jeudi 22 février 2018

AMERTUME


AMERTUME
 

Version française – AMERTUMEMarco Valdo M.I. – 2018
d’après la version italienne (littérale) de Riccardo Venturi – DOLORE ARDENTE – 2018
d’une chanson de Mikis Theodorákis – Ο καημός – 1961
Texte : Dimitris Christodoulou
Μusique : Mikis Theodorakis








Dialogue Maïeutique

 

Voici, Lucien l’âne mon ami, une traduction moins orthodoxe au regard des normes contemporaines, mais Riccardo m’y incite en invoquant la plus haute Antiquité européenne, le védique et le sanscrit ; il en appelle aussi à Homère ; je ne pouvais donc en faire une chansonnette d’amour, fût-il patriotique et grec. Il m’a fallu tendre à l’intemporel et à la généralité, à gommer ce qui est trop voyant, trop direct. Si j’ai pris des distances avec l’original, c’est pour m’en approcher. Mikis Theodorákis a bien trop de puissance et d’étendue historiques, il a bien trop été poursuivi, enfermé, battu, torturé, compté pour mort, pour conter la fleurette au bord d’une plage et avoir des lamentations d’adolescent. Cette chanson doit avoir un sens…

Oh, dit Lucien l’âne, je te rejoins totalement dans ton appréciation cette chanson qui est certes une chanson d’amour à la Grèce comme espace géographique où vivent des humains et des ânes aussi, par parenthèse, comme c’était le cas dans l’Antiquité. C’est une Grèce qu’on ne saurait réduire à une entité nationale dotée d’une vie par-dessus les hommes. Cette dernière, cette monstruosité, c’est la Grèce de Metaxas, c’est la Grèce de Papadopoulos et d’une série d’autres du même acabit.

C’est bien ainsi que je l’avais comprise, Lucien l’âne mon ami et c’est ainsi que je lui ai fait une version en langue française. Rien n’empêche d’autres de s’y essayer, rien n’empêche personne de nous dire qu’on a tort. La chose s’est déjà vue.

Eh bien, Marco Valdo M.I. mon ami, il ne reste plus qu’à conclure et à reprendre notre tâche de Pénélopes modernes et transgenres qui est de tisser, tisser encore le linceul de ce vieux monde – le nôtre, celui d’aujourd’hui – déchiré par les nations et les religions, comptable, parcimonieux avec les vivants et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Grande la rive de la mer,
Longue la vague,
Grande la douleur
Et amère l’erreur.

Du sang de la blessure,
Coule en moi l’amère rivière.
Dans la bouche, le baiser aimant
Plus amer que le sang.

Tu ne connais pas les gelées
Des soirées sans lune, passées
Sans savoir quand le temps viendra
Où la douleur te prendra.

Grande la rive de la mer,
Longue la vague,
Grande la douleur
Et amère l’erreur.

mercredi 21 février 2018

La Vieille


La Vieille

 
Chanson française – LA VIEILLEPatrick FONT – 1983





Dialogue maïeutique

Mon ami Lucien l’âne, au chapitre des événements qui constituent l’actualité de la Guerre de Cent Mille Ans [[7951]] que les riches et les puissants font aux pauvres, on oublie souvent que les plus nombreux de ces faits-divers sont considérés comme des événements civils qui se déroulent en temps de paix. Du moins, c’est ce que la doxa prétend.

Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, tu fais bien de rappeler que nous vivons à l’ère de la Guerre de Cent Mille Ans et que ce sont les riches qui font la guerre aux pauvres et non l’inverse. Les pauvres n’ont jamais voulu que se défendre contre l’oppression et l’esclavage, contre la domination et l’appropriation des biens communs par le privé. À ce propos, la privatisation par les riches n’est rien d’autre que la privation pour les pauvres.

Certes, Lucien l’âne mon ami, et comme tu le sais, la Guerre et la Paix sont une seule et même chose ; elles ne sont l’une et l’autre que des formes et des intensités différentes du même état du monde ; en quelque sorte, on pourrait établir une sorte de continuum de cet état de toute société, une sorte d’échantillonnage des situations en fonction de la catégorie d’intensité, mesurée sur une échelle unique.

D’accord pour une mesure d’intensité, Marco Valdo M.I. mon ami, je suis parfaitement ton raisonnement. Cependant, la question est de savoir d’une intensité de quoi ?

À mon sens, répond Marco Valdo M.I., ce n’est pas un phénomène simple et appréhendable à partir d’une seule variable. C’est assez complexe. Ordinairement, quand on pense à une mesure sur une échelle donnée, on songe à la distance, à la taille, à la durée, à la température, à la vitesse, au volume, à la surface, au nombre, etc. L’échelle oriente la mesure par rapport à un point arbitraire, qui est l’endroit où on passe d’un état à l’autre : du plus ceci au moins ceci, qu’on peut noter en chiffres négatifs ou positifs, selon qu’on est du côté positif ou négatif de l’échelle. Il en va de même pour l’échelle Guerre-Paix ou l’échelle de la domination, par exemple. Généralement, on ne mesure qu’une dimension, une seule variable. Dans la réalité, il y a toujours de multiples variables qui interagissent et pour mesurer un état donné, il est nécessaire d’établir une formule qui intègre plusieurs (ce qui va de quelques-uns à beaucoup) de ces éléments et convertir ce résultat en une donnée unique qu’on place alors sur l’échelle. C’est au travers des positions relatives des résultats obtenus par une série de mesures qu’on peut étudier l’évolution d’intensité. C’est ainsi qu’il faut envisager l’étude du continuum multidirectionnel « guerre-paix », qui n’est pas un phénomène linéaire comme on pourrait le penser. Et si on veut s’en faire une représentation linéaire, il faut se le représenter multidirectionnel, sinueux, globuleux et il faut in fine, lui accorder des dimensions multiples et le concevoir comme un volume temporel.

Parfait, Marco Valdo M.I. mon ami, la Guerre-Paix, la guerre et la paix sont une seule et même chose irisée et polymorphe. Soit, mais encore ? Qu’est-ce que ça a à voir avec la chanson ? Quel rapport avec cette chanson qui s’intitule, je le vois, « La Vieille » ?

