samedi 5 janvier 2019

DENDROCHRONOLOGIE

DENDROCHRONOLOGIE


Version française – DENDROCHRONOLOGIE – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson italienne – DendrocronologiaDeproducers – 2017







De la rencontre de quatre producteurs : Vittorio Cosma, Gianni Maroccolo, Max Casacci et Riccardo Sinigalliaest né un projet novateur et rassembleur, une combinaison sans précédent de musique et de science. Deproducers est une sorte de collectif Les Deproducers ont l’intention de mettre en musique sur scène des conférences scientifiques racontées d’une manière rigoureuse mais accessible.


Planetario, le premier chapitre, remonte à 2012 et combine la musique aux conférences spatiales de l’astrophysicien et directeur du Planétarium de Milan Fabio Peri. Le tout avec les images originales fournies par l’ESA pour le spectacle.
Botanica, le deuxième chapitre, est né en 2016 et crée une bande sonore organique et riche pour les incroyables révélations sur la vie secrète des plantes, racontées avec rigueur par Stefano Mancuso, un des plus grands neurobiologistes vivants.
Les deux spectacles utilisent les visuels de Marino Capitanio et les mise en scène de Peter Bottazzi.
L’idée de Deproducers est née de Vittorio Cosma, qui a décidé d’impliquer certains des musiciens les plus respectés dans un projet qui allie musique et science.
Un matin, il décida d’entrer au Planétarium de Milan, où il rencontra le directeur Fabio Peri, un scientifique ayant une formation musicale importante. L’empathie est immédiate et le professeur est aussitôt impliqué dans le projet : c’est en fait la naissance de Planetario.
L’astrophysicien illustra les merveilles du cosmos et le mystère de sa naissance, les constellations et leur mythologie, la relation entre l’homme et l’infini, le tout véhiculé par une incroyable capacité à emballer le public avec un langage simple et accessible.
Avec lui, les quatre producteurs étendent un tapis sonore qui entraîne l’auditeur au milieu du ciel, faisant du concert un véritable voyage intergalactique.
Lors d’une réunion publique organisée par Aboca, Vittorio Cosma rencontre Stefano Mancuso en 2015. Encore une fois, l’empathie immédiate mène à la genèse de l’idée de Botanique. Le neurobiologiste s’intéresse à la communication qui a lieu entre les plantes, en étudiant les modalités selon des critères strictement scientifiques.
Devant le public, une facette totalement inconnue du monde végétal est révélée lors d’une rencontre populaire mais rigoureuse, compréhensible pour tous.
Les musiciens, submergés par les projections synchronisées créées par Marino Capitanio, accompagnent le voyage en dessinant des univers sonores palpitants et engageants qui améliorent la communication du scientifique et captivent le public.


La chronologie cosmique du voyage d’un rayon de lumière, racontée dans Travelling, trouve sa parfaite contrepartie dans ce morceau consacré à la chronologie végétale : quelque chose qui nous fait nous sentir infiniment petits, éphémères. Peu de différence entre notre moyenne de quatre-vingts ans et les vingt minutes d’une bactérie, par rapport aux espèces végétales qui ont vu non seulement tout le flux de notre histoire connue et de notre préhistoire, mais aussi l’aube d’une planète où l’espèce humaine était loin d’être à venir. La botanique est un spectacle que les Deproducers organisent depuis 2017 et, surtout, ils l’ont présenté dans de nombreuses écoles sous la supervision scientifique du professeur Stefano Mancuso, botaniste de renommée mondiale, professeur à l’Université de Florence et directeur du Laboratoire international de neurobiologie des plantes (LINV). [RV]

Dialogue Maïeutique


Quel curieux titre pour une chanson, dit Lucien l’âne. Je sais que je le dis souvent, mais cette fois, c’est un titre d’une curiosité curieuse et ne crois pas que je ne sais pas ce dont il s’agit. Tout au contraire, pur mi, la chose est claire et c’est pour cela que je trouve ce titre curieux et de plus, il attire la curiosité. Je sais pertinemment qu’il s’agit de la chronologie de l’arbre et par extension, de la chronologie par l’arbre. Littéralement, il s’agit de la datation d’un arbre en comptant les anneaux que les années passées une à une ont laissés à l’intérieur du tronc de l’arbre et qui d’ailleurs en constituent la matière.

