jeudi 11 janvier 2018

Un autre Pauvre

Un autre Pauvre

Chanson léviane – Un autre Pauvre – Marco Valdo M.I. – 2018



Tu verras, Lucien l’âne mon ami, que cette chanson commence par un distique qu’il faudra interpréter poétiquement. Il y faut de la pensée et pas seulement de la réflexion.

D’abord, Marco Valdo M.I. mon ami, avant d’aller plus loin, que veux-tu dire par cette dichotomie entre pensée et réflexion ? Quand tu auras répondu à ma question, tu pourras reprendre le fil de ton propos.

De fait, Lucien l’âne mon ami, cela mérite le détour d’une explication. Je distingue en effet la pensée de la réflexion, car, à mon sens, la réflexion s’attelle à se développer dans la précision méticuleuse : elle raisonne ; la pensée, elle, a tendance à opter pour le vague. La réflexion tend à construire de façon ordonnée en vue d’une fin ; la pensée tend à vagabonder sans fin. Par sa nature et par nécessité, la pensée est vagabonde ; il faut s’y faire. Cependant, à la fin, elles sont complémentaires. Bref, la réflexion vise le monde par le précis ; la pensée interpelle le monde au hasard de ses pérégrinations ; elle est exploration.

Remarque, Marco Valdo M.I. mon ami, qu’on ne peut logiquement explorer que de l’inconnu, lequel est par définition vague. Ce qui m’inclinerait à penser que tu approches de la réalité de ces phénomènes. Maintenant, je t’en prie, reprends ton propos interrompu.

Je disais, Lucien l’âne mon ami, qu’il faut interpréter poétiquement le distique introductif, qu’il y faut de la pensée. Je disais ainsi, car si on le prend trop serré du col, si on l’interprète trop strictement, on perd beaucoup du sens de l’ensemble de la chanson. Bref, tout ça pour dire qu’il faut comprendre les mots « grande ville » dans un double sens, car il y a là une amphibologie qu’il faut éclairer. Il y a double sens ; le premier est celui effectif de « grande ville » comprise comme métropole, conurbations et le second, bine plus vague, de monde urbanisé qui s’oppose aux mondes rural, désertique ou montagnard. En ce sens, le monde urbain et la « civilisation » qu’il constitue tend à phagocyter les populations et les ressources des autres mondes. Et depuis des siècles, on voit un mouvement conduisant les pauvres de ces derniers mondes vers la « grande ville ». Voilà pour le tableau d’ensemble. Mais, la canzone focalise son récit sur un de ces paysans pauvres (ou de ces émigrés) qui arrive dans la « grande ville » – à pied, en train, en car, en camion, sous le camion, enfin n’importe comment. Il y voit son eldorado et commence par y fréquenter la misère et souvent ou parfois, allez savoir, il entretient avec elle une relation suivie qui l’amène à aller quémander, à sonner aux portes. Parfois, il trouve une porte compatissante et il y revient, sonne et ressonne. Généralement, une seule porte ne suffit pas ; il en entretient une série ; c’est son domaine, dont il lui est difficile de s’éloigner. Celui de la canzone, le pauvre voit un de ses habituels donneurs déménager à l’autre bout de la ville. Il finit par aller lui faire ses adieux. En fait, aller si loin pour une aumône n’était plus rentable. La logique du système est implacable ; mais la nature a horreur du vide et le vide créé par le pauvre est comblé par un autre pauvre.

Oui, certainement, dit Lucien l’âne, mais enfin, cette fois, il y a une sorte d’humour ou de cocasserie dans la situation. Allons, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde miséreux, misérable, trop riche, cupide et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Tout autour de la grande ville
Campe une armée grise et civile.
Avec sa vie et ses drapeaux
Faits de bouts, de morceaux, de lambeaux
Elle campe et patiente
En une éternelle attente.
Son désir est d’y entrer, de s’y installer
Mais elle est toujours repoussée
Par les murs de la vie organisée.
Et tous les jours, on voit arriver
Jusqu’à la porte des maisons
Ces étrangers messagers.
Il y en a des milliers, il y en a des millions.
Pitié, faiblesse, vague solidarité
Nous voilà liés
Et ils viennent et reviennent
Des années durant
Sur le seuil, presque transparents.
À force, avec le temps, ils deviennent
Des relations anciennes.

