par Riccardo Venturi (version française – Marco Valdo M.I. – 2021)
à mettre en relation avec la chanson RECHERCHE GÉNÉALOGIQUE
Bernhard Matter, l’aïeul de Mani Matter, est né à Muhen dans le canton d’Argovie le 21 février 1821. Il est devenu une figure légendaire, une sorte de Robin des Bois suisse. Né et élevé à Muhen, il s’était fait un nom dès son enfance en séchant régulièrement l’école et en commettant de petits larcins ; en 1836, à l’âge de quinze ans, il fut jugé pour la première fois pour avoir volé quatre bagues en or chez un bijoutier. En 1841, à l’âge de vingt ans, il épousa une couturière de six ans son aînée, Barbara Fischer ; c’était une femme considérée comme raisonnable et aimable, mais elle n’était nullement capable de maîtriser son jeune et téméraire mari.
Bernhard Matter s’était du reste montré très habile pour échapper aux arrestations de la police. Il s’était également fait de nombreux amis ; il ne volait que les riches, et la légende veut qu’il distribuât gratuitement le butin de ses vols. Une fois arrêté, il fut condamné aux travaux forcés : il dut « aider » à construire la caserne d’Aarau. Cependant, il ne cessa pas ses incursions nocturnes, volant toutes sortes de marchandises et les vendant aux habitants de Muhen à des prix sacrifiés. Bernhard Matter devint une sorte de « roi des évasions » : chaque fois qu’il était arrêté, il trouvait toujours le moyen de s’échapper, en comptant sur la solidarité de ses villageois qui le cachaient sans jamais révéler où il se trouvait à la police. Tous sauf un qui le trahit et le fit arrêter. Bernhard Matter était, dit-on, un jeune homme plutôt avenant qui aimait danser et avait beaucoup de succès auprès des filles. La trahison s’est faite, selon toute probabilité, pour des histoires de femmes.
Bernhard Matter rendait littéralement folles les autorités du canton d’Argovie de l’époque ; il menait ses actions soit seul, soit à la tête d’une petite bande qui s’était formée autour de lui. Une fois trahi et arrêté, il a été condamné à 16 ans de prison à passer enchaîné nuit et jour. Enfermé dans la prison de Baden, il a trouvé le moyen de briser les chaînes et de s’échapper de là aussi. Peu après, il est à nouveau arrêté et condamné à vingt ans de chaînes dans la prison de Lenzburg. C’était en 1851, et Bernhard Matter s’échappa également de cette prison. Une fois à nouveau arrêté, les autorités décidèrent de l’enfermer dans la forteresse militaire extrêmement dure et impénétrable d’Aarburg, dont personne ne avait jamais réussi à s’échapper.
Au début, Aarburg se révéla un os trop dur, même pour ce « roi des évasions ». Il fit trois tentatives de fugue ; toutes sans succès. Il se décida alors à faire la demande d’être transféré dans une colonie pénitentiaire étrangère, demande soutenue même par le Conseil fédéral ; mais la demande fut rejetée. Enfin, le 11 janvier 1853, la quatrième tentative de fuite réussit, dans ce qui est considéré comme le chef-d’œuvre de Bernhard Matter.Sa fugue dura près d’un an, mais le jour de l’an 1854, il fut découvert dans l’auberge de Teufenthal et de nouveau arrêté.
Devenu désormais un héros populaire et « l’ennemi public n° 1 » pour les autorités cantonales, Bernhard Matter fut jugé et, le 15 avril 1854, condamné à mort « avec une sentence assez originale », car non seulement il n’avait jamais tué, mais il n’avait jamais blessé ni fait de mal à personne au cours de ses actions et de ses évasions. Peu de temps avant son exécution, Bernhard Matter tenta une ultime fugue, qui se solda par un échec ; il présenta une demande de clémence au Grand Conseil d’Argovie, qui fut rejetée.
À l’aube du 24 mai 1854, Bernhard Matter est conduit à la potence à Lenzburg ; l’exécution comportait la décapitation au fil de l’épée. Plus de 2000 spectateurs s’étaient rassemblés pour y assister. La tradition suisse prévoyait alors le Standrede, c’est-à-dire un discours d’admonition édifiant à prononcer avant l’exécution ; le Standrede pour Bernhard Matter fut prononcé par un célèbre prédicateur et théologien, Emil Zschokke. Puis, l’épée du bourreau coupa la tête de Bernhard Matter.
Dix minutes après, Bernhard Matter était déjà devenu un martyr et l’ami légendaire des pauvres et des sans-droits. De nombreuses histoires, anecdotes et récits à son sujet commencèrent immédiatement à circuler ; une légende qui ne s’est jamais estompée. À tel point que lorsque, dans les années 1970 et 1980, un autre célèbre bandit et voleur suisse, Walter Stürm (1942-1999), le saint-gallois et surnommé le « roi de l’évasion », réussit à s’évader à huit reprises de prisons plus ou moins sécurisées, il fut immédiatement comparé à Bernhard Matter. Finalement emprisonné à l’isolement dans une prison de haute sécurité, Walter Stürm s’est suicidé le 13 septembre 1999 à la prison cantonale de Frauenfeld en s’étouffant avec un sac en plastique. La comparaison avec Bernhard Matter fut naturelle : comme lui, et comme Horst Fantazzini (on aime à le rappeler), c’était un « gentleman bandit » qui n’avait jamais commis d’acte de violence, et qui avait soutenu une grève de la faim de 110 jours en prison en 1987 pour protester contre l’isolement. Le jour de Pâques 1981, Walter Stürm s’était évadé de la prison de Regensdorf, laissant dans sa cellule une note sur laquelle on pouvait lire : « Je suis allé chercher des œufs de Pâques, Stürm ».
En réalité, Mani Matter n’a pas dû faire beaucoup de recherches généalogiques, car Bernhard Matter était et est toujours une figure très connue en Suisse alémanique ; un roman graphique entier en deux volumes lui a même été consacré, dessiné par Reto Gloor et Markus Kirchhofer (le deuxième volume s’intitule : Matter entzweit, ou « Matter coupé en deux »). Il existe également deux pièces de théâtre sur Bernhard Matter, toutes deux écrites par l’auteur suisse Kurt Hutterli (qui vit au Canada) : l’une en allemand littéraire, Das Matterköpf (« La tête de Matter »), primée en 1978, et l’autre en schwyzertüütsch, Gounerbluet (« Le sang du bandit »), primée en 1992.
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