BOUCHE
CLOSE
Version française — BOUCHE CLOSE — Marco Valdo M.I. — 2022
D’après la version anglaise — NO DESIRE TO OPEN MY MOUTH de Mahnaz Badihian (Mahnaz Badihian est une poètesse et écrivaine iranienne, naturalisée américaine depuis 30 ans. Sa traduction est la référence pour les autres langues ; sans son soutien, nous n’aurions aucune connaissance des poèmes de Nadia Anjuman.)
espagnole : Trasversales : NO DESEO ABRIR LA BOCA
et italiennes : Ines Scarparolo et Cristina Contilli — NON HO VOGLIA DI APRIR BOCCA et NESSUNA VOGLIA DI PARLARE
d’une chanson en langue persane (afghane) — نیست شوقی که زبان باز — naset shewqa keh zeban baz — Nadia Anjuman — 2005
Poèsie : Nadia Anjuman
Interprétée
par :
1. Inconnues,
2. Miriam
Guidetti — Christopher
Gunning, 3. unaisladeideas
UNE FEMME AFGHANE – BOUCHE CLOSE
2022
Nadia Anjuman fine poètesse afghane, morte à 25 ans, semble avoir projeté sur elle toutes les contradictions d’un peuple écrasé entre les superstructures féodales et la modernité. Elle est le paradigme de la femme afghane, un être considéré comme marginal, réduit à un objet, une image réifiée de la violence. Elle a été tuée par son mari lors d’une violente dispute.
Sur la condition des femmes en Afghanistan
Selon le département des affaires économiques et sociales des Nations unies, la population afghane en 2022 sera d’environ 41 millions d’habitants, dont 51,7 % d’hommes et 48,3 % de femmes. Le taux de croissance annuel est de 3 %.
Le taux d’analphabétisme de la population adulte (plus de 15 ans) est de 76 % pour les femmes, 48 % pour les hommes.
Le taux d’analphabétisme de la population jeune (moins de 15 ans) est de 54 % pour les filles, 30 % pour les garçons.
L’Afghanistan occupe l’une des dernières places du classement mondial pour le taux d’alphabétisation.
Selon les statistiques de l’OIT (Organisation internationale du travail), la main-d’œuvre féminine à la fin de 2021 est de 17 % sur un total de 9,7 millions, et se réduit progressivement. En 2021, selon les données de la Banque mondiale, le taux de participation à la population active est de 14,85 % pour les femmes et de 66,52 % pour les hommes, avec une tendance significative à la baisse dans les deux cas.
La répartition en pourcentage de la main-d’œuvre féminine dans les différents secteurs en 2020 était la suivante : 52 dans l’agriculture, 25 dans la fabrication de textiles, 18 dans l’administration publique et le secteur tertiaire (données de l’OIT).
L’Afghanistan est le pays où le taux d’emploi des femmes est le plus faible au monde. Les personnes souhaitant analyser cette question plus en détail peuvent consulter la monographie Desai et Li Analyzing FLFP in Afghanistan, Harvard University, 2016, en précisant que les projections indiquent une détérioration continue des indicateurs en lien avec la montée en puissance des talibans.
Voir
quelques photos de femmes afghanes dans la ville dans les années
1970.
Il n’y a pas besoin de dire un mot sur le rôle
des femmes dans la société afghane ; les informations ne
manquent pas dans les médias de diverses orientations. Nous
aimerions ajouter quelques points sur lesquels le courant dominant ne
s’est pas attardé, peut-être en raison de la difficulté
d’obtenir des informations directes.
Nous sommes tombés sur un communiqué sur le site web afghan du ministère de la justice. Poussés par la curiosité, nous avons alors pu constater ce qui suit. Le ministère des Affaires féminines [dari : وزارت امور زنان], créé en 2001, a été supprimé le 7 septembre 2021, après la prise du pouvoir par les talibans. Ses fonctions ont été transférées au " Ministère de la diffusion de la vertu et de la prévention de la dépravation " [dari : وزارت دعوت و ارشاد امر بالمعروف و نهی المنکر] [sic]. Même si aucun lecteur n’a la moindre connaissance du dari, y compris l’auteur, il peut être intéressant de parcourir les images du document pour se faire une vague idée de la police des mœurs au ministère.