J’y viens, Lucien l’âne mon ami. Dans notre société de Guerre-paix, il est de multiples combats, de très différents épisodes à des degrés d’intensité variables et hétérogènes. On pourrait comparer la société à un pays occupé où les habitants subissent diverses exactions, diverses discriminations et y réagissent plus ou moins intensément. Certains individus, certains groupes sont impliqués plus que d’autres dans ces phénomènes de pression sociale et singulièrement, les plus faibles, en premier lieu. La chanson parle d’un de ces groupes ; elle évoque, comme son titre l’indique, la situation faite aux vieux. Aux vieux pauvres, évidemment ; les vieux riches connaissent une autre histoire.
Donc, une histoire de vieux pas riches – là aussi, il y a une échelle qui va du plus au moins. Même si certains progrès ont été imposés, même si certaines choses se sont améliorées, il y a un véritablement un affrontement entre les vieux et la société ; plus exactement, il y a une furieuse, sourde, aveugle lutte qui se déroule autour du destin que l’on réserve aux vieux ; c’est vrai aussi pour les malades, les handicapés, les migrants, les chômeurs, etc. D’aucuns en parlent comme des exclus. Tous ces gens-là coûtent et ne produisent pas de plus-value directe. Il s’agit quand même de minimiser les coûts, comme dans la production. Il s’agit aussi de ne pas montrer, de ne pas laisser voir les désarrois ; il s’agit de les cacher.
Et puis, héritage d’une longue imprégnation religieuse, il y a la condescendance charitable, le regard de compassion, le sourire de commisération qui enveloppent les vieux.
La vieille de la chanson a bien enregistré tout ça et elle va enclencher par sa réaction un mouvement de révolte et refuser, comme le fit récemment une vache hollandaise, d’aller sans réagir au mouroir. Le reste est dit par la chanson.

Évidemment, dit Lucien l’âne, les vieux, on les comprend. On comprend ces vieux de la chanson, ils marchent encore. Mais ceux qui n’en peuvent plus de vivre…

Bien sûr, Lucien l’âne mon ami, l’affaire est complexe. Autant il est malsain d’éloigner les vieux et de les parquer à l’écart quand ils sont encore ingambes, autant il est indispensable de les accueillir dans des lieux corrects pour les accompagner et même, les conduire jusqu’au terme du voyage. Ta remarque est dès lors salutaire : la vieille réveille des vieux et des vieilles pareils à elle ; des vieilles et des vieux qu’on a mis au trou trop tôt. De plus, pour cette avant-dernière étape – cette « phase terminale », comme dit Patrick Font, il n’y a pas assez de places et elles font l’objet de lucratifs investissements. Dès qu’ils ont un peu de moyens, les vieux sont une énorme vache à lait d’une sordide spéculation. Et aux deux extrémités de l’échelle, selon que vous serez un vieux riche ou un misérable, l’accompagnement précautionneux se fera ou ne se fera pas.

Si je comprends bien, dit Lucien l’âne, en gros, c’est paye ou crève ! Alors, dit Lucien l’âne, vive la vieille à la souplesse d’abeille et ses amis et le moment venu, nous en serons aussi. C’est une histoire réjouissante que celle de cette vieille-là, hosanna, alléluia ! Quant à nous, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde exploiteur, méprisant, méprisable et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



« Je n’ai pas besoin de vous pour ranger mes vêtements,
Partez, vous m’encombrez », dit la vieille en sautant
À pieds joints sur sa valise. On aurait dit Popeye,
Elle avait encore la souplesse des abeilles
Et d’un pas décidé, vers la gare Saint-Lazare,
Tandis qu’on faisait semblant de pleurer son départ,
Elle s’en allait trottant, son bagage à la main,
Avec deux ou trois pauses pour se tenir les reins.

« Je n’ai pas besoin de vous », dit-elle au contrôleur,
« Laissez-moi ma valise, j’en ai pour un quart d’heure.
L’hospice est en banlieue, on dit que c’est un château
Où les vieux jouent au Scrabble et aux petits chevaux.
Moi, j’ai horreur de ça, comprenez-vous, Monsieur ?
Je n’aime que les westerns avec plein de coups de feu.
J’ai vu 14 fois « L’infernale Chevauchée »,
Je vous le raconterais bien, mais nous sommes arrivés. »

« Je n’ai pas besoin de vous », dit-elle à l’infirmière,
« Pour déplier mes draps, laissez-moi, j’ai à faire. »
Alors, de sa valise, à l’abri des regards,
Elle sortit 20 bouteilles d’un célèbre pinard,
Descendit au salon où les vieux et les vieilles
Jouaient aux petits chevaux, en se grattant l’oreille.
« Bonsoir, messieurs, mesdames, je m’appelle Fanchon ;
L’un d’entre vous n’aurait-il pas un tire-bouchon ? »

« Je n’ai pas besoin de vous », disait-elle au médecin,
En élevant vers lui son troisième verre de vin
Tandis que les vieillards, autour de la pendule,
Chantaient à quatre voix « la grosse bite à Dudule »
Et l’on vit ce spectacle – oh ! combien ravissant –
De quatre-vingts gâteux quittant l’établissement
Afin de ratisser les hospices du pays,
Arrachant à la mort, les moribonds surpris !

« Je n’ai pas besoin de vous », disait-elle au curé,
Qui, sur le lit d’un vieux, s’esquintait à prier.
« Vous voyez bien que ce cadavre n’est pas mort,
S’il ne respire plus, par contre, il bande encore,
Un petit coup de branlette le remettra sur ses pattes,
Comme un coup de manivelle sur une vieille Juva 4. »
Le prêtre révulsé tombait les bras en croix,
Il respirait encore, mais il ne bandait pas.