En effet, Lucien l’âne mon ami, c’est un curieux titre qui cependant correspond exactement à ce que tu en disais. C’est une chanson « scientifique » ; disons plus justement, une chanson de « vulgarisation scientifique » et c’est, en son genre, une réussite.

Et c’est également une très bonne idée, reprend Lucien l’âne. Cela manquait. À côté de la chanson d’amour, on avait déjà – dans le désordre le plus absolu – la chanson politique, la chanson contre la guerre, la chanson sociale, la chanson poétique, la chanson épique, la chanson historique, la chanson chronique, la chanson romantique, la chanson comique, la chanson magique, la chanson enfantine, la chanson religieuse, que sais-je encore ?, mais pas vraiment de chanson scientifique, du moins se revendiquant telle.

Tu as résumé le propos, dit Marco Valdo M.I., et je n’y ajouterai rien grand-chose. Sauf qu’il me faut avouer une petite incartade de ma part : j’ai ajouté un vers à la chanson d’origine et franchement, je ne le regrette pas, car il manquait. C’est le vers final qui exprime le rapport temporel et vital entre l’homme et les autres espèces et au-delà entre la vie biologique – telle qu’on la connaît sur Terre (pléonasme de renforcement) et le reste de l’univers. Nous sommes tous – à savoir ces vivants énumérés dans la chanson – des précaires, des êtres de hasard dont le destin est lui-même hasardeux. Pour mieux encore préciser cette pensée, nous savons (plus ou moins) notre passé et nous pourrions le connaître beaucoup mieux, beaucoup mieux le documenter ; ça, c’est de l’ordre du possible. On peut le retracer, au moins dans ses grandes lignes, mais ne nous pouvons augurer du futur. On peut savoir les bonds du hasard passés ; on ne peut que subodorer ceux du futur qui sont rigoureusement livrés à eux-mêmes. En ce sens, il n’y a pas de futur, il n’y a que des potentialités de futur. L’avenir est enfant de hasard ; même sil existe dans le passé de ce hasard-là des nécessités qui le contraignent. Le hasard ainsi considéré est la rencontre de potentialités infinies avec d’infinies nécessités. Pour en quelque sorte arriver à cristalliser certains futurs, il faut en réduire très considérablement la durée, l’ampleur et la complexité. Ce qui est notamment une des raisons de cette phrase :

« Du moins, tant qu’il y aura des hommes… »

Arrêtons là, dit Lucien l’âne, j’ai le tournis. En attendant, tissons le linceul de ce monde infini, hasardeux, énorme, à notre échelle, ridiculement minuscule et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Les bactéries peuvent vivre 20 minutes.
Un papillon peut vivre 12 heures, une puce d’eau peut vivre une semaine.
Les rongeurs peuvent vivre en moyenne deux ans, un chat quinze,
Un cheval peut arriver à dépasser les vents.
L’espérance de vie moyenne d’un être humain est d’environ 80 ans.
Les oiseaux comme les perroquets, les hiboux, les faucons peuvent vivre jusqu’à 100 ans.
Les éléphants, les baleines et autres grands mammifères peuvent survivre au siècle.
Les tortues géantes des Galápagos peuvent vivre jusqu’à 200 ans.
Mais parmi les végétaux, il y a des espèces d’arbres, comme Pinus longaeva, qui peuvent vivre jusqu’à plus de 4 700 ans.
Leur naissance précède l’invention de la première forme d’écriture alphabétique, qui accompagne toute l’histoire de l’homme jusqu’à nos jours.
Ils étaient là quand les Pyramides et le Sphinx ont été construits.
Ils étaient là avant l’essor de la civilisation grecque, la fondation de Rome.
Ils étaient là avant Jésus-Christ, avant Bouddha, avant Mahomet et avant Confucius.
Ils étaient là lors de la chute de l’Empire romain et au couronnement de Charlemagne.
Ils étaient là avant l’invention de la presse, la découverte de l’Amérique,
Avant Copernic et avant la théorie de la gravitation universelle.
Ils étaient là et ils ont survécu à la Révolution industrielle, la Révolution française, Napoléon.
Ils étaient là lors de la pose des premiers câbles télégraphiques et des câbles électriques.
Ils étaient là et ils ont été traversés par les premiers signaux radio, survolés par les avions,
Et ils ont survécu à deux guerres mondiales et aux radiations nucléaires.
Ils ont vu l’homme sur la Lune.
Et ils continueront d’être témoins de notre évolution.
Du moins, tant qu’il y aura des hommes…

jeudi 3 janvier 2019

GROS TEMPS

GROS TEMPS




Version française – GROS TEMPS – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson allemande – Große ZeitenErich Kästner – 1931



