Barbora
Chanson
française – Barbora – Marco Valdo M.I. – 2019
ARLEQUIN
AMOUREUX – 32
Opéra-récit
historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola
« Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le
titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J.
Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de
l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR
CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez
Flammarion à Paris en 1979.
Dialogue
Maïeutique
Finalement
et sans doute, heureusement, oui, heureusement, dit
Marco Valdo M.I., Barbora
et Lukas, son garçon, étaient morts.
Heureusement ?,
Marco Valdo M.I. mon ami, je le pense aussi. Simplement, même quand
les gens le pensent au plus intime de leur conviction, ils évitent
la plupart du temps de révéler leur vrai sentiment, ils font une
figure d’enterrement et jouent la sinistre comédie du deuil et du
chagrin falsifié car,
disent-ils, si jamais on les interroge, ça ne se dit pas, ça ne se
fait pas. Et voilà le monde plongé dans un malodorant bain
d’hypocrisie. Moi, ce qui m’intrigue vraiment, c’est le
pourquooi d’un tel maquillage, la raison profonde d’un tel
travestissement ; est-ce religion, est-ce rite, est-ce
superstition, est-ce qu’en-dira-t-on ?
À
mon sens, Lucien l’âne mon ami, un peu tout ça, à la fois. Mais
disons-le tout net, cette double mort était une circonstance
bienfaitrice, un aléa salvateur, même si cela consterne notre
Arlequin, qui n’a pas beaucoup les moyens d’y faire face ;
il en sort complètement ruiné. Il n’avait pas le choix non plus,
car c’est à lui et à lui seul que revient de donner les soins à
ces ex-êtres. Et en premier lieu, il lui incombe de leur donner un
nom, une identité éphémère et une vie honorable ; en somme,
effacer toute trace du néfaste destin qui les avait marqués. Pour
ce faire, une seule voie s’offrait à lui : les adopter au
moins à titre posthume. Il épousa donc Barbora morte et il fit de
ce fait, de l’enfant, son propre fils, qui – hasard du calendrier
– fut prénommé Lukas, du nom du saint du jour. Ainsi, tout fut
transcrit dans les registres.
Tout
compte fait, dit Lucien l’âne, ce n’est pas plus mal
et globalement, ça clôture cet épouvantable épisode de Barbora et
ça évite toutes les questions sur le passé. Néanmoins, le
déserteur devra à nouveau déserter, fuir et fissa, encore.
Certes,
dit Marco Valdo M.I. ; cependant, la chanson est l’histoire de
l’enterrement de Barbora et de Lukas ; un enterrement de
pauvres parmi les enterrements de pauvres, lesquels s’efforcent
d’être décents malgré les ravages de la
Guerre de Cent Mille Ans que leur font les riches dont les
funérailles, les obsèques ne sont que parades, cortèges et
monuments, les derniers feux de l’arrogance ambitieuse de la
domination, la glorification de l’égo d’un
monde en
mal de surdimension. C’est
un enterrement de pauvres tout entier obéré par l’argent ;
nulle institution ne prenant à sa charge ces dépenses, les derniers
restes de la dot que Matthias avait commencé à constituer pour
Barbora, se sont ainsi évaporés.
Oh,
dit Lucien l’âne, à propos de chansons d’enterrement, de
funérailles, de cérémonies funèbres, outre que celles que fit
Georges Brassens :
Les
Funérailles d’Antan, Oncle
Archibald, Grand-père,
Le
Temps passé, La Ballade des Cimetières, Le Fossoyeur, Le
Testament, Le
Codicille, Les
Quatre-z-Arts, et peut-être d’autres encore que j’aurais
omises et cet incroyable Enterrement de Cornélius, que chantait
Gilbert Bécaud,
il me souvient que toi aussi tu en fis. De mémoire, L’Enterrement
d’Alberto, Rouge
pour l’Éternité, Les
Funérailles de Franco.
En
effet, Lucien
l’âne mon ami, mais puisque tu as amorcé une liste de chansons de
référence, spécialement pour celle-ci, qui se termine par :
« Oh,
Barbora, quelle connerie, la vie ! »
tu
noteras qu’il s’agit au mot près – vie au lieu de guerre –
d’une quasi-citation de cette chanson de Prévert au titre lui
aussi presque identique : Barbara.
Une
allusion que j’avais déjà faite dans une chanson intitulée :
« Oh,
Barbara, il gelait sur l’Elbe... ».
Quant
à Prévert, dit Lucien l’âne, je ne pense pas qu’on puisse
ignorer ici la « Chanson
des Escargots qui vont à l’Enterrement », qui elle aussi
traite avec une pudique dérision ce sujet généralement considéré
comme grave. Alors qu’il conviendrait mieux de le considérer comme
un moment de réjouissance : pour le mort, c’est un temps
apaisant, quand ce n’est pas une vraie libération de mille
douleurs – « il n’aura plus jamais mal aux dents »,
comme avait si bien remarqué Brassens. Ave,
Marco, morituri te salutant ! Gaudeamus !
Enfin, tissons le linceul de ce vieux monde mortel,
mortifère,
morticole, mortuaire, mourant et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
L’obituaire
de la paroisse,
Les
mentionne tous les trois :
Le
père, le Marionnett-Spieler : Kuře
Matthias.
L’enfant
et la mère : Kuře
Lukas et Kuře Barbora.
Le
vendredi, sous la pluie, on les met en terre.
Chez
le curé s’échouent soixante kreutzers,
Dix-huit
échoient au maître et aux chanteurs,
Matthias
en débourse encore dix pour le sonneur.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Pour
ensevelir ensemble sous terre
L’enfant
dans les bras de la mère,
Dans
le même trou, sans cri, ni pleur,
Quinze
kreutzers défrayent le fossoyeur.
Le
cœur de Matthias donne de la bande,
Il
va de guingois comme en contrebande.
Faust
et Geneviève suivent en boitillant :
Triste
vendredi, triste théâtre, triste enterrement.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Barbora
égarée dans le martyrologe,
Matthias
marche l’œil à terre,
Perdu
en un muet monologue :
« Où
est la justice sur cette terre ? »
Barbora,
sa femme très chérie, partie,
Lukas,
son fils, perdu à peine né,
Au
pas, Arlequin amer serine atterré :
« Oh,
Barbora, quelle connerie, la vie ! »
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
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