lundi 30 décembre 2019

Barbora


Barbora

Chanson française – Barbora – Marco Valdo M.I. – 2019

ARLEQUIN AMOUREUX – 32

Opéra-récit historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola « Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez Flammarion à Paris en 1979.



Dialogue Maïeutique


Finalement et sans doute, heureusement, oui, heureusement, dit Marco Valdo M.I., Barbora et Lukas, son garçon, étaient morts.

Heureusement ?, Marco Valdo M.I. mon ami, je le pense aussi. Simplement, même quand les gens le pensent au plus intime de leur conviction, ils évitent la plupart du temps de révéler leur vrai sentiment, ils font une figure d’enterrement et jouent la sinistre comédie du deuil et du chagrin falsifié car, disent-ils, si jamais on les interroge, ça ne se dit pas, ça ne se fait pas. Et voilà le monde plongé dans un malodorant bain d’hypocrisie. Moi, ce qui m’intrigue vraiment, c’est le pourquooi d’un tel maquillage, la raison profonde d’un tel travestissement ; est-ce religion, est-ce rite, est-ce superstition, est-ce qu’en-dira-t-on ?

À mon sens, Lucien l’âne mon ami, un peu tout ça, à la fois. Mais disons-le tout net, cette double mort était une circonstance bienfaitrice, un aléa salvateur, même si cela consterne notre Arlequin, qui n’a pas beaucoup les moyens d’y faire face ; il en sort complètement ruiné. Il n’avait pas le choix non plus, car c’est à lui et à lui seul que revient de donner les soins à ces ex-êtres. Et en premier lieu, il lui incombe de leur donner un nom, une identité éphémère et une vie honorable ; en somme, effacer toute trace du néfaste destin qui les avait marqués. Pour ce faire, une seule voie s’offrait à lui : les adopter au moins à titre posthume. Il épousa donc Barbora morte et il fit de ce fait, de l’enfant, son propre fils, qui – hasard du calendrier – fut prénommé Lukas, du nom du saint du jour. Ainsi, tout fut transcrit dans les registres.

Tout compte fait, dit Lucien l’âne, ce n’est pas plus mal et globalement, ça clôture cet épouvantable épisode de Barbora et ça évite toutes les questions sur le passé. Néanmoins, le déserteur devra à nouveau déserter, fuir et fissa, encore.

Certes, dit Marco Valdo M.I. ; cependant, la chanson est l’histoire de l’enterrement de Barbora et de Lukas ; un enterrement de pauvres parmi les enterrements de pauvres, lesquels s’efforcent d’être décents malgré les ravages de la Guerre de Cent Mille Ans que leur font les riches dont les funérailles, les obsèques ne sont que parades, cortèges et monuments, les derniers feux de l’arrogance ambitieuse de la domination, la glorification de l’égo d’un monde en mal de surdimension. C’est un enterrement de pauvres tout entier obéré par l’argent ; nulle institution ne prenant à sa charge ces dépenses, les derniers restes de la dot que Matthias avait commencé à constituer pour Barbora, se sont ainsi évaporés.

Oh, dit Lucien l’âne, à propos de chansons d’enterrement, de funérailles, de cérémonies funèbres, outre que celles que fit Georges Brassens : Les Funérailles d’Antan, Oncle Archibald, Grand-père, Le Temps passé, La Ballade des Cimetières, Le Fossoyeur, Le Testament, Le Codicille, Les Quatre-z-Arts, et peut-être d’autres encore que j’aurais omises et cet incroyable Enterrement de Cornélius, que chantait Gilbert Bécaud, il me souvient que toi aussi tu en fis. De mémoire, L’Enterrement d’Alberto, Rouge pour l’Éternité, Les Funérailles de Franco.

En effet, Lucien l’âne mon ami, mais puisque tu as amorcé une liste de chansons de référence, spécialement pour celle-ci, qui se termine par :

« Oh, Barbora, quelle connerie, la vie ! »

tu noteras qu’il s’agit au mot près – vie au lieu de guerre – d’une quasi-citation de cette chanson de Prévert au titre lui aussi presque identique : Barbara. Une allusion que j’avais déjà faite dans une chanson intitulée : « Oh, Barbara, il gelait sur l’Elbe... ».

Quant à Prévert, dit Lucien l’âne, je ne pense pas qu’on puisse ignorer ici la « Chanson des Escargots qui vont à l’Enterrement », qui elle aussi traite avec une pudique dérision ce sujet généralement considéré comme grave. Alors qu’il conviendrait mieux de le considérer comme un moment de réjouissance : pour le mort, c’est un temps apaisant, quand ce n’est pas une vraie libération de mille douleurs – « il n’aura plus jamais mal aux dents », comme avait si bien remarqué Brassens. Ave, Marco, morituri te salutant ! Gaudeamus ! Enfin, tissons le linceul de ce vieux monde mortel, mortifère, morticole, mortuaire, mourant et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



L’obituaire de la paroisse,
Les mentionne tous les trois :
Le père, le Marionnett-Spieler : Kuře Matthias.
L’enfant et la mère : Kuře Lukas et Kuře Barbora.

Le vendredi, sous la pluie, on les met en terre.
Chez le curé s’échouent soixante kreutzers,
Dix-huit échoient au maître et aux chanteurs,
Matthias en débourse encore dix pour le sonneur.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.


Pour ensevelir ensemble sous terre
L’enfant dans les bras de la mère,
Dans le même trou, sans cri, ni pleur,
Quinze kreutzers défrayent le fossoyeur.

Le cœur de Matthias donne de la bande,
Il va de guingois comme en contrebande.
Faust et Geneviève suivent en boitillant :
Triste vendredi, triste théâtre, triste enterrement.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Barbora égarée dans le martyrologe,
Matthias marche l’œil à terre,
Perdu en un muet monologue :
« Où est la justice sur cette terre ? »

Barbora, sa femme très chérie, partie,
Lukas, son fils, perdu à peine né,
Au pas, Arlequin amer serine atterré :
« Oh, Barbora, quelle connerie, la vie ! »

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

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