La musique est de Will Elfes (1924-1971), un sculpteur et musicien allemand. Dans son album de 1970, « Will Elfes Singt Kästner ».









Dialogue Maïeutique


Mais enfin, Marco Valdo M.I., que fais-tu ? Il existe déjà une traduction française de cette chanson. Pourquoi en fais-tu une nouvelle ?

J’ai toujours dit, Lucien l’âne mon ami, que je ne fais pas de traduction ; j’établis une version française à mon intention et je la mets à la disposition de qui veut la lire, à qui il plaît de la lire. Et puis, vaut mieux une version de plus ; ça enrichit tout le monde. Et surtout, ne me demande pas mon avis sur les traductions faites par d’autres ; ce serait déloyal.

Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, détends-toi. Je n’ai d’ailleurs rien dit de cette traduction, si ce n’est qu’elle existe. Et j’avais sous-entendu, il est vrai qu’il existe tant d’autres chansons et même, si le cœur t’en dit, des pièces de théâtre. Tu pourrais, par exemple, donner une version française de Shakespeare, d’une pièce, d’une autre, du Songe d’une Nuit d’Été ou du Roi Jean ou d’autres auteurs. Que sais-je ?

De cela non plus, je ne dirai rien, Lucien l’âne mon ami et tu sais pourquoi. Ça nous emmènerait trop loin. Lors, j’ai voulu faire une version française de ce « Grosse Zeiten » de Kästner, car j’aime beaucoup Erich Kästnerj’ai mis à ma sauce en français bon nombre de ses chansons et je voulais savoir ce qu’il disait exactement dans ce texte. Maintenant, je sais.

Alors, je t’en prie, Marco Valdo M.I. mon ami, dis-moi tout.

Hum, Lucien l’âne mon ami, tout, ce ne sera pas possible, mais certaines choses utiles, oui. D’abord, entame Marco Valdo M.I., je commencerai par le titre. Il comporte deux mots. Sur le mot temps, il n’y a pas grand-chose à dire, si ce n’est qu’il est terriblement ambigu et polysémique et qu’il faut le prendre ici au sens figuré, généralement utilisé pour décrire la situation ; c’est de la météorologie appliquée au temps social ou politique. Et ce temps (ou ces temps, peu importe) est « gross », ce qui peut vouloir dire grand et gros ou les deux en même temps ; on peut donc également alterner la qualification. Ici, il me faut revenir à la météorologie marine, car, du moins, à mon sens, il faut comprendre « gros temps », c’est-à-dire un temps annonciateur de tempête ou tout bonnement, un temps de tempête. J’aime à faire remarquer qu’Erich Kästner écrit cette chanson en 1931, moment où la houle devient de plus en plus forte et que la très grosse tempête s’annonce. C’est l’année également où il publie son roman vers l’abîme, qui fut massacré par la critique et les « bonnes gens » de son temps. Et c’est de ce « gros temps » déjà là qu’il parle – sans doute en vain. Tout comme aujourd’hui, dans les pays qui foncent vers l’abîme, celui qui a le malheur d’y faire allusion est mal reçu. Quant à l’état général du monde, je suis assez persuadé que cette expression de « Grosse Zeiten » s’y applique sans conteste. Mais en l’occurrence, Erich Kästner avait quand même pris soin de poser lui-même la question du pays : Kennst du das Land, wo die Kanonen blühn?Connais-tu le pays où les canons fleurissent ?, où il disait :

« Connais-tu ce pays ? Il pourrait être heureux.
Peut-il être heureux et rendre heureux ?
Là-bas, il y a des champs, le charbon, l’acier et la pierre,
L’ardeur, la force et d’autres belles choses.