Le carillon sonne.
On ouvre, c’est un homme, une personne
Avec son histoire obscure
Écrite sur sa figure.
Et il parle, il raconte
Le besoin,
Qui l’a mis en chemin
Et qui le pousse
À marcher dès le matin.
Même faux, même inventé
Ce récit, c’est la vérité.

Petit, poussiéreux, timide,
Avec sa tête ronde et chauve,
Ses yeux larmoyants et humides
Et l’insistance passive
De l’espoir sans horizon.
Il dit sortir d’années de pension,
De sanatorium et de prison.

Avant, il était coiffeur ou barbier ;
Il faut racheter les outils de son métier :
Tondeuse, brosses, peignes, rasoirs, ciseaux.
Quelle importance que ce soit vrai ou faux ?
C’est juste une histoire.
Personne ne demande d’y croire.
Maintenant, il n’est plus coiffeur ou barbier
Il a oublié la prison et le sana.
On se connaît ; plus besoin de raconter.
Comment ça va ? Ça va
Très bien, réponse machinale.
Une autre fois, ça va ? Comment ça va ?
Mal, terriblement mal.
Mal, vous aussi ?
Vous n’avez plus d’argent ? Mon pauvre ami !

Puis, j’ai déménagé,
Dans un lointain quartier.
Il m’a retrouvé.
Il est revenu une fois, deux fois
Puis, une dernière fois.
Il a sonné un matin ;
Il a dit, c’est trop loin.
Je ne viendrai plus.
Cherchez un autre pauvre
Et un autre pauvre
Est venu.

Avant, il était coiffeur ou barbier ;
Il faut racheter les outils de son métier :
Tondeuse, brosses, peignes, rasoirs, ciseaux.
Quelle importance que ce soit vrai ou faux ?
C’est juste une histoire.
Personne ne demande d’y croire.




mercredi 10 janvier 2018

Marco et les Escrocs

Marco et les Escrocs

Canzone léviane – Marco et les Escrocs – Marco Valdo M.I. – 2018 







Ainsi, aujourd’hui, Lucien l’âne mon ami, je recommence à écrire de nouvelles chansons lévianes. Il y en aura sans doute plusieurs, mais je ne sais vraiment pas te dire combien. Celle-ci est tirée d’un récit de Carlo Levi intitulé « Briganti e contadini » (1958), ce qu’on peut traduire en français par « Brigands et paysans ». Le personnage principal dénommé ici Marco est un lointain cousin de ce Marcovaldo auquel Italo Calvino avait consacré tout un roman. C’est d’ailleurs en référence à Marcovaldo qu’il porte ici ce prénom. Quant aux escrocs, ils n’ont pas de nom ; ce sont des escrocs ; deux escrocs déguisés en policiers. Ou l’inverse. Cependant, pour l’honorabilité de la profession, on n’en dira rien.

C’est mieux, dit Lucien l’âne. Imagine un peu que ce soit le cas ; des policiers véreux, corrompus, manipulateurs, cupides, extorquant le passant, ce serait désolant.

Dès lors, Lucien l’âne mon ami, pour mettre fin à toute dérive, il convient de préciser le contexte. Si j’ai parlé de Marcovaldo, c’est que le Marco qui nous occupe est lui aussi un paysan, monté à la ville pour chercher de quoi subsister. Comme son presque homonyme, comme tous les émigrés, il est assez décalé par rapport à la vie de cette ville anonyme et compte tenu de son ignorance supposée et de sa situation de faiblesse, de son désarroi, il est l’objet d’intimidations et la proie d’escrocs.

Certes, dit Lucien l’âne, ce sont là des choses anciennes et qui sont toujours d’actualité et d’autant plus que le nombre de nouveaux arrivants s’accroît. Il y faudrait une politique d’accueil intelligente et fonctionnelle. Mais, me semble-t-il, celle-là relève de l’oxymore.

