’ai ajouté le féminin à la conjugaison de la troisième personne du singulier et du pluriel afin qu’on n’oublie pas non plus que les dames aussi nazillent à l’occasion et il est valable de les impliquer pour tous les verbes.

Oui, certainement, dit Lucien l’âne, il ne s’agit pas d’être sexiste et de négliger cette moitié de l’espèce humaine. Pour ce que j’en sais, elle est tout aussi redoutable.

En effet, Lucien l’âne, mais revenons au verbe « nazir » et à l’importance de le conjuguer, ce qui permet de visualiser l’action et d’en montrer les différentes dimensions. En outre, cette conjugaison actualise les faits et l’occurrence, vu les verbes qu’on avait curieusement négligés jusqu’ici : nazir, fascister, etc., on expose le péril en action. J’insiste, on n’est plus dans le discours théorique, on est dans la description. Ainsi,

– le nazi explicite ce qu’il fait : je nazis ;
– l’adversaire accuse clairement, pas d’entourloupe : tu nazis ;
– le journaliste ou le savant établissent nettement le fait : il nazit ;
– la bande, la meute, le groupe affirme sa pratique : nous nazillons ;
– les résistants (Ora e sempre : Resistenza !) dénoncent : vous nazillez ;
– la presse, la communauté intellectuelle confirment : ils nazillent.

Et maintenant, faites l’exercice nazir, puis avec les autres verbes en imaginant à qui ils peuvent s’appliquer.

Oh oui, dit Lucien l’âne, quelle bonne idée ! Je propose que dans les écoles, les professeurs enseignent ces verbes et fassent faire ces exercices que tu proposes en les reliant à un exemple d’actualité. Par exemple, si on prend comme exemple l’Italie actuelle, on peut faire l’exercice suivant :

Je fasciste, dit Salvini
Tu fascistes, dit une sardine
Il fasciste, dit la presse étrangère
Nous fascistons, disent 30 % des habitants (selon les sondages)
Vous fascistez, disent les autres habitants
Ils fascistent, dit le monde entier.

Certes, répond Marco Valdo M.I., ce serait une bonne façon d’apprendre à voir cette réalité sous se divers angles. Il ne reste plus qu’à attendre et voir si cette méthode va prendre, car c’est comme les semis, on ne sait jamais, s’ils vont donner le résultat escompté.

Bien sûr, conclut Lucien l’âne, mais en tout cas, c’est intéressant. Je pense qu’il faudra compléter cette première liste qu’établit la chanson ; d’autres verbes épouvantables pourraient qualifier les actions de nouvelles bandes surgies du ventre fécond. En Inde, par exemple, où je verrais bien un verbe « hindouir », qui désignerait les actes des bandes assassines d’Hindous et qui se conjuguerait :

J’hindouis, tu hindouis, elle hindouit, il hindouit, nous hindouissons, vous hindouissez, elles hindouissent, ils hindouissent.

Bref, on pourrait encore dire plein de choses, mais ce n’est pas le moment, alors, tissons le linceul de ce vieux monde nazifiant, fascistant, nationalant, territoirant, populistant, dictaturant, génocidant, shariant, hindouissant et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



NAZIR

Je nazis
Tu nazis
Il nazit – Elle nazit
Nous nazillons
Vous nazillez
Ils nazillent – Elles nazillent

FASCISTER

Je fasciste
Tu fascites
Il fasciste – Elle fasciste
Nous fascistons
Vous fascistez
Ils fascistent – Elles fascistent

NATIONALISTER

Je nationaliste
Tu nationalistes
Il nationaliste – Elle nationaliste
Nous nationalistons
Vous nationalistez
Ils nationalistent – Elles nationalistent

TERRITOIRER

Je territoire
Tu territoires
Il territoire – Elle territoire
Nous territoirons
Vous territoirez
Ils territoirent – Elles territoirent

POPULISTER

Je populiste
Tu populistes
Il populiste – Elle populiste
Nous populistons
Vous populistez
Ils populistent – Elles populistent

DICTATURER

Je dictature
Tu dictatures
Il dictature – Elle dictature
Nous dictaturons
Vous dictaturez
Ils dictaturent – Elles dictaturent

GÉNOCIDER

Je génocide
Tu génocides
Il génocide – Elle génocide
Nous génocidons
Vous génocidez
Ils génocident – Elles génocident

SHARIER (au passé simple)

Je shariai
Tu sharias
Il sharia – Elle sharia
Nous shariâmes
Vous shariâtes
Ils sharièrent – Elles sharièrent

HINDOUÏR

J’hindouis
Tu hindouis
Il hindouit – Elle hindouit
Nous hindouissons
Vous hindouissez
Ils hindouissent – Elles hindouissent