Un
autre Pauvre
Chanson
léviane – Un autre Pauvre – Marco Valdo M.I. – 2018
Tu
verras, Lucien l’âne mon ami, que cette chanson commence par un
distique qu’il faudra interpréter poétiquement. Il y faut de la
pensée et pas seulement de la réflexion.
D’abord,
Marco Valdo M.I. mon ami, avant d’aller plus loin, que veux-tu dire
par cette dichotomie entre pensée et réflexion ? Quand tu
auras répondu à ma question, tu pourras reprendre le fil de ton
propos.
De
fait, Lucien l’âne mon ami, cela mérite le détour d’une
explication. Je distingue en effet la pensée de la réflexion, car,
à mon sens, la réflexion s’attelle à se développer dans la
précision méticuleuse : elle raisonne ; la pensée, elle,
a tendance à opter pour le vague. La réflexion tend à construire
de façon ordonnée en vue d’une fin ; la pensée tend à
vagabonder sans fin. Par sa nature et par nécessité, la pensée est
vagabonde ; il faut s’y faire. Cependant, à la fin, elles
sont complémentaires. Bref, la réflexion vise le monde par le
précis ; la pensée interpelle le monde au hasard de ses
pérégrinations ; elle est exploration.
Remarque,
Marco Valdo M.I. mon ami, qu’on ne peut logiquement explorer que de
l’inconnu, lequel est par définition vague. Ce qui m’inclinerait
à penser que tu approches de la réalité de ces phénomènes.
Maintenant, je t’en prie, reprends ton propos interrompu.
Je
disais, Lucien l’âne mon ami, qu’il faut interpréter
poétiquement le distique introductif, qu’il y faut de la pensée.
Je disais ainsi, car si on le prend trop serré du col, si on
l’interprète trop strictement, on perd beaucoup du sens de
l’ensemble de la chanson. Bref, tout ça pour dire qu’il faut
comprendre les mots « grande ville » dans un double sens,
car il y a là une amphibologie qu’il faut éclairer. Il y a double
sens ; le premier est celui effectif de « grande ville »
comprise comme métropole, conurbations et le second, bine plus
vague, de monde urbanisé qui s’oppose aux mondes rural, désertique
ou montagnard. En ce sens, le monde urbain et la « civilisation »
qu’il constitue tend à phagocyter les populations et les
ressources des autres mondes. Et depuis des siècles, on voit un
mouvement conduisant les pauvres de ces derniers mondes vers la
« grande ville ». Voilà pour le tableau d’ensemble.
Mais, la canzone focalise son récit sur un de ces paysans pauvres
(ou de ces émigrés) qui arrive dans la « grande ville »
– à pied, en train, en car, en camion, sous le camion, enfin
n’importe comment. Il y voit son eldorado et commence par y
fréquenter la misère et souvent ou parfois, allez savoir, il
entretient avec elle une relation suivie qui l’amène à aller
quémander, à sonner aux portes. Parfois, il trouve une porte
compatissante et il y revient, sonne et ressonne. Généralement, une
seule porte ne suffit pas ; il en entretient une série ;
c’est son domaine, dont il lui est difficile de s’éloigner.
Celui de la canzone, le pauvre voit un de ses habituels donneurs
déménager à l’autre bout de la ville. Il finit par aller lui
faire ses adieux. En fait, aller si loin pour une aumône n’était
plus rentable. La logique du système est implacable ; mais la
nature a horreur du vide et le vide créé par le pauvre est comblé
par un autre pauvre.
Oui,
certainement, dit Lucien l’âne, mais enfin, cette fois, il y a une
sorte d’humour ou de cocasserie dans la situation. Allons,
reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde
miséreux, misérable, trop riche, cupide et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Tout
autour de la grande ville
Campe
une armée grise et civile.
Avec
sa vie et ses drapeaux
Faits
de bouts, de morceaux, de lambeaux
Elle
campe et patiente
En
une éternelle attente.
Son
désir est d’y entrer, de s’y installer
Mais
elle est toujours repoussée
Par
les murs de la vie organisée.
Et
tous les jours, on voit arriver
Jusqu’à
la porte des maisons
Ces
étrangers messagers.
Il
y en a des milliers, il y en a des millions.
Pitié,
faiblesse, vague solidarité
Nous
voilà liés
Et
ils viennent et reviennent
Des
années durant
Sur
le seuil, presque transparents.
À
force, avec le temps, ils deviennent
Des
relations anciennes.
Le
carillon sonne.
On
ouvre, c’est un homme, une personne
Avec
son histoire obscure
Écrite
sur sa figure.
Et
il parle, il raconte
Le
besoin,
Qui
l’a mis en chemin
Et
qui le pousse
À
marcher dès le matin.
Même
faux, même inventé
Ce
récit, c’est la vérité.
Petit,
poussiéreux, timide,
Avec
sa tête ronde et chauve,
Ses
yeux larmoyants et humides
Et
l’insistance passive
De
l’espoir sans horizon.
Il
dit sortir d’années de pension,
De
sanatorium et de prison.
Avant,
il était coiffeur ou barbier ;
Il
faut racheter les outils de son métier :
Tondeuse,
brosses, peignes, rasoirs, ciseaux.
Quelle
importance que ce soit vrai ou faux ?
C’est
juste une histoire.
Personne
ne demande d’y croire.
Maintenant,
il n’est plus coiffeur ou barbier
Il
a oublié la prison et le sana.
On
se connaît ; plus besoin de raconter.
Comment
ça va ? Ça va
Très
bien, réponse machinale.
Une
autre fois, ça va ? Comment ça va ?
Mal,
terriblement mal.
Mal,
vous aussi ?
Vous
n’avez plus d’argent ? Mon pauvre ami !
Puis,
j’ai déménagé,
Dans
un lointain quartier.
Il
m’a retrouvé.
Il
est revenu une fois, deux fois
Puis,
une dernière fois.
Il
a sonné un matin ;
Il
a dit, c’est trop loin.
Je
ne viendrai plus.
Cherchez
un autre pauvre
Et
un autre pauvre
Est
venu.
Avant,
il était coiffeur ou barbier ;
Il
faut racheter les outils de son métier :
Tondeuse,
brosses, peignes, rasoirs, ciseaux.
Quelle
importance que ce soit vrai ou faux ?
C’est
juste une histoire.
Personne
ne demande d’y croire.
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