Là-bas, de temps en temps, il y a même l’esprit et la bonté
Et un véritable héroïsme. Mais pas chez beaucoup. »


Oui, mais la chanson, dit Lucien l’âne, elle parle de ça, elle aussi ?

Évidemment, Lucien l’âne mon ami, elle est annonciatrice du « gros temps » et de l’éventuel naufrage du navire, mais elle transcende, comme le fait souvent le texte poétique, les événements précis auxquels elle allude. Tiens, « La Tempête », n’était-ce pas aussi une pièce de cet écrivain dont tu parlais tout à l’heure, celui dont, au temps de Montaigne, de Bruno ou de Campanella, on jouait les pièces à Londres et qui signait William Shakespeare ? Pour en revenir à la chanson d’Erich Kästner, si elle annonce le gros temps, elle raconte que la plupart des gens (les hydrocéphales, les têtes pleines d’eau) ne s’en rendent même pas compte et suivent le mouvement du flux, ils se laissent littéralement porter par la vague. Quant à ceux qui s’en inquiètent, ils se replient et se préparent au pire. Par ailleurs, la vie continue, on nourrit le passereau dans le bosquet du bois voisin ; on vogue dans la béatitude du quotidien. Après nous, les mouches.

Dans la forêt, s’ébat le gai passereau.
Les bonnes gens qui le nourrissent,
Sont heureux d’avoir un oiseau.
Les pieds du futur doucement se refroidissent.

Oh, dit Lucien l’âne, sans vouloir t’offusquer, on dirait une sorte d’instantané de la situation contemporaine.

C’est bien ça, Lucien l’âne mon ami. Finalement, comme aujourd’hui, les Cassandre (par exemple Kästner lui-même, mais aussi, Erika Mann, Erich Mühsam, Carl von Ossietsky, Kurt Tucholsky, Bertolt Brecht, Ernst Töller, etc.) sont moquées et le peuple sombre dans la folie. Je dis comme aujourd’hui en pensant à quelques pays. Lesquels ? Presque tous, car c’est une épidémie.

Les Cassandre sont traitées par le mépris.
La
sottise tourne à l’épidémie.
Le temps n’
a jamais été aussi gros qu’aujourd’hui.
Un peuple sombre dans l
a folie.

J’avais toujours soupçonné Erich Kästner d’être un peu prophétique, tout à fait poétique et trop intelligent pour ne pas sentir ce qui se préparait. Mais comme Cassandre, on ne l’a pas trop cru et vite, on l’a fait taire dans un énorme bûcher berlinois auquel il assista, incognito (heureusement !), perdu dans la foule des S.A. qui délirait sur la place. Mais définitivement, une voix peut-elle arrêter l’avalanche ? Cependant, je rejoins ton regard, elle doit crier, l’oiseau doit continuer à chanter.

Alors, conclut Lucien l’âne, continuons. Tissons le linceul de ce vieux monde sot, insensé, inconscient et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



Le temps est si gros, beaucoup trop grand.
Il grandit trop vite.
Ça le pourrit.
On
le mesure chaque jour et on se dit anxieusement :
Le temps n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui.

Il grossit. Il grandit. Bientôt, il fait faux bond.
Que fait l’homme là-contre ? Il est bon.
Chez les hydrocéphales, monte par vagues le flux.
Dans le cerveau des gens sensés, c’est le reflux.

Dans la forêt, s’ébat le gai passereau.
Les bonnes gens qui le nourrissent,
Sont heureux d’avoir un oiseau.
Les pieds du futur doucement se refroidissent.

Les Cassandre sont traitées par le mépris.
La
sottise tourne à l’épidémie.
Le temps n’
a jamais été aussi gros qu’aujourd’hui.
Un peuple sombre dans l
a folie.

L’Heure de l’Hirondelle


L’Heure de l’Hirondelle

Chanson française – L’Heure de l’Hirondelle – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
121
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel –
V, VII)





Dialogue Maïeutique

« L’heure de l’hirondelle », en voilà encore un de tes titres, dit Lucien l’âne. Je vais essayer d’en deviner le sens avant même de connaître la chanson.