Quelques faits saillants
26 décembre 2021 : de nouvelles restrictions entrent en vigueur pour les femmes afghanes. Elles ne peuvent pas voyager à plus de 50 miles (72 km) si elles ne sont pas accompagnées par le tuteur masculin, le mahram [مهرام]. Il y a des femmes sans tuteur, pas par leur propre volonté. Aucune exception n’est autorisée. Les chauffeurs de taxi sont tenus de signaler (ou de dénoncer) les transgressions. La police des mœurs fait le guet.
Mars 1922 : les femmes afghanes ne sont plus autorisées à prendre des vols intérieurs ou internationaux si elles ne sont pas escortées par leur tuteur masculin, le mahram.
22 mars 2022 : les écoles pour filles de plus de 6ᵉ année sont définitivement fermées.
7 mai 2022 : le ministère susmentionné publie un décret sur la tenue des femmes et les sanctions en cas de transgression. Toutes les femmes afghanes sont tenues de porter au moins le hijab, un voile qui les couvre, ou une robe longue, en veillant à ce qu’elle ne soit ni serrée contre le corps ni assez fine pour qu’on puisse la voir en dessous. Si une femme est arrêtée sans le hijab, le tuteur, le mahram, est responsable.
Trop stricte ? Pas du tout, le choix des alternatives est large : burqa, niqab, tchador, shayla, al-amira, khimar. Sur la haute couture islamo-afghane, il n’y a pas lieu de s’attarder, peut-être à une autre occasion.
Des
informations récentes sur le statut des femmes en Afghanistan
peuvent être lues dans les articles de Ruchi
Kumar, DW,
Zahra
Nader e di Kreshma
Fakhri.
Le
poème
Le poème proposé fait partie du recueil گل دودی [Gul-e-dodi] / Fleur de fumée. Les poèmes de Nadia n’ont pas de titre. Certains traducteurs italiens l’ont intitulé « Cri de douleur ». D’autres s’en tiennent à la pratique consistant à répéter le premier vers, de sorte que le titre est « Nessuna voglia di aprire bocca ».
C’est aussi dans ce poème que Nadia manifeste toute son angoisse, entre désespoir étouffé et envie de réagir. « Je ne suis pas un peuplier faible.
Aucune hésitation, seulement le désarroi de ceux qui, jusqu’à hier, avaient cru à une autre réalité. « J’ai été silencieuse pendant trop longtemps, mais je n’ai pas oublié la mélodie ».
Nadia n’a pas d’autre moyen de protestation que les mots : tranchants, secs, directs mais avec une profondeur unique, celle que seuls les êtres touchés au plus profond d’eux-mêmes sont capables d’exprimer avec une simplicité désarmante.
Il ne s’agit pas d’une invocation consolatrice, mais d’une parole prononcée « pour me rappeler qu’un jour je détruirai cette cage et m’envolerai loin de la solitude ».
C’est
la parole qui veut se matérialiser, la parole qui est devenue du
sang.
Les interprétations
La première interprétation proposée est celle de deux jeunes femmes afghanes qui, dirait-on, connaissent bien l’œuvre de Nadia. Nous ne pouvons en dire plus, leurs noms ne sont pas connus bien sûr, ni l’origine de la mélodie, elles risqueraient beaucoup plus que la peine qu’elles subissent déjà en tant que femmes afghanes. Seule la chaîne youtube a rendu cela possible est connue, " The last torch ".
Dans le second, Miriam Guidetti récite le poème en italien avec une force expressive remarquable. La musique de fond est due au compositeur anglais Christopher Gunning.
[Riccardo Gullotta].
Aucune envie de parler
Pour que chanter ?
De moi, la vie désespère :
Chanter ou se taire,
Parler de douceur,
Avec tant de rancœur ?
D’un tyran, la rage farouche
Bouche ma bouche.
Personne dans ma vie,
Pas de douceur amie.
Tout est indifférent : rire, dire,
Mourir, vivre.
Avec ma seule détresse,
Ma douleur, ma tristesse,
Je suis née pour le néant,
Ma bouche est condamnée.
Mon cœur, sens-tu le printemps ?
De la fête, voici le temps.
Que faire ? Mon aile brisée,
M’empêche de voler.
Longtemps, je me suis tue,
Je voilais ma mélodie perdue.
Je ressasse à présent
En mon cœur, les doux chants,
Secrets messages
Du jour où je briserai la cage,
Où je laisserai cette solitude,
Où je psalmodierai mon hébétude.
Je ne suis pas tremble tremblant,
Ballotté au gré du vent.
Je suis femme afghane,
Cela
seul me condamne.
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