C’est la cas bien souvent, répond Marco Valdo M.I., mais cette fois, Marco ne se laisse pas abuser par les escrocs, car comme on dit par chez nous, il sent venir l’oignon et s’il accepte la proposition d’aide de ses anges gardiens, il se tient sur ses gardes et laisse venir les événements en restant prêt à se dégager. Comme tu vas le voir, c’est finalement ce qui va se passer. Par ailleurs, ces escrocs ne sont pas de grands arnaqueurs, ils n’ont rien de ces grands hommes d’affaires qui se bâtissent des fortunes réelles ou feintes, qui se portent à des sommets de pouvoir à force de mensonges, de tricheries, de dettes et d’arrogances diverses. Les escrocs que l’on trouve ici sont des escrocs au petit pied, ils ne sont pas mieux lotis (et peut-être même moins) que Marco qu’ils tentent de dévaliser et leur combine va lamentablement foirer. Ce sont des branques, des branquignols, des caves, des nuls.

En somme, dit Lucien l’âne, c’est une histoire drôle dans le genre de celles des Pieds Nickelés ou de Charlot et le côté amusant pour moi tient aussi au fait qu’il s’agit d’une fable contemporaine, à la manière de celles d’Ésope ou de La Fontaine, mais où on aurait remplacé les animaux par des humains. Cela dit, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde escroc, perclus, menteur, minable et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Au village, Marco est un arbre
Dans sa forêt ;
Marco est l’histoire
D’un homme vrai.

Comme tant de ses frères,
De son finistère,
Il a quitté le village
Pour d’autres paysages.

Mais à la ville,
Qui est-il ?
Parmi tous ces gens de la terre,
Chassés par la misère.

Homme petit, tête ronde,
Venu d’un bout du monde,
Avec sa peau de paysan,
Ses yeux noirs et ses gestes lents.

Il marche à pas pesants
Du pas de l’âne prudent.
Il parle avec réticence
Et garde pour lui sa confiance.

À la ville, Marco n’est personne
Autour de lui, les autos klaxonnent
Souvent, les policiers le contrôlent.
En ville, la vie de pauvre n’est pas drôle.

« Eh, vous, là ! Vos papiers ! »
« Vous travaillez ? »
« Vous avez de quoi subsister ?
De l’argent sur vous. Oui, oui, j’en ai »

« Alors, ça peut s’arranger.
Nous on peut vous aider.
On connaît un bon travail, facile,
Bien payé et tranquille. »

Marco quand même intéressé,
Pensez donc, un travail assuré.
Dit « et pourquoi pas ?
Mais au fait, c’est quoi ? »

« Un poste de tout premier choix :
Concierge et jardinier
Au couvent des sœurs de la Sainte Croix ;
C’est la sécurité. »

C’est assez loin. Alors, on y va.
En chemin, ils m’offrent un café,
Plus tard, un petit repas.
On arrive enfin. On va sonner.

C’est un lieu assez écarté.
Et le soir tombe déjà.
Mais avant, il faut nous donner
La valise et l’argent que tu as là.

Le ton monte et descend ;
On crie, on menace.
C’est le face-à-face.
Donne-nous ton argent !

Oh, l’argent, je n’en ai pas ;
Je comptais sur ce boulot
Que je n’aurai pas.
Bande d’escrocs !

Marco laisse la valise et s’enfuit.
Il court, il court.
Où est le village, où sont les brebis ?
Ce soir, le ciel est bien lourd.

lundi 8 janvier 2018

C’EST TA FAUTE

C’EST TA FAUTE

Version française – C’EST TA FAUTE – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson italienne – È stata tua la colpaEdoardo Bennato – 1977
Texte et musique : Edoardo Bennato




« Cette chanson ouvrait l’album « Marionnette sans fil » de 1977 ; c’est une relecture de l’histoire de Pinocchio. La guerre a toujours été une des cibles préférées de l’ironie de Bennato, précédée probablement seulement par l’école (on en vient à se demander quelle expérience scolaire terrible doit avoir connue le pauvre Edoardo…) » [Lorenzo Masetti, 24 janvier 2005]


Dialogue maïeutique


Marco Valdo M.I. mon ami, qu’as-tu encore été trouver là comme chanson ? J’espère qu’elle ne m’est pas destinée.