« Je n’ai pas besoin de vous », répétaient tous les vieux,
Chaque fois qu’un député voulait s’occuper d’eux,
Car vous n’avez pas su vous occupez de nous,
Du temps où nous avions encore confiance en vous.
« Tous vos moyens sont bons pour gagner la Coupole,
Si les morpions votaient, vous auriez la vérole.
En tant qu’improductifs, nous ne produirons pas,
Un imbécile de plus à la tête de l’État. »

« Je n’ai pas besoin de vous », dit-elle aux nécrophages,
Qui la poussait dans le ghetto du troisième âge.
« Saloperie de technocrate qui inventa cette formule,
Du haut de mon mépris, saloperie, je t’encule,
(C’est la première fois que je dis un gros mot »)
Et tout en se servant un petit verre de porto,
Elle fit un bras d’honneur, on aurait dit Popeye.
Elle avait encore la souplesse des abeilles.

vendredi 16 février 2018

La Leçon d’Alcuin

La Leçon d’Alcuin (Vox Media 2018)

 
Chanson française – La Leçon d’Alcuin (Vox Media 2018)– Marco Valdo M.I. – 2018








Dialogue Maïeutique


Voici, Lucien l’âne mon ami, une revisitation de Vox Media, une chanson de 2010. Je l’ai refaite presque entièrement compte tenu de certains développements actuels. Tu devineras bien lesquels. Par ailleurs, j’ai conservé une grande partie du dialogue ; j’ai laissé ces passages tels quels au sein du dialogue actuel.

Vox Media, dit Lucien l’âne, que veux-tu dire par là ? Entends-tu signifier une voix, car vox, si je me souviens bien, veut dire voix en latin, donc, une voix moyenne, une voix du milieu ou une voix dont le nom serait Media.

Ce serait plutôt dans ce dernier sens qu’il faut aller, mon ami Lucien l’âne. Media est une sorte de nom international qui désigne les moyens de diffusion – et non de communication, comme certains essayent de le faire croire. On diffuse, un point, c’est tout. Juste un mot à ce sujet : pour qu’il y ait communication, il faut qu’il y ait une voie à double sens, un aller-retour, une expression et une réponse et de surcroît entre deux parties égales. On est loin du fonctionnement des médias où il y a d’un côté, un diffuseur, une voix massive, forte, puissante et unilatérale et de l’autre, des récepteurs minuscules, atomisés et sans voix – une partie qui seule a le droit de parler ; de l’autre, celle qui a le devoir de rester muette. Je te laisse deviner qui détient le pouvoir et dans quelle mesure ce pouvoir est discrétionnaire. C’est donc bien de la Voix des Médias qu’il s’agit ici et tu devines bien également pourquoi la canzone parle aussi de Vox Merda. Pour le reste, tu découvriras par toi-même quels sont les méandres de la méditation de notre prisonnier. C’est une réflexion sur le pouvoir. Tu verras qu’il est question aussi de la grosse mouche bleue qui s’appelle Merda.

Oh ! Les mouches, je ne les supporte pas. Surtout, les taons et les grosses mouches bleues qu’on appelle chez nous les mouches à merde. Tiens, Marco Valdo M.I., je ne sais si c’est intentionnel, mais la canzone me rappelle un auteur de pièces de théâtre grec, le dénommé Aristophane, qui faisait dans la satire et avait écrit une histoire où il était également question d’un stercoraire, d’un bouseux mangeur de merde. Un cousin de Merda, la mouche bleue qu’on voit sur tous les écrans de télévision et les premières pages des journaux, entourée de son essaim de gardes du corps. Une vraie marionnette, celui-là.

Plus sérieusement, et pour en revenir à la Vox Media, c’est un instrument de pouvoir redoutable en ce que, vois-tu Lucien l’âne, mon ami, les humains sont crédules et terriblement influençables.
Mais la canzone n’est pas aussi éthérée qu’on pourrait l’imaginer. Elle ne vole pas que par les ondes, elle est aussi incarnée dans un personnage particulier, celui qui détient le « pouvoir ». Au début de cette histoire, on trouve Charlemagne et cette réflexion d’Alcuin, qui fut son ami, son conseiller et son ambassadeur qui disait : « Vox populi, vox Dei » ; ce que l’Empereur n’eut de cesse d’inverser, comme le feront tous les potentats afin de mieux tenir les rênes de l’équipage. Voilà pour la théorie.
Ensuite, la chanson évoque un cas contemporain hautement exemplatif ; il s’agit de Silvio B. qui fut un temps président du Conseil des ministres en Italie, tout en restant le patron de médias privés et d’un club de football.
Il fut aussi, comme sans doute, tu en as eu écho, un grand consommateur de demoiselles, plus ou moins tendres, à qui il offrait de se faire voir sur ses écrans ; certaines même eurent droit à des postes en vue sur la scène politique. Souviens-toi, je t’avais déjà parlé de George Orwell et de sa mise en garde : « Big Brother is watching you ! », que dans ce cas-ci, on pourrait traduire par « Papi vous regarde ! » et vous montre (offre de voir, faut-il dire) toutes ces belles personnes et leurs avantages.

Comme disait Boby Lapointe : Davantage d’avantages avantagent davantage, dit Lucien l’âne en riant de tout son piano. À propos, Marco Valdo M.I. mon ami, ton personnage a fait des émules et il en est un qui s’illustre à la tête d’un des pays les plus puissants du monde. Il n’est pas le seul, d’ailleurs. Il est vrai que le pouvoir corrompt celui qui s’y frotte et ceux ou celles qui l’approchent et cette corruption n’est pas un phénomène extérieur, elle atteint la personne jusqu’au plus profond de sa personnalité. Cependant, je te l’accorde, cet aspect moral et individuel n’inquiète pas beaucoup ceux que la corruption touche.

Mais tu sais, Lucien mon ami l’âne, peu importe le guignol au pouvoir. En fait, détenir la Vox Media est une arme formidable dans la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres afin d’accroître leurs richesses, leurs privilèges et leur pouvoir. Vox Media, Vox Merda. C’est la voix de ce monde cacochyme et puant. Nous creuserons sa fosse et nous lui tisserons un linceul à sa mesure.

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Il y a bien longtemps,
Il y a mille deux cents ans,
À Aix, en Allemagne,
L’Empereur dit à son ministre :
La voix du peuple est sinistre,
Elle sent trop la campagne,
Elle couvre ma voix,
La voix du Roi.
Alcuin répondit à Charlemagne
Vox populi, vox Dei,
Semper insaniae proxima sit.
Voix du peuple, voix de Dieu, sic transit !
Se trouvent toujours proches de la folie.
Tant que le peuple croira,
La voix de Dieu sera celle du Roi,
L’Église y veillera !
Force reste à la Loi,
Media, Merda,
Et patati, et patata !
Merdi, merda et tralala !

