DANS LA TRANCHÉE
Version française – DANS LA TRANCHÉE – Marco Valdo M.I. – 2020
Chanson allemande – Hier drüben im Graben – Leichtmatrose – 2015
LA TRANCHÉE Otto Dix – 1915 |
Dialogue Maïeutique
Je commencerai, dit Marco Valdo M.I., par une réflexion qui m’est venue en faisant la version française de cette chanson allemande (et comme il apparaîtra, ce n’est pas sans intérêt qu’il y ait une version française de cette chanson allemande), une réflexion qui m’avait amené beaucoup de perplexité, car je me demandais où diable un dénommé Jürgen, soldat allemand, pouvait pleurer dans une tranchée en 2015, date de la chanson. Et pourquoi, un groupe contemporain avait fait une chanson pareille.
Et alors, dit Lucien l’âne, si tu situais l’histoire, on pourrait mieux saisir ce que tu racontes là.
Soit, dit Marco Valdo M.I. ; en gros, c’est l’histoire d’une tranchée et celle de Jürgen. Mais il me faut revenir sur cette affaire de date, car elle explique tout. Donc, la chanson date de 2015 et en 2015, il n’y a pas de tranchées avec des soldats allemands. Mais en 1915, oui !, il y avait des tranchées, des tas de tranchées avec plein de soldats allemands et l’heure était encore à la victoire prochaine. Concluons : c’est une chanson sur une tranchée d’il y a cent ans (un peu plus à présent) et elle raconte les méditations de la tranchée ou de ceux qui s’y trouvent. Et puis, elle raconte les désarrois de Jürgen, sans doute le plus jeune ou la dernière recrue, mélancolique et triste et amoureux, un peu perdu dans la tranchée et finalement, finalement…
Oui, dit Lucien l’âne, finalement quoi ?
Finalement, reprend Marco Valdo M.I., à force de consolation manquée :
« Dans la tranchée, tout est apaisé.
Sauf Jürgen, qui pleure seul tout bas,
Regarde les étoiles et rêve de chez lui.
Tombent la nostalgie et le froid de la nuit »,
à force de converser avec la mort, avec sa propre mort :
« Viens, donne-moi la main,
Et enterre-moi au cimetière marin.
Personne ne nous pardonnera.
Ce sera toujours comme ça. »
Jürgen, rongé par un remords insondable, finit finalement – même si tout peut s’oublier et pour le monde entier, tout est oublié, sauf pour Jürgen – par mettre fin à son supplice mental insupportablement présent pour rejoindre le paradis baudelairien auquel il aspirait tant :
« Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté. »
Oui, dit Lucien l’âne, il arrive que le remords ronge le cœur d’une rage rouge et brûle, brûle l’esprit de ceux qu’il habite. Pauvre Jürgen, il a payé cher son innocence, mais avait-il eu le choix d’échapper à la tranchée ? On ne le sait pas.
Oh, dit Marco Valdo M.I., ce n’est pas là un problème individuel, ni même simple. Ils furent des millions dans les tranchées et parmi eux, combien de Jürgen ? Et puis, il y a ceux partis enthousiastes et patriotiques et qui rapidement désenchantés sombraient eux aussi dans d’immenses désarrois. À quel moment étaient-ils eux-mêmes ? Otto Dix, le peintre pacifiste, avait fait la guerre et l’avait finie capitaine. Erich Maria Remarque avait vécu la tranchée, comme Jürgen. On en parlait l’autre fois dans « Boue, bombe, bruit et brouillard ». Jürgen n’est pas Jürgen, il est l’ensemble des jeunes Allemands qu’il incarne et dont il porte à son paroxysme le remords, même cent ans après. Jürgen est une conscience allemande pour tous les temps à venir :
« Entends-tu les pleurs des enfants ?
Ce sera toujours comme ça. »
Cependant, il est une France qui croit toujours qu’elle a été grandie la victoire lors de la Grande Guerre et qui continue à la célébrer ; comment aurait-elle même l’idée d’un remords ? D’où, l’intérêt d’une version en langue française.
Oui, dit Lucien l’âne, les grands massacres font les grandes nations – quand elles sortent victorieuses de la confrontation et alors, comment peuvent-elles avoir du remords ? Comment peuvent-elles proclamer l’absurdité de la victoire ? Peut-être même que tu as raison et que par cette version française, Jürgen incarnera aussi une conscience des tranchées des deux côtés. Enfin, tissons le linceul de ce vieux monde nationaliste, orgueilleux, arrogant, blessé, malmené, médusé, mésusé et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Les autres morts, ici, presque tous sont restés.
Dans la tranchée, tout est apaisé.
Sauf Jürgen, qui pleure seul tout bas,
Regarde les étoiles et rêve de chez lui.
Tombent la nostalgie et le froid de la nuit,
Qu’ont fait de nous ces années là-bas ?
Viens, donne-moi la main,
Allons notre chemin.
Personne ne nous pardonnera.
Ce sera toujours comme ça.
Tous les rêves, tous les tourments,
Tous les morts du printemps.
Entends-tu les pleurs des enfants ?
Ce sera toujours comme ça.
Presque tout me glace,
Toi seulement me déglace.
La lettre de chez nous
Soutient mon bras gourd.
Tout ça rend fou
Et le froid de la nuit et du jour.
Qu’ont fait ces années de nous ?
Viens, donne-moi la main,
Et enterre-moi au cimetière marin.
Personne ne nous pardonnera.
Ce sera toujours comme ça.
Tous les rêves sont douleur
Et vous brisent le cœur.
Ça meurt seul un soldat,
Ce sera toujours comme ça.
Jürgen, entends-tu l’écho ?
Aujourd’hui, tu es un héros ;
Demain, à nouveau seul, tu seras.
Ce sera toujours comme ça.
Tous les rêves, tous les tourments,
Et pour toujours ce printemps,
Entends-tu les pleurs des enfants ?
Ce sera toujours comme ça.
Ce sera toujours comme ça.
Des fois, l’amour nous saisit
Avec ses rêves de la nuit.
Qu’ont fait ces années de nous ?
Le diable nous attrape
Et dans le noir, les dieux frappent.
Qu’a fait cette guerre de nous ?
Viens, donne-moi la main,
Allons notre chemin.
Personne ne nous pardonnera.
Ce sera toujours comme ça.
Tous les rêves, tous les tourments,
Tous les morts du printemps sont là.
Entends-tu les pleurs des enfants ?
Ce sera toujours comme ça.
Brille, brille, brille mon étoile,
Brille, brille, brille mon étoile,
Brille, brille, brille et ramène-moi à la maison.
Brille, brille, brille mon étoile
Brille, brille, brille mon étoile,
Brille, brille, brille et ramène-moi à la maison.
Les autres sont morts !
Ici, dans la tranchée, tout vit encore.
Brille, brille, brille mon étoile,
Ici, dans la tranchée.
Brille, brille, brille mon étoile,
Ici, dans la tranchée.
Brille, brille, brille et ramène-moi au foyer.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Maintenant, presque tout est oublié —
Sans aucune raison,
Il a pris son arme et pointé
Sur sa tempe, le canon.
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