J’ai l’impression, Lucien l’âne mon ami, que tu te sens visé. Ferais-tu, comme les grands du monde, une crise de paranoïa ? Je t’assure qu’il n’en est rien. D’abord, c’est la version française d’une chanson italienne d’il y a quarante ans, où il n’est nullement question d’un âne. Ensuite, comme tu pourras le voir de tes yeux noirs qui brillent ou l’entendre de tes oreilles noires qui se dressent, elle ne pourrait en aucune manière te concerner ne fut-ce que parce qu’elle dit d’entrée de jeu :

« C’est ta faute ; alors, que veux-tu ?
Tu voulais devenir un de nous »

Dans ton cas, je te le rappelle, c’est exactement l’inverse qui s’est produit, si j’ai bien compris ce que tu m’as dit encore récemment, contrairement à la légende colportée par Apulée, tu ne souhaites pas redevenir un homme.

En effet, Marco Valdo M.I. mon ami, tu as parfaitement saisi mon sentiment. Après tout ce que j’ai vu et connu depuis des siècles que je parcours le monde, je n’ai aucune envie de rentrer dans la peau d’un humain. Âne je suis, âne je reste.

Cela établi, reprend Marco Valdo, c’est la première canzone du cycle de la « Marionnette sans fil » et la dernière à être nantie d’une version française. Elle raconte l’histoire de cette Marionnette, petit être de bois qui a voulu devenir un être humain – un être de chair et qui a réussi dans sa mutation. Mais, dit en substance la chanson de Bennato, il n’a pas gagné au change. De personnage insignifiant aux yeux des hommes, il est devenu un des leurs et en le devenant, il a hérité de tous les inconvénients de la situation : il est entré dans le monde. On croirait entendre Paul Nizan qui disait : « Tout menace de ruine un jeune homme : l’amour, les idées, la perte de sa famille, l’entrée parmi les grandes personnes. Il est dur d’apprendre sa partie dans le monde. À quoi ressemblait notre monde ? Il avait l’air du chaos ». Ainsi commençait le voyage vers Aden Arabie, parabole de la vie. Ainsi, la canzone est une parabole de la vie des humains qui d’enfants libres et impertinents, puis d’adolescents libres et rebelles, finissent – pour la plupart – dans les liens de la vie en société auxquels ils se soumettent par complaisance et par obéissance aux règles édictées par un mystérieux pouvoir. C’est le même parcours qu’on trouve décrit ironiquement dans la chanson de Brel qui raconte l’entrée en bourgeoisie [[38553]].

Oh, dit Lucien l’âne, il y aurait sans doute encore beaucoup de choses à en dire qu’il faudra renvoyer à plus tard ou ailleurs, à d’autres dialogues, mais je retiendrai qu’il nous faut spécialement ici rappeler notre maxime essentielle, celle qui fait que je reste un âne et qui dit : « Ne jamais se soumettre ! » ; je la conseille comme viatique ultime à tous ceux qui viendront. À tous présents et à venir, en quelque sorte.
Pour le reste, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde cadenassé, organisé, ordonné, orthodoxe et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



C’est ta faute ; alors, que veux-tu ?
Tu voulais devenir un de nous,
Et maintenant, tu regrettes ces jours où
Tu étais une marionnette mais sans fil
Car maintenant tu les as, les fils ! …

À présent, tu ne fais plus un pas,
Si en haut, il n’y a pas
Quelqu’un qui commande et tire les fils pour toi.
À présent, les gens ne rient plus de toi,
Tu n’es plus un saltimbanque, mais vois
Tous les fils que tu as ! …

C’est ton choix, alors maintenant que veux-tu ?
Un de nous, voilà ce que tu es devenu.
À tous les pièges du chat et du renard, toi
Tu avais pu réchapper chaque fois.
Maintenant, tu risques beaucoup plus !