Quand on a un parti, des sociétés,
On a des banquiers, des associés,
Des obligés, des électeurs,
Des avocats, des curateurs.
Tout ça n’est pas bien compliqué,
Quand on a compris la vie.
Il suffit de gérer
En bon père de famille.
Un club de football, c’est épatant ;
On peut y faire beaucoup d’argent.
Toujours à la limite de l’escroquerie,
L’équipe marque des buts et ne perd pas.
Media, Merda
Mensonges, faits déformés.
Et patati, et patata !
Merdi, media et tralala !
Le sommeil descend se coucher
Sur la pensée et les livres absents.
Turpitudes mégagalactiques, détails insignifiants.
Là-bas dans le palais, là-bas dans sa villa.

On finissait le repas.
L’alcool coulait à flots,
La musique dégoulinait en sirop.
À qui le tour ?, dit-il béat.
À moi, à moi !, crient les Vénus impatientes –
Ce sont là des dames bien méritantes,
On entend des gloussements, des rires obscènes,
On devine l’examen, on imagine la scène :
Les filles se démènent,
Les mains se promènent,
Dans le palais, là-bas,
Là-bas dans sa villa.
Et partout on l’entend,
Et partout, on le voit  ;
Il se défend.
Regard fixe sur la caméra,
Il dément.
Media, Merda,
Et patati, et patata !
Merdi, media et tralala !

L’insecte insatiable
Se pose du l’État,
Il s’installe à la table
Et vide tous les plats
On ne réussit
Ni de jour, ni de nuit,
À chasser ce spectre louche,
Merda, cette importune mouche,
Grosse apparition bleue
Qui naît, croît et prospère,
Agite ses ailes et sa queue
Et d’un coup, tombe à terre.
Et patatras !
Vox de la folie,
Voix de l’escroquerie,
Media, Merda !
Et patati, et patata !
Merdi, media et tralala !
Media, Merda,
Et patati, et patatras !

jeudi 15 février 2018

Trump de Moumout


Trump de Moumout


Chanson française – Trump de Moumout – Marco Valdo M.I. – 2018








Dialogue Maïeutique


Salut à toi, Marco Valdo M.I. mon ami, quel bon vent t’amène ici aujourd’hui ?

Salut à toi, mon ami Lucien l’âne parvenu sur tes petits sabots depuis la plus haute Antiquité, comme je l’avais annoncé l’autre jour, j’ai achevé cette chanson « Trump de Moumout ». L’idée m’en était venue en me remémorant la chanson de Georges Brassens intitulée « Corne d’Aurochs » ; je m’étais attelé à en faire une parodie afin de stigmatiser comme il se doit un certain monsieur Trump, éminent porteur de moumoute ; ici, nommé Moumout Trump. Il me plaît de préciser qu’une moumoute est une sorte de perruque mal fagotée qui dessert celui qui la porte, bien plus qu’elle ne lui redonne sa pilosité perdue.

Un remède de charlatan pour l’alopécie, dit en gloussant de plaisir Lucien l’âne. Il me semble cependant que l’exégèse de ce nom ne s’arrête pas là.

En effet, Lucien l’âne mon ami, chaque élément de ce nom comporte sa propre aura, dévoile tout un arrière-plan qui n’est pas sans rapport avec celui de Corne d’Aurochs, à savoir la préhistoire, car le personnage visé par la parodie, alias Moumout Trump, m’a tout l’air d’être un homme des cavernes, égaré dans le siècle.

Marco Valdo M.I. mon ami, laisse-moi te dire que tu n’est pas correct avec les hommes des cavernes ; c’étaient des gens des temps anciens, mais c’étaient des gens biens.

Sans doute, Lucien l’âne et je le regrette ; mais celui que je vise, je te le dis clairement, est un abruti – intellectuellement et moralement ; tout ce qu’il dit et tout ce qu’il fait le démontre. Reprenons donc où nous en étions. Son patronyme habituel – Trump – lui est conservé, mais il faut tenir compte de la relation entre les deux termes. Au temps de l’auroch préhistorique, comme tu dois le savoir, vivait le mammouth, une très grosse bête et ce délicat mammifère était un proboscide, c’est-à-dire un animal affublé d’une trompe.

Oh, s’esclaffe Lucien l’âne, je vois : une trompe de mammouth – Trump de Moumout. Je pense quand même que la chanson ne s’arrête pas là.

Bien sûr que non, rétorque Marco Valdo M.I., tu la découvriras bientôt. Sache cependant qu’elle fait une sorte d’analyse du sujet. Elle insinue qu’il n’arrive pas à la cheville de Johnny (Hallyday) – « Tout le monde ne peut pas s’appeler Johnny, okay, okay ! », que son génie s’exerce dans le lieu réservé à la merde (ramené des grandioses eaux du Mississippi à celles de la chasse d’eau domestique) – « C’étaient les eaux du cabinet, okay, okay ! », qu’il gonfle sa sexymanie débridée auprès de dames terrorisées – « sur les femmes nues des télés, okay, okay ! Il entraîne sa rigidité, okay, okay ! », qu’il va redorer ses finances au Kremlin – « il a un de ses amis, okay, okay ! Très haut placé en Russie, okay, okay ! » et qu’il y trouve des crédits – « les jours de pénurie, okay, okay ! Il cherche des crédits chez lui, okay, okay ! » et de l’aide pour ses ambitions politiques – « C’est avec l’aide de cet antipathique, qu’il fit une campagne politique et devint président des États d’Amérique. Trump de Moumout ! », qu’il est momentanément président, tout en lui rappelant qu’il est petit-fils d’immigré palatin – « Son grand-père était un Allemand, okay, okay ! Qui avait émigré il y a longtemps, okay, okay ! » et qu’une fois qu’il sera sorti de charge, on s’empressera de l’oublier – « Quand il rendra son mandat national Et foutra aux gens une paix royale, Le monde oubliera ce pantin infernal, Trump de Moumout ! »

Si ce n’est pas déjà le cas, dit Lucien l’âne, car vraiment, c’est à se demander comment ils ne l’ont pas encore tout simplement interné. Enfin, pour ce qui nous concerne, il nous faut rependre notre tâche et tisser le linceul de ce vieux monde abruti, inconscient, caricatural, vaniteux et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Il avait nom Trump de Moumout, okay, okay !
Tout le monde ne peut pas s’appeler Johnny, okay, okay !
Il avait nom Trump de Moumout, okay, okay !
Tout le monde ne peut pas s’appeler Johnny, okay, okay !
En le regardant avec un œil de poète,
On aurait pu croire à son frontal de prophète,
Qu’il a les eaux du Mississippi dans la tête,
Trump de Moumout !