Voyons voir, dit Marco Valdo M.I. en souriant.

Donc, l’heure de l’hirondelle, dit Lucien l’âne, pour moi, a une double signification. Soit, elle marque un début ; soit, elle marque une fin. Car, si l’hirondelle annonce le printemps, elle annonce aussi et en même temps, la fin de l’hiver.

Ça, Lucien l’âne mon ami, tu as mis pile dans le mille – certains ajoutent : Émile, comme aurait dit Rousseau. C’est vraiment le sens qu’il faut donner au titre. Mais ce qui correspond aussi au rythme de ses transhumances, à ses allers-retours migratoires, l’heure de l’hirondelle peut aussi annoncer, comme tu le verras, le retour tant espéré de Calleken, la femme de Lamme et le retour à la vie tranquille de Lamme lui-même. C’est aussi pour ce fougueux pacifiste la fin de la guerre, de la guerre de liberté, où tout bien considéré, il avait déjà assez donné. À d’autres de prendre le relais ; il y a un temps pour chaque chose. « Faut bien qu’on vive ! ».

Mais dis-moi, Marco Valdo M.I., que vient faire là le broer Cornélis ?

Ça mérite au moins une explication, reprend Marco Valdo M.I. Ce frère Cornélis, on l’avait déjà entendu prêcher violemment contre les hérétiques. C’est un de ces chiens de l’Église qui allaient de par les Pays semant la haine et la discorde, justifiant au nom de Dieu l’occupation espagnole, l’Inquisition, les placards, la torture et les bûchers. Ce bon ecclésiastique avait également un autre but, c’était de s’occuper – toujours au nom de Dieu – des femmes (de préférence, jeunes et jolies) et de leur chasteté, y compris de celle de femmes mariées, auxquelles il interdisait (Deus dixit) les relations conjugales. Une chasteté qui ne pouvait être rompue qu’entre les bras du serviteur de Dieu qu’était le père Cornélis Adriaensen lui-même, en personne. C’était là une façon catholique de récupérer le mouvement des béguines, femmes libres, qui avait fortement tendance à échapper à l’Église et à sa sainte Tutelle.

Oh oui, dit Lucien l’âne, je me souviens de ces femmes qui vivaient, en effet, assez librement en communauté. Il y en avait un partout en Europe en ce temps-là. J’ai même souvenir qu’on en tortura et qu’on en brûla un certain nombre sur les bûchers de l’Inquisition, à l’égal des sorcières auxquelles souvent la propagande catholique les assimilait. Aujourd’hui encore, il me semble que chez les humains, les communautés de femmes libres et les femmes libres ne sont pas en odeur de sainteté.

Certes, Lucien l’âne mon ami, mais les femmes de la communauté de Cornélis étaient fort peu libres et comme je te l’ai dit, elles lui devaient des comptes sous l’espionnage de la confession et le reste sous le mariage virginal avec Dieu, par l’entremise de Cornélis, évidemment, puisque Dieu lui-même n’est pas équipé pour la manœuvre. Cependant, et c’est important pour Lamme, le frère félon – même s’il avait réussi à la dissuader d’accepter encore les relations conjugales avec son bonhomme de mari – n’a jamais pu exercer son paternel sentiment sur la personne de Calleken qui, si elle s’était laissée embrigader dans le chaste régiment de Dieu, si elle se soumettait aux questions de la confession, n’a jamais accepté que le dodu moine lui mette la main dessus.

Bien, bien, dit Lucien l’âne, voilà qui a dû faire plaisir à Lamme.

Un dernier élément à signaler, complète Marco Valdo M.I., ce sont les adieux de Lamme aux Gueux, à Till, à Nelle ; avec ces adieux s’arrête l’aventure et comme il est dit plus haut : à d’autres de la poursuivre cette quête de liberté et de tranquille existence.