À présent, tu ne fais plus un pas,
Si en haut, il n’y a pas
Quelqu’un qui commande et tire les fils pour toi.
À présent, les gens ne rient plus de toi,
Tu n’es plus un saltimbanque, mais vois
Tous les fils que tu as ! …
Et maintenant que tu raisonnes comme nous,
Tes livres d’école, tu ne te les vendras pas
Comme tu le fis un jour
Pour acheter un ticket et entrer
Dans le théâtre de Mangiafuoco.
Ces livres maintenant, tu les liras !

Va, va, et lis-les tous
Et apprend ces livres de mémoire
Où il est écrit que les sages et les honnêtes
Sont ceux qui font l’histoire ;
Ils font la guerre, car la guerre est chose sérieuse.
Jamais ne la feront bouffons et marionnettes !

C’est ton choix, alors maintenant que veux-tu ?
Un de nous, voilà ce que tu es devenu.
Tu étais un bouffon, une marionnette de bois
Maintenant que tu es normal et tu vois
Combien est absurde le jeu que tu joues là !


vendredi 5 janvier 2018

PYROPHAGE

PYROPHAGE
ou 
Mangefeu, le Mangeur de feu

Version française – PYROPHAGE ou Mangefeu, le Mangeur de feu – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson italienne – MangiafuocoEdoardo Bennato – 1977
Texte et musique : Edoardo Bennato






Quel nom étrange, tu as donné au personnage de la chanson, dit Lucien l’âne. A-t-on idée de nommer quelqu’un Pyrophage ou Mangefeu. Je ne sais lequel est le plus troublant. Il est vrai que pour moi, c’est le même mot.

Oh, dit Marco Valdo M.I., il n’est pas plus étrange que son nom d’origine en italien Mangiafuoco, qui aurait pu être renommé en français tout simplement : « Mangefeu ». Mais le titre lui-même est plus complexe qu’il n’y paraît ; si l’on pense un instant à Pantagruel et Gargantua, deux romans d’Alcofribas Nasier, alias Séraphin Calobarsy, alias François Rabelais, si l’on suit Voltaire, homme intelligent, écrivain et philosophe de haut vol, dans sa manie des titres à rebond comme « Candide ou l’Optimisme » ou « Zadig ou la destinée », ou encore « Le fanatisme ou Mahomet le prophète ». Ce dernier texte étant lui-même prophétique. Écoute ceci, Lucien l’âne mon ami, tiré de la notule de Wiki : «  Mahomet apparaît comme un nouveau César, un stratège sachant que l’Empire romain n’est plus, que la Perse est vaincue, que l’Inde est réduite en esclavage, que l’Égypte est abaissée, et que Byzance ne luit plus. L’heure de l’Arabie est enfin arrivée : « Il faut un nouveau culte, il faut de nouveaux fers ; il faut un nouveau dieu pour l’aveugle univers ». Mahomet voit donc sa religion comme une politique. Ne croyant pas aux dogmes qu’il impose au peuple, il sait que ce dernier les épousera avec la fureur des fanatiques. » Pour un peu, on se croirait en 2084.
On ne peut, en effet, être plus prophétique, dit Lucien l’âne. Et nul ne peut dès lors prétendre que le ver n’était pas dans la pomme depuis l’origine. À cette précision près que Mahomet n’est qu’un spectre et n’est en définitive qu’une marionnette aux mains de gens qui entendent dominer les autres et répandre le fanatisme sous toutes ses formes. À ce propos, rappelons notre antienne que Voltaire lui-même aurait appréciée : « Fanatiques de tous les pays, calmez-vous ! ». Maintenant, si tu veux bien, revenons à la canzone dont on n’a encore rien dit.