Mais que le monde lui pardonne, okay, okay !
Ce sont les eaux du cabinet, okay, okay !
Que le monde lui pardonne, okay, okay !
Ce sont les eaux du cabinet, okay, okay !
Il proclame à sons de trompe à tous les carrefours :
« Il n’y a que moi qui sais bien faire l’amour !
La virilité, c’est une affaire de balourd ! »,
Trump de Moumout !

Il poursuit les demoiselles, okay, okay !
De ses obsessions sexuelles, okay, okay !
Et sur les femmes nues des télés, okay, okay !
Il entraîne sa rigidité, okay, okay !
Petit à petit, okay, okay !
On a tout su de lui, okay, okay !
On a su qu’il était enfant de l’Amérique,
Qu’il est incapable de freiner sa trique
Face à une actrice pornographique,
Trump de Moumout !

Qu’il a un de ses amis, okay, okay !
Très haut placé en Russie, okay, okay !
Et que les jours de pénurie, okay, okay !
Il cherche des crédits chez lui, okay, okay !
C’est avec l’aide de cet antipathique,
Qu’il fit une campagne politique
Et devint président des États d’Amérique,
Trump de Moumout !

Son grand-père était un Allemand, okay, okay !
Qui avait émigré il y a longtemps, okay, okay !
Son grand-père était un Allemand, okay, okay !
Qui avait émigré il y a longtemps, okay, okay !
Quand il rendra son mandat national
Et foutra aux gens une paix royale,
Le monde oubliera ce pantin infernal,
Trump de Moumout !

Alors le peuple en rigolant, okay, okay !
Elira son remplaçant, okay, okay !
Alors sa femme en souriant, okay, okay !
Elira son remplaçant, okay, okay !

Corne d’Aurochs


Corne d’Aurochs

Chanson française – Corne d’AurochsGeorges Brassens  – 1953





Ah, mon cher ami Lucien l’âne, ce matin, il y avait dans le répertoire des Chansons contre la Guerre, 54 chansons de Georges Charles Brassens. Si, si, son second prénom est bien Charles, mais généralement, on l’ignore.

Oui, dit Lucien l’âne en riant, et alors ?

Alors ? Rien, c’est Charles, reprend Marco Valdo M.I. en riant à son tour. Enfin, si ! Je vais en insérer une cinquante-cinquième, une chanson énorme, quasiment historique et même, par certain côté, préhistorique, dont on se demande comment elle a pu être ignorée de ce site encyclopédique. Et j’insiste, proprement au titre de chanson contre la guerre. J’ai découvert qu’elle ne s’y trouvait pas au moment où j’écrivais une parodie que j’insérerai prochainement et que j’ai intitulée : « Trump de Moumout ».

Certes, certes, dit Lucien l’âne en pouffant plus encore, mais tu ne m’as toujours pas dit de quelle chanson il s’agit. Bref, fais court et donne-moi son titre et deux trois indications de ton cru, si elle les nécessite.

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, tu as parfaitement raison, j’avais omis de mentionner son titre et il s’agit donc de « Corne d’Aurochs », qui figure parmi les premières chansons de Brassens. Et elle mérite en effet quelques explications. D’abord, ce titre « Corne d’Aurochs », l’auroch – parfois nommé l’ure – est ce bovidé ancien qui courait dans les plaines d’Europe du temps des rhinocéros laineux et de Cro-Magnon, ou approximativement.

Je sais très ce que sont les aurochs, dit Lucien l’âne hilare, j’en ai croisé tellement. Je peux même te dire que les mâles étaient particulièrement impressionnants avec leurs cornes en forme de guidon de vélo hollandais qui pouvaient atteindre plus d’un mètre d’envergure.

Ensuite, souffle Marco Valdo M.I., ce « Corne d’Aurochs » est le surnom d’un ami de Georges Brassens aux temps du Parti Préhistorique (http://brassenspolitique.free.fr/) que cette bande de joyeux lurons anarchistes avaient fondé.

Ça me rappelle, dit Lucien l’âne en se poilant, d’autres partis du genre dont on m’a dit le plus grand bien : le Parti d’en Rire de Pierre Dac et Francis Blanche, le Parti des Cons (Patrick Font et Philippe Val) et même, le Parti de Blanche Neige et des Sept Nains, dont, si mon souvenir est exact, on te fit l’idéologue malgré toi.

En effet, Lucien l’âne mon ami, tu as une mémoire si gigantesque que j’en viens à penser que la mémoire d’âne est plus puissante que celle de mammouth, lequel vivait aux temps de l’auroch, de l’ure, du rhinocéros laineux et de Monsieur de Cro-Magnon, approximativement.
Quant à sa pertinence dans les Chansons contre la Guerre, on la cherchera dans l’hostilité invétérée de Corne d’Aurochs, enfant de la patrie (au fait, je le suis aussi…), on la cherchera dans son hostilité invétérée aux Allemands, dont on peut penser qu’elle était le résultat des trois grandes guerres successives qui venaient d’opposer l’Allemagne à la France dans le courant du siècle précédent. Pour le reste la chanson dit tout par elle-même.