Alors donc, nous voici à la fin de la geste, dit Lucien l’âne. Cette fin abrupte me rappelle celle qui attend tout être vivant et il me revient à l’esprit – s’il l’a jamais quitté – ce philosophe ancien qui disait en toute sérénité : « Il n’y a rien à craindre de la mort » et aussi, ton presque contemporain, Boris Vian qui écrivait, je cite de mémoire : « Un mort, c’est bien. C’est complet. Ça n’a pas de mémoire. C’est terminé. On n’est pas complet tant on n’est pas mort. »

Maintenant, dit Lucien l’âne, il me faut vraiment conclure encore. Tissons le linceul de ce vieux monde trop catholique, trop religieux, menteur, vicié et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Lamme dit : « J’ai un grand dessein
À l’égard de sa catholique Paternité.
Qu’on garde en vie ce capucin !
Avec soin, nous allons l’engraisser.

À quelque temps de là, Lamme le pèse :
Trois cent septante livres et demi.
Lamme dit : « J’en suis fort aise,
Mon grand œuvre s’accomplit.

« Ouvrons la cage, le chapon est gras.
Il est bien plus gros que moi,
Ses joues tremblent comme gelée de cochon,
Sa panse pend comme un vieux torchon.

Broer Cornelis Adriaensen, le prêcheur,
Frère Cornélis Vauriensen, le menteur,
Prêchait aux filles la chasteté
Pour être tout seul à en profiter.

Oh ! Oh Gueux marins ! Oh ! Équipage !
Oh ! Capitaine ! Je m’en vais maintenant.
Faites engraisser ce moine en sa cage
Comme une baleine, comme un éléphant !

Mon hirondelle est revenue, elle est là !
Calleken a soigné ma blessure,
Calleken revient se blottir dans mes bras,
Calleken a fui la religieuse luxure.

Tous deux, demain, nous partirons
Ensemble vivre la vie en bord de mer
Calleken et moi, jusqu’au bout nous irons.
Puis, elle et moi, nous dormirons sous la terre. »

Et le frère Cornélis en colère s’écrie :
« Femelle charnelle, fille d’Ève pervertie,
C’est ta foi, c’est ton vœu que tu renies :
Sois maudite et damnée par l’hostie !

Qu’en ta bouche, le pain te soit cendre !
Que sur ton sein, le soleil soit glace !
Qu’éternellement, tu pleures, que toujours, tu souffres !
Tu refusas mon paternel amour, je te chasse ! »

Lamme chante et danse en levant les bras :
« Vive Calleken, mon épouse fidèle, hosanna !
Adieu les Gueux ! Adieu Till, adieu Nelle !
Adieu la guerre de l’alouette, c’est l’heure de l’hirondelle ! »

mardi 1 janvier 2019

LA CHANSON DU CACHALOT


LA CHANSON DU CACHALOT

Version française – LA CHANSON DU CACHALOT – Marco Valdo M.I.2019
Chanson italienneLa canzone del capodoglioLa Fabbrica dei Pesci Rossi2011
Écrite par Maggi et Marchitelli










Pour tous ceux qui, comme moi, célèbrent le cachalot et non le Nouvel An…


Dialogue halieutique

En fait, à quoi elle te fait penser cette chanson du cachalot ? Dis-moi, Marco Valdo M.I. mon ami, toi qui viens de la mettre en français ?

À vrai dire, Lucien l’âne, ta question est vraiment pertinente, car cette chanson m’a fait tout d’abord penser à « Bella ciao ».

À « Bella Ciao » ?, dit Lucien l’âne. Là, vraiment, je suis surpris et j’aimerais quand même un mot ou deux d’explication.

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, j’y ai immédiatement pensé rien qu’à voir le début du texte. Compare le premier vers de chacune des chansons : « Stamattina mi sono alzato, » (Bella Ciao) et « Stamattina mi sono spiaggiato » (Capodoglio). Je suis persuadé que ce n’est pas là un hasard et qua la signification est évidente : les deux chansons sont unies par leur chant de résistance.

J’imagine que tu as raison, Marco Valdo M.I. mon ami. Mais je vois à ton œil luisant que tu as d’autres réminiscences en tête. Au fait, quelles sont-elles ?

Tout d’abord, eu égard au titre de la chanson et à ce qu’elle raconte – à première vue – la mort d’un cachalot, animal aquatique, j’ai pensé à La Pêche à la Baleine de Prévert :

« La baleine est sortie,
Asseyez-vous,
Attendez là,
Dans une quinzaine d’années, sans doute elle reviendra… »

Évidemment, ça ne pouvait manquer, dit Lucien l’âne, cette histoire de baleine après celle du cachalot, mais encore ?