Voire, dit Marco Valdo M.I., la chose n’est pas si sûre. On l’a déjà placée dans les chansons à odeur d’hérésie et de philosophie, même si, paraît-il, l’auteur se défend d’être sujet à pareils penchants. Mais soit, ce n’est qu’une « canzonette », mais des chansonnettes comme celle-là, on en redemande. Donc, le Pyrophage est une sorte de personnage qui rappelle le Cyclope ou le Minotaure. Plutôt ce dernier d’ailleurs. Il terrorise le monde et manipule les gens et vu ainsi, il rappelle pas mal de gens au pouvoir actuellement. Je ne citerai pas de noms, il me faudrait une telle énumération, mais enfin, on voit bien de qui je parle.

Très bien, en effet, dit Lucien l’âne. Pour n’en évoquer qu’un seul, prenons cet analphabète infantile qui chaque jour se déchaîne sur son petit écran portatif et lance illico invectives, dénonciations, mensonges et menaces ; lui, ce serait plutôt Pyrocole qu’il faudrait l’intituler. Quoi qu’il en soit, il faut bien dire que des personnages pareils sont courants dans la Guerre de Cent mille Ans, où ils sont leur rôle à jouer, selon diverses gradations et en fonction des moyens qui sont à leur disposition et une chose est certaine, ils font des dégâts et des dégâts immenses. Et nous n’y pouvons, mais cela ne nous empêche pas de tisser, tisser, tisser encore le linceul de ce vieux monde tyrannique, électif, dévoreur, avide, ambitieux et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Ce n’est pas un jeu, nul ne plaisante.
Pyrophage le mangefeu arrive,
Il tire les fils ; c’est lui qui commande
Et fait danser les marionnettes.

Prenez garde les amis,
Il tranche sans merci.
Si on ne danse pas ou on danse mal,
Il vous envoie à l’hôpital.

Mais s’il te trouve sans fil, s’il voit
Que tu ne danses pas, c’est là
Que commencent les ennuis – tu verras.
Fais gaffe, prends garde mon gars,
Car il appelle ses gendarmes
Et fou, il te déclare ! …

C’est un grand bal, ce soir
Et chacun met sa jaquette.
Comédiens et marionnettes,
Tous danseront ce soir.

Tous les chefs de parti
Et par-dessus Pyrophage,
Qui fait le tri,
Tire les fils et s’amuse.

Mais s’il te trouve sans fil, s’il voit
Que tu ne danses pas, c’est là
Que commencent les ennuis – tu verras.
Fais gaffe, prends garde mon gars,
Car il appelle ses gendarmes
Et fou, il te déclare ! …

La danse est très belle
Entre Arlequin et Polichinelle.
Ils se bourrent de coups de pied,
Se brisent les os, et
Pyrophage encaisse.

Pyrophage est un marchand,
Il met très haut les prix.
Il n’a jamais de concurrent :
Qui a essayé s’en est repenti ! …

Mais s’il te trouve sans fil, s’il voit
Que tu ne danses pas, c’est là
Que commencent les ennuis – tu verras.
Fais gaffe, prends garde mon gars
Car il appelle ses gendarmes
Et fou, il te déclare ! …


mercredi 3 janvier 2018

LE GRILLON QUI PARLE

LE GRILLON QUI PARLE


Version française – LE GRILLON QUI PARLE – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson italienne – Tu grillo parlante – Edoardo Bennato – 1977
Texte et musique : Edoardo Bennato






Voici, Lucien l’âne mon ami, encore une chanson d’Edoardo Bennato relative à l’histoire de la Marionnette dans fil, alias Pinocchio.

C’est une bonne idée, Marco Valdo M.I. mon ami, car l’air de rien, ces « chansons qui ne sont que des chansonnettes » - c’est du moins ainsi qu’en parle Edoardo Bennato lui-même, si mon souvenir est exact- m’ont tout l’air, tout au contraire, d’êtres d’authentiques chansons remplies de vigueur, de verdeur et diablement intéressantes.

De fait, Lucien l’âne mon ami ; si tu te souviens, nous avons déjà présenté ici (et ailleurs) les versions françaises de plusieurs d’entre elles.