Fort bien, dit Lucien l’âne en souriant benoîtement. Voici donc une chanson de Georges Brassens de plus dans le site des Chansons contre la Guerre et dès lors, il ne nous reste plus qu’à reprendre notre tâche et à tisser le linceul de ce vieux monde patriotique, nationaliste, xénophobe et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Il avait nom Corne d’Aurochs, au gué, au gué !
Tout le monde ne peut pas s’appeler Durand, au gué, au gué !
Il avait nom Corne d’Aurochs, au gué, au gué !
Tout le monde ne peut pas s’appeler Durand, au gué, au gué !
En le regardant avec un œil de poète,
On aurait pu croire à son frontal de prophète
Qu’il avait les grandes eaux de Versailles dans la tête,
Corne d’Aurochs !
Mais que le bon dieu lui pardonne, au gué, au gué !
C’étaient celles du robinet, au gué, au gué !
Que le bon dieu lui pardonne, au gué, au gué !
C’étaient celles du robinet, au gué, au gué !
Il proclamait à son de trompe à tous les carrefours :
« Il n’y a que les imbéciles qui sachent bien faire l’amour
La virtuosité c’est une affaire de balourds ! »,
Corne d’Aurochs !
Il potassait à la chandelle, au gué, au gué !
Des traités de maintien sexuel, au gué, au gué !
Et sur les femmes nues des musées, au gué, au gué !
Faisait le brouillon de ses baisers, au gué, au gué !
Petit à petit, au gué, au gué !
On a su de lui, au gué, au gué !
On a su qu’il était enfant de la Patrie,
Qu’il était incapable de risquer sa vie
Pour cueillir un myosotis à une fille,
Corne d’Aurochs !
Qu’il avait un petit cousin, au gué, au gué !
Haut placé chez les argousins, au gué, au gué !
Et que les jours de pénurie, au gué, au gué !
Il prenait ses repas chez lui, au gué, au gué !
C’est même en revenant de chez cet antipathique
Qu’il tomba victime d’une indigestion critique
Et refusa le secours de la thérapeutique,
Corne d’Aurochs !
Parce que c’était un Allemand, au gué, au gué !
Qu’on devait le médicament, au gué, au gué !
Parce que c’était un Allemand, au gué, au gué !
Qu’on devait le médicament, au gué, au gué !
Il rendit comme il put son âme machinale
Et sa vie n’ayant pas été originale,
L’État lui fit des funérailles nationales,
Corne d’Aurochs !
Alors sa veuve en gémissant, au gué, au gué ! !
Coucha avec son remplaçant, au gué, au gué !
Alors sa veuve en gémissant, au gué, au gué !
Coucha avec son remplaçant, au gué, au gué !

mardi 13 février 2018

LA BALLADE DE JOS FRITZ


LA BALLADE DE JOS FRITZ

Version française – LA BALLADE DE JOS FRITZ – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson allemande – Ballade von Joß FritzFranz-Josef Degenhardt1973
Paroles et musique : Franz Josef Degenhardt








Dialogue Maïeutique

Avant d’en venir à Jos Fritz et à ses tentatives de révolution, je voudrais, Lucien l’âne mon ami, dire deux mots pour situer Franz Josef Degenhardt dans le monde de la chanson allemande, disons pour faire court, contemporaine. En fait, on pourrait le situer dans le domaine germanique à la manière dont on situerait dans celui de langue française, Georges Brassens ou Jacques Brel ou en Italie, on le placerait sur le même pied que Giorgio Gaber ou Fabrizio De André. Tous chanteurs de leurs propres textes ; tous guitaristes. Ainsi, Degenhardt est regretté en Allemagne, comme Brassens ou Brel en France. À noter au passage, Franz Josef Degenhardt fut celui qui traduisit et chanta Brassens en allemand. Voici une réflexion d’aujourd’hui trouvée sur un site allemand : « Das ist so schön und so wahr…Wo ist einer wie Degenhardt ? » – « C’est si beau et si vrai … Où y a-t-il quelqu’un comme Degenhardt ? ».

Ce doit être un personnage considérable, dit Lucien l’âne. J’ai même souvenir qu’il était avocat et qu’il fut un des défenseurs des révolutionnaires allemands de la fin du siècle dernier emprisonnés et pour certains, suicidés en prison ; ce dont précisément parle ton histoire d’Allemagne : Tortures et Suicides d’État. Je crois même avoir entendu dire que Degenhardt était romancier.

Tout cela est exact, Lucien l’âne mon ami, et il me paraît extrêmement dommage qu’il n’y ait pas de traduction en langue française d’au moins un de ses romans En existe-t-il une en italien ? Je ne sais. Par exemple, Der Liedermacher, que je traduirais volontiers par Le Faiseur de Chansons ; dans le passé, on aurait plutôt dit le trouvère, le troubadour, mais dans ce cas-ci, ce serait vraiment trop anachronique.
D’autant plus que Franz Josef Degenhardt définissait ses chansons comme des chansons politiques (Politischen Lieder), tout comme ce fut le cas pour l’ensemble de ses écrits et de sa vie. En fait, l’Edelweiss Pirate qui se tenait en lui n’a jamais renoncé à s’exprimer.

Maintenant, Marco Valdo M.I. mon ami, si tu voulais bien revenir à la chanson et à ce qu’elle raconte de particulier, car à mon sens, elle mérite un petit éclairage historique.

D’accord, Lucien l’âne mon ami, mais avant de satisfaire t légitime exigence, je voudrais dire mon mot dans la discussion qui s’est instaurée entre B.B. (Bernart Bartleby) et R.V. (Riccardo Venturi), tous deux piliers des Chansons contre la Guerre ; en précisant que je ne tiens absolument pas à jouer les arbitres dans un débat, mais seulement d’y présenter mon avis.
Pour éclairer ma réflexion, je vais d’abord faire place à leur conversation :
« B.B.6/2/2018 – 21:53
En écoutant et en regardant Degenhardt chanter, j’ai comme la sensation que chanter en allemand, je parle d’un morceau de chanson d’auteur, ne doit pas être pas du tout facile, mais au contraire, presque « héroïque ». Car il me semble aussi que les auteurs-compositeur allemands, surtout ceux des années 60 et 70, n’avaient pas vraiment le don de la synthèse… ou est-ce vraiment la langue ? ! ?