Et puis, Lucien l’âne mon ami, animal marin pour animal marin, je me suis souvenu de La complainte du phoque que chantaient nos amis québecois de Beau Dommage.

« Ça ne vaut pas la peine
De laisser ceux qu’on aime
Pour aller faire tourner
Des ballons sur son nez »

Note que ça, ça se discute ; il vaut peut-être mieux faire tourner des ballons sur son nez que de … etc., il y a tant de choses qu’il vaut mieux ne pas faire.

Certes, Marco Valdo M.I. mon ami, la guerre par exemple. Et puis, tu en as encore à proposer de tes réminiscences, qui sont choses inévitables dans la chanson ?

Là, Lucien l’âne mon ami, le chemin est un peu plus long et plus tortueux. Il me faut te ramener au sens général de cette canzone, c’est-à-dire à la mort du cachalot et ce qu’elle incarne, la mort du monde marin, la mort du vivant sur Terre – en tout cas, en ce compris, par ricochet, de l’humanité. Comme tu l’as peut-être entendu, dernièrement, on trouve de plus en plus de poissons et de cétacés et d’autres animaux marins, morts sur les plages, le ventre plein de plastique. C’est là que j’ai dérivé vers Léo Ferré et sa prophétique chanson Le Temps du Plastique, qui date – rends-toi compte de 1959, soixante ans et qui disait alors déjà :

« Il est peut-être pas trop tard
Trop tard…
Trop tard…
Trop tard…
Trop tard…
Trop tard…
Trop tard…
Trop tard…
Trop tard… »

Cependant, même si Les temps changent comme le pensent les optimistes quelque peu béats et crédules, les temps sont (de plus en plus) difficiles, jusqu’à la disparition des temps, résultant de celle des horlogers.

« Maintenant Van Gogh vaut des millions,
Gauguin se vend mieux que du cochon.
Rien n’a changé on tourne en rond
Et dure dure ma chanson,
Le temps que je me marre. ».

Ah, Léo, toujours Léo, dit Lucien l’âne. Tu n’aurais pas un petit Vian à proposer, des fois ?

Évidemment, dit Marco Valdo M.I., et quel Vian, Je voudrais pas crever que j’entends encore avec la voix, la voix inoubliable de Pierre Brasseur, qui joue pour la cause le héraut :

« Je voudrais pas crever,
Non monsieur, non madame,
Avant d’avoir tâté
Le goût qui me tourmente,
Le goût qu’est le plus fort.

Je voudrais pas crever,
Avant d’avoir goûté
La saveur de la mort. »

Tout compte fait, sentencie Lucien l’âne, c’était peut-être ce que pense le cachalot ou la baleine quand il vague entre les vagues. Il faut finir, alors je m’en vais conclure un peu abruptement, mais il le faut. Oh, cachalot, cache-toi dans l’eau et ensemble, tissons le linceul de ce vieux monde assassin, pestiféré, pestilentiel, criminel et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Ce matin, je me suis échoué sur une plage.
Pour m’enfuir, je n’ai pas de jambes
Et le sable, ce n’est pas la mer,
Pas la mer.
Depuis des jours, je nage dans le vide.
La mer s’écrase sous les grandes ombres
Et j’ai une énorme peur,
Énorme peur.

Un grondement a brisé la paix,
Des bulles blanches envahissent la mer,
Maintenant, dans la mer,
Je pourrais me noyer.

Ce matin, j’ai mangé une pomme,
Ce matin, j’ai mangé une pomme,
Avec le ver, avec le ver.
Je suis le ver.

J’ai avalé vos distractions,
Les ersatz que vous avez créés,
Du fer et des additifs, le verre en tessons
De vos festivités.

Depuis des jours, je nage dans le vide
Et le rivage est soudain proche.
En un instant, je te sens
Distant.

Je suis fatigué et la vague de la mer
Pour lui faire un câlin d’hiver
Caresse ma peau.
Telle est la fin d’un cachalot.

On mange tous des pommes,
On mange tous des pommes,
Avec des vers, avec des vers :
Nous sommes les vers.