Oui, Marco Valdo M.I. mon ami, et si ma mémoire est bonne (tu compléteras si j’en oublie), c’était La Fée, Quand tu seras grand, En Prison, en Prison, Le Renard et le Chat, Docteurs, Médecins et Savants. Il me semble qu’à ce train-là, on aura une version française de tout le « Burattino senza fili », la Marionnette sans fil. Ce qui, je pense, vaut la peine d’être noté, car cela démontre une belle persévérance, même si ce n’est pas la première fois.

Cette fois-ci, reprend Marco Valdo M.I., mais ce ne sera pas la dernière version française de ce Burattino, puisqu’il faudra encore y ajouter le Magiafuoco et « È stata la tua colpa » ; cependant, on y viendra.

Oh, dit Lucien l’âne, je n’en doute pas, car comme dit l’ami Ventu : « Tôt ou tard, ici, la chanson sera traduite ».

Quant à celle-ci, elle mérite deux mots d’explication, poursuit Marco Valdo M.I. ; elle reprend un personnage annexe de Pinocchio, le grillon parlant, mais à la manière de Bennato en en faisant un personnage assez abominable : une sorte de snob, de politicien, de prêcheur qui vient donner des leçons aux gens qui est rembarré par Pinocchio et ses copains.
Au passage, je te rappelle qu’il y a – sans doute plus en dehors d’Italie qu’au pays natal de Pinocchio – un malentendu himalayen à propos du personnage de Pinocchio lui-même. Ce malentendu est né de la production-trahison de Walt Disney où la pauvre Pinocchio est affadi au-delà de ce qui est possible. Entre Disney et Bennato, il n’y a pas à tortiller, c’est le Pinocchio de Bennato qui est le plus vrai. Pinocchio selon Collodi est bien le héros des enfants rebelles.

Certes, dit Lucien l’âne. Un personnage qui m’évoque le gars Félix Badonce dont Vialatte disait : « C’était un garçon passionné, aussi frivole que patriote ; il aimait la France, la barre fixe, le chocolat et l’aviation. » Il poussa le vice du patriotisme jusqu’à mourir au front d’une balle en plein crâne, afin d’ajouter son nom sur la pierre du monument aux morts « à la liste dorée de ces enfants dociles qui savaient réciter Corneille jusqu’à ce que mort s’ensuivît » ; un Pinocchio, mais à l’envers. Finalement, il me faut quand même conclure un peu en tissant le linceul de ce vieux monde conforme, coincé, hypocrite et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Éteignez la lumière,
Écoutez la voix,
Qui vient dans le vent,
C’est un grillon parlant.
Il arrive, le voici, le voilà,
Et vous pouvez entendre
Comme il chante…

C’est un grillon parlant ;
Il se croit important,
Il a beaucoup étudié,
Il est diplômé.
Il arrive, le voici, le voilà,
Et vous pourrez écouter
Quel sermon, il nous fera.

Toi le grillon parlant
Qui parle ainsi aux gens,
Qui t’a invité,
Qui t’a sollicité ?
Tu n’es qu’un prophète de variété
Et ton blabla
Ne nous intéresse pas ! …

La fête commence,
Mais la fête est fête
Seulement au moment où
Nous cassons tout !
Pour nous, la fête c’est ça
Et jamais aucun blabla
Ne nous séduira ! …

La fête commence,
Mais c’est notre fête.
Nous décidons
À quel jeu nous jouons.
Nomme-la rage ou violence
Comme il te semble ;
De toute manière, tu le sais,
Nous devons nous défouler.

Tu es un puits de science,
Mais cette violence
Dont on parle tant,
Nous l’avons au dedans.
Dans les magasins de la ville, elle se vend
Achète-z-en un peu aussi, toi,
Cela te servira !

Tu dis que tu as
Un riche passé,
Que tu as tant voyagé,
Que tu es très cultivé,
Et maintenant, voilà,
Il te faut apprendre une autre vérité :
À faire le prophète, tu vois,
Jamais personne ne nous aura !