jeudi 8 septembre 2022

MES AMIS À MOI

 

MES AMIS À MOI

 

 

Version française — MES AMIS À MOI — Marco Valdo M.I. — 2022

d’après la version italienne — GLI AMICI CHE HO — Riccardo Venturi — 2015

d’une chanson grecque — Εμένα οι φίλοι μουKaterina Gogou / Κατερίνα Γώγου — 1978

Poème de Katerina Gogou
(Da Τρία κλικ αριστερά, 1978)
Musi
que : Nikos Maindàs
P
remière interprétation : Magic de Spell
1998, Πάνω κάτω η Πατησίων (« Su e giù per Patisia »)
20 po
èmes de Katerina Gogou mis en musique
Autres interprètes :
Sokratis Malamas & Magic de Spell & Nikos Maindàs

 

 

 

 

LES OISEAUX NOIRS

Alekos Fassianos — 1987

 

 

 

 

 

Les banlieues athéniennes, les quartiers difficiles s’opposent un par un : Exarchia, Gyzi, Patisia, Metaxourgio. Le monde de Katerina Gogou et de son peuple, ses amis à la fin des années 1970. Si l’on pense au “dernier” de De André, les personnages de Katerina Gogou n’ont aucune aura “romantique”, pas même un milligramme. Ce sont des perdants, des gens qui ont d’abord été « pris ensemble » puis ont coulé, les amis et les petites amies de Katerina Gogou. « Oiseaux noirs et cordes à linge tendues ». Ils font n’importe quoi pour vivre, des métiers les plus courants aux plus impensables ; ils prennent des pilules et se saoulent pour dormir, mais ils ne dorment pas parce qu’ils ont des rêves (et là, dans la traduction, j’ai voulu suivre à la lettre la diction grecque originale : " ils voient des rêves "). Les amies de Katerina sont comme les cordes à linge qui pendent sur les terrasses des vieux HLM : les femmes sont attachées à tout avec des chevilles en fer. Culpabilité, blabla politique, maladies sexuelles et, surtout, violence, violence. Katerina Gogou a dédié à ses amis ces vers inoubliables, qui sont toujours écrits sur les murs. Des amis et des amis aux marges, mais ce sont des marges au-delà desquelles il n’y a que l’abîme. La même que celle qui a englouti Katerina Gogou le 3 octobre 1993, morte seule au milieu d’une rue d’une overdose et qui n’a même pas été reconnue et identifiée immédiatement (elle n’a été reconnue et identifiée que trois jours plus tard : son corps est resté tout ce temps à la morgue comme inconnu, et elle avait été l’une des actrices les plus connues de Grèce). Elle aussi n’avait plus d’espace, et elle aussi s’était mise à peindre en noir parce que son rouge avait été détruit. [RV]

 

 

Deux mots du traducteur (italien).

 

L’album de 1998 Πάνω κάτω η Πατησίων est un hommage collectif à Katerina Gogou contenant 20 de ses poèmes mis en musique par différents artistes grecs (les Magic de Spell ainsi que Sokratis Malamas et l’auteur de la musique, Nikos Maindàs), qui lui sont consacrés. Les quartiers populaires mentionnés dans le texte sont ceux que Katerina Gogou fréquentait vraiment : tout le monde connaît Exarchia pour être le « quartier anarchiste » athénien par excellence (celui-là même où Alexis Grigoropoulos a été assassiné, celui-là même des émeutes quasi quotidiennes dans la Grèce en crise), tandis que les autres ne seront connus que de ceux qui y (sur)vivent ou de ceux qui sont allés à Athènes pour ne pas voir le Parthénon ou pour se promener dans la fausse vie nocturne des clubs de la Plaka. Mais, là encore, ce serait comme aller à Rome pour visiter la Tor Bella Monaca ou le Laurentino 38, ou à Florence pour faire une visite des Piagge ou de la Case Minime. La séquence consacrée à ses amis, terrible fatras d’images allant des maladies infectieuses à la violence consommée dans l’indifférence, comporte même l’énonciation de la bactérie responsable de la vaginite, qui porte le nom de Trichomonas vaginalis. Après tout, le nom est grec : il signifie quelque chose comme « entité vaginale poilue ». Katerina Gogou, après tout, a écrit « dans sa propre langue parce que la vôtre ne sert qu’à lécher des culs ».

 


 


 


 

Mes amis à moi sont des oiseaux noirs ;

Mes amies à moi sont des cordes tendues.

 

Mes amis à moi sont des oiseaux noirs ;

Ils se balancent sur les toits des maisons en ruine.

Exarchia, Patisia, Metaxourgio, Mets.

Ils font ce qu’ils peuvent, ils vendent au porte à porte.

Des almanachs et des encyclopédies,

Ils font des routes, ils relient les déserts,

Ils chantent dans les clubs de la rue Zeno,

Révolutionnaires professionnels,

On les a ramassés, on les a brisés.

Maintenant, ils prennent des pilules et de l’alcool pour dormir.

Mais ils rêvent et ne dorment pas.

 

Mes amis à moi sont des oiseaux noirs ;

Mes amies à moi sont des cordes tendues.

 

Mes amies à moi sont des cordes tendues

Sur les toits des vieilles maisons

Exarchia, Victoria, Koukaki, Gyzi

Vous leur avez mis des pinces en fer.

La culpabilité,

Les décisions de la Junte,

Des habits empruntés,

Des marques infamantes,

Des migraines bizarres,

Des silences menaçants,

Des vaginites,

Des amours homosexuelles,

Des trichomonas,

Des retards menstruels —

Téléphone, téléphone, téléphone,

Verres cassés,

Ambulance,

Personne…


Mes amis à moi sont des oiseaux noirs ;

Mes amies à moi sont des cordes tendues.


Ils font tout de travers.

Mes amis voyagent tous,

Car ici, on ne leur laisse pas assez d’air

Mes amis peignent en noir, tous,

Car vous avez ravagé leur rouge.

Ils écrivent en une langue codée

Car la vôtre n’est bonne qu’à lécher

Mes amis sont des oiseaux noirs et des cordes

Sur vos nuques, pour vos mains

Mes amis…

 

Mes amis à moi sont des oiseaux noirs ;

Mes amies à moi sont des cordes tendues.

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