Riccardo Venturi6/2/201822:59
La langue n’a rien à y voir, à y réfléchir, les auteurs-compositeur italiens de la même période n’avaient le don de la synthèse. Et puis, est-ce vraiment un « don », la synthèse ? Raconter une histoire a besoin de ses tempos et de ses logiques, en tenant ensuite compte que chaque auteur-compositeur de chaque pays s’est toujours, même si parfois « inconsciemment », considéré l’homologue des jongleurs ou des troubadours (« auteur-compositeur », dans beaucoup de langues, se dit avec des termes repris de la tradition des trouvères). Ensuite, c’est vrai, s’est greffé sur tout ceci une stupide et artificielle polémique sur l’« ennui », sur la « répétitivité » et que sais-je encore, une polémique à laquelle n’est pas étrangère la conception particulièrement idiote selon laquelle la musique aurait l’exclusivité de la mise en mouvement des corps et des « émotions ». Dans tout ceci, telle ou telle langue n’a que peu à y faire, en admettant que la langue allemande fait toujours un certain effet. Mais raconter toute une histoire en allemand, en italien ou en serbo-croate, c’est exactement la même chose. Il existe des ballades et des histoires absolument fluviales dans chaque langue, mais tout dépend de la forma mentis avec laquelle on les aborde ; indicativement, je recommanderais de ne jamais les considérer à l’aune du « rock », ni de la « danse ». L’expérience m’a démontré que les reproches formulés au « liedermacher » dérivent presque toujours de ces deux considérations. Salut !

B.B.7/2/201807:59
Je ne sais pas, peut-être as-tu raison. C’est que la prononciation de l’allemand instinctivement me donne une sensation de fatigue. Mais peut-être je suis égaré d’avoir écouté les discours de Hitler et, encore plus, d’Adenoid Hynkel…
Quant à la chanson,
ce n’est pas la question du rock et de la danse ; c’est que je préfère la forme poétique à la narrative. Et les Allemands sont, me semble-t-il, beaucoup plus narratifs que tant d’autres.
Saluzzi »

Comme tu le vois, il s’agit d’un de ces échanges rapides de points de vue qui incidemment, touche à l’essence-même de la « chanson ». Dans un premier temps, il faut accorder que chaque langue à sa sonorité, son déroulement, son rythme ; dans les Chansons contre la Guerre, il suffit de s’égarer un peu dans le labyrinthe pour s’en rendre compte. Par ailleurs, je rappelle ce que j’ai soutenu par ailleurs précédemment, à savoir que la chanson est en soi un art majeur, qu’elle a une très très longue histoire – et toi-même Lucien l’âne mon ami, tu peux en témoigner et que fondamentalement, tout récit est par lui-même une chanson, qu’il soit ou non accompagné de musique. « L’Odyssée » est une chanson ; « Les Années de Chien » de Günter Grass sont une chanson ; Guerre et Paix de Léon Tolstoï également, comme quoi la longueur n’est pas un critère. Peut-être, le caractère épique ou comme dit B.B., le ton poétique. Reste alors à savoir ce qui est poétique ? C’est une autre difficulté. On aurait du mal à classer comme chanson un manuel d’électromécanique, encore que certains, Kurt Gödel, qui avait la tête de mon grand-père, par exemple, trouvaient les mathématiques terriblement poétiques. Je les suivrais volontiers sur cette voie, sans toutefois maîtriser cet art délicat. Reste à rappeler que la forme chanson courte et musicalisée est une invention récente, promue par l’industrie du disque et des récitals, où les contraintes temporelles sont extrêmement fortes. On ne saurait pourtant s’y résoudre.

Au fait, Marco Valdo M.I. mon ami, au fait.

J’y venais à l’instant, Lucien l’âne mon ami. Voici :Joß Fritz (1470-1525), originaire d’Untergrombach dans le Bade-Wurtemberg (en allemand : Baden-Württemberg) fut un des meneurs des révoltes paysannes contre l’Église et l’aristocratie dans les campagnes de l’Allemagne du sud-ouest, en particulier dans le Bade-Wurtemberg, entre la fin du XVième et le début du XVIième siècle. Le symbole des révoltés, qui s’étaient soulevés en armes contre les taxes, les privilèges, les abus du féodalisme encore dominant, était le Bundschuh, la la chaussure lacée qui leur servait de symbole par opposition aux bottes à éperons des nobles.
Joß Fritz participa à trois insurrections qui échouèrent toutes et coûtèrent la vie à de nombreux conjurés. Elles se déroulèrent dans les environs de Bruchsal en 1502, de Brisgau en 1513, et dans tout le Haut-Rhin en 1517.
Ces trois mouvements partageaient les mêmes revendications : la fin du servage, la fin de l’oppression et de l’autorité seigneuriale au nom d’une « justice divine » égalitaire, et, plus généralement, la réduction des taxes ; les deux premiers avortèrent en raison de trahisons et la troisième fut éventée avant d’avoir pris forme.
Joß Fritz en réchappa. Sa lutte amorça la Bauernkrieg, la Guerre des Paysans, un ensemble d’insurrections paysannes et urbaines qui secouèrent l’Empire de 1524 à 1526. Joß Fritz fut un protagoniste d’au moins trois révoltes, toutes écrasées dans le sang. J’ignore s’il mourut aussi brutalement ou de mort naturelle.

