IL NE RESTE PERSONNE DANS CETTE VILLE
Version française — IL NE RESTE PERSONNE DANS CETTE VILLE — Marco Valdo M.I. — 2022
d’après la version italienne — NON RIMANE NESSUNO IN QUESTA CITTA' — Riccardo Venturi — 2015
d’une chanson grecque — Δε μένει κανείς σ'αυτή την πόλη — Katerina Gogou / Κατερίνα Γώγου — 1978
Poème
de
Katerina Gogou [1978]
Du
recueil Τρία
κλικ αριστερά (Trois
clics à gauche)
Musique
et
interprétation :
Vangelis
Kondopoulos
Dans
l’album collectif
Πάνω κάτω η Πατησίων — Οι όψεις της
μοναξιάς στην Κατερίνα Γώγου και 20
μελοποιημένα ποιήματα της (“De
haut en bas par
Patision — Les
visions
de la solitude chez
Katerina Gogou et
20 de
ses poèmes mis en musique”)
[2012]
CHARON ET PSYCHÉ
John
Stanhope — 1883
Chaque fois qu’on se trouve confronté à un texte de Katerina Gogou, tout se dérègle. Elle sort de tout schéma et de toute réalité prédéfinie, avec pour seule colle l’immense douleur qui envahit tout. Ce poème de 1978, extrait du recueil Τρία κλικ αριστερά, reflète sans doute, comme tant d’autres, l’histoire tragique de la vie de l’autrice, actrice et poète, qui s’est suicidée à l’âge de 43 ans ; mais il ne faut pas trop se laisser emporter par l’atmosphère apocalyptique qui semble l’imprégner, surtout au début (on dirait vraiment, au début, la scène d’une ville après un tsunami). Ce poème parle de quelque chose de bien défini : le quartier d’Exarchia à la fin des années 1970. Après la fin de son véritable « âge d’or », celui de la lutte sous la dictature des colonels, celui du peuple et de l’anarchie, celui où même la terrible police athénienne osait à peine mettre les pieds, celui de l’amitié et de la solidarité. Lorsque Katerina Gogou écrit ces lignes, tout semble déjà terminé : une ville vide, morte, qui subit déjà la transformation qui a fait au fil du temps de l’Exarchia, un lieu de résistance et d’humanité, une sorte de " quartier bobo " à la mode, où vit désormais une petite bourgeoisie en quête de " lieux alternatifs ", et où les touristes se rendent à la recherche d’un " frisson " assumé ; à tel point que le fait du dernier " référendum ", celui de Tsipras, où la population de l’Exarchia a voté majoritairement pour le " oui ", est bien connu. Katerina Gogou n’était pas une simple chanteuse de ces lieux, elle en était l’âme profonde, une âme de conscience et de résistance humaine, sociale et politique. Ses vers reflètent donc à la fois son histoire personnelle et celle des lieux qui l’ont vue et vécue. L'“apocalypse” est la fin d’une époque unique et, comme cela arrivera malheureusement, d’une vie. Comme pratiquement tous les poèmes de Katerina Gogou, celui-ci est aussi devenu, bien que tardivement, une chanson ; elle a été mise en musique et chantée, de manière nerveuse et hallucinatoire, par Vangelis Kondopoulos dans l’album collectif (entièrement dédié à Katerina Gogou) Πάνω κάτω η Πατησίων — Οι όψεις της μοναξιάς στην Κατερίνα Γώγου και 20 μελοποιημένα ποιήματα της ('Up and Down Patision — Visions of Loneliness in Katerina Gogou and 20 of her poems set to music'), 2012. [RV].
Personne ne vit dans cette ville !
Il ne reste personne ?
Qu’est-il arrivé aux gens partis en vitesse ?
Laissant les portes ouvertes,
Les lumières allumées…
De grands oiseaux aveugles se cognent
De leurs ailes déployées,
Terrorisés.
La mer entre en ville,
Submerge méthodiquement la terre.
Un navire de lépreux fous
Navigue hors du port
Et s’éloigne lentement… doucement
Lentement…
Les
ans de mon enfance,
Enfants inflexibles et endurcis,
Sont déterrés par un chien jaune
Qui
sans fin me les rapporte.
Les eaux montent,
Mes mains d’elles-mêmes se croisent
Comme mortes.
Il n’y a personne ici ?
Personne ?
Personne.
Je regarde le chemin de sable blanc,
La barque funèbre avec son phénix de pierre
Et
son nautonier de marbre.
En ce lieu, pas un seul enfant.
Broumbroum.
Un enfant ?
Viens, on joue aux voitures. Viens bébé !
Tu viens, petit oiseau ? Chip chip chip, viens !
Viens,
petit oiseau…
Quel souvenir humain me retient ici ?
Georges…
Myrto…
Quelle terreur me retient ici
Pour laquelle justice n’a pas été rendue ?
Mes amis ? Mes frères ? Camarades ?
Georges…
Myrto…
De
quelle planète la fin honteuse
M’a laissée ici sidérée mourir de peur…
Pourquoi je ne vais pas plus loin,
Là
où le vent souffle les feux?
Je suis restée goutte d’une
stalagmite.
Dans cette bouteille vide,
Jetée un été il y a longtemps,
Par
mes amis.
Et y reste dedans,
Pour d’autres temps lointains
Qui reviendront,
Le dernier SOS de la solidarité
À déchiffrer.
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