Ce qui est certain c’est que les révoltes paysannes furent une version élaborée « par la base » de la réforme protestante et de sa critique à l’encontre de l’Église catholique, mais évidemment cette version de la Réforme ne plut guère à ses dirigeants et à ses théoriciens, à commencer par Martin Luther – dit le grand théologien et dit aussi, peut-être avec quelque raison, le père du capitalismequi appela personnellement plusieurs fois au massacre sans pitié des révoltés, « à les tuer comme des chiens errants ». Je t’invite à lire attentivement cette et cette éclairante illustration et démonstration de La Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres afin de les asservir, de les contraindre à l’exploitation, afin d’augmenter leurs richesses, d’étendre leurs privilèges, de garantir leurs propriétés qui n’est rien d’autre que la position exprimée par Martin Luther, un des initiateurs du protestantisme conservateur et réactionnaire, qui est un des fondements de l’idéologie de la domination. En effet, Luther condamna très violemment les soulèvements paysans par un véritable appel au massacre, intitulé Contre les bandes pillardes et meurtrières des paysans, dans laquelle il écrit :
« (...) tous ceux qui le peuvent doivent assommer, égorger et passer au fil de l’épée, secrètement ou en public, en sachant qu’il n’est rien de plus venimeux, de plus nuisible, de plus diabolique qu’un rebelle (...). Ici, c’est le temps du glaive et de la colère, et non le temps de la clémence. Aussi l’autorité doit-elle foncer hardiment et frapper en toute bonne conscience, frapper aussi longtemps que la révolte aura un souffle de vie. (...) C’est pourquoi, chers seigneurs, (...) poignardez, pourfendez, égorgez à qui mieux mieux ». »
En fait, il est à l’opposé des mouvements de libération des pauvres qui commencèrent en Bohème vers 1420 et se poursuivirent tout au long du siècle et se prolongèrent dans le suivant. 1476 en Franconie, 1478, en Carinthie, 1492 dans l’Allgäu, 1493 en Alsace (Bundschuh), 1502 à Spire, 1513 en Brisgau, 1514 en Wurtemberg, 1517 en Forêt-Noire. Ces mouvements que mena (notamment) Josef Fritz.
Un dernier éclairage à propos de l’antienne de la chanson où il est question de « coqs rouges », lesquels ne sont rien d’autres que les crêtes des incendies que l’on aperçoit de loin quand on incendie les châteaux ; une sorte de langage codé, comme dans toute résistance. Sans doute aussi, que s’ils l’avaient connu, les paysans allemands auraient adopté le « Ora e sempre : Resistenza ! » tel qu’il fut lancé dans l’Ode à Kesselring.
Bien sûr, Marco Valdo M.I. mon ami, nous aussi nous l’avons souvent repris cet « Ora e sempre : Resistenza ! » et sans doute, ont-ils également pensé comme les paysans d'au-delà d'Eboli : « Noï, non siamo cristiani, siamo somari »« Nous, nous ne sommes pas des chrétiens, nous sommes des bêtes de somme », tout comme nous qui menons jour après jour notre tâche et qui tissons ainsi le linceul de ce vieux monde brutal, absurde, cupide et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


Voici la ballade du chef paysan Joß Fritz, ou, la légende de la patience et de la ténacité révolutionnaires et du bon moment.


Joß Fritz est
costaud et servile, trois fois déjà, on l’a chassé.
Les femmes crient sur l’aire, quand il les pince durant la danse.
Et on murmure entre deux portes que beaucoup pensent que c’est scabreux.
Et la nuit, les froufrous, les crissements de paille se font voluptueux.
Et même si le chef des paysans, qui vient en secret, organise
Agite et calme aussi, quand les têtes, la rage sauvage a chamboulé.
Ne laissez pas les coqs rouges voler, quand l’autour arrive.
Ne laissez pas les coqs rouges voler avant le temps.

Quand les beaux châteaux brûlèrent au joli mois de mai,
Quand la bande multicolore courut aveugle et précipitée,
Telle un formidable mascaret,
Au-devant de l’armée du prince et des Chevaliers,
Et que des têtes furent coupées,
L’organisation trahie, le drapeau des paysans déchiré,
Ceux qui restaient comprirent que c’était tôt, trop !
Que ladversaire était encore fort, beaucoup trop !
Et qu’ils étaient peu nombreux, beaucoup trop !
Ne laissez pas les coqs rouges voler, quand l’autour arrive.
Ne laissez pas les coqs rouges voler avant le temps.

Joß Fritz, poursuivi sur les chemins, en femme, en mendiant,
Et parfois en gendarme,
Il se glisse parmi le peuple comme un poisson dans un banc,
Il épie l’ennemi et apprend les ruses,
Il agit en stratège et réorganise la troupe,
Il conspire avec les curés et les bourgeois,
Et avec les gens, il sympathise.
L’émeute agit sur les têtes comme le feu sur le froid,
Comme le chaud sur la glace.
Patient, adroit et sournois,
Il attend, car il pense certainement :
Ne laissez pas les coqs rouges voler, quand l’autour arrive.
Ne laissez pas les coqs rouges voler avant le temps.

Comme les baladins l’ont chanté,
Comme l’information a couru très vite,
Comme la chouette souvent a lancé
Des signaux secrets aux portes,
Comme le drapeau des insurgés
Flottait à la fête de l’églantier,
Quand ils furent près de trois mille
Et que partout, ils dissimulaient des armes
Et qu’on ne pouvait pas attendre,
Car quelqu’un sous la torture avait crié
Et avait révélé les noms, les lieux, les plans
C’était quand même encore trop prématuré.
Ne laissez pas les coqs rouges voler, quand l’autour arrive.
Ne laissez pas les coqs rouges voler avant le temps.

Trahison. Et
à nouveau sur les routes,
Joß Fritz, chassé, cherché, caché.
Et ceux qui l’entendent et l’abordent,
Sont réveillés et ralliés.
Il est parfois un soldat, un mendiant, un moine,
Parfois dans le pays, passe un saltimbanque,
À la tache sur sa main, parfois des camarades le reconnaissent.
Il veut assurer la grande alliance
Des chevaliers, des paysans, des curés, des bourgeois
Et toujours, il met en garde contre la hâte
Les plébéiens, les mendiants et les soldats.

Ne laissez pas les coqs rouges
voler, quand l’autour arrive.
Ne laissez pas les coqs rouges voler avant le temps.

Quand les belles faux et l’Étoile du matin ont lui,
Quand le marteau a brisé les casques,
Quand la faucille a taillé plus vite,
Quand l’armée des Chevaliers a fui,
Quand les murailles devant la ville ont cassé,
Quand les beaux châteaux ont brûlé,
Quand sa Grâce l’évêque a prié,
Alors, la semence du joli mois de mai,
Qu’il avait semée, a poussé,
Et, voyez là, toute la troupe, Joß Fritz est tout près.
Et laisse les coqs rouges voler autour
De la maison au cri de l’autour,
Et laisse les coqs rouges voler et lui était là,
Il est là.