NOS FEMMES
Version
française – NOS FEMMES – Marco Valdo M.I.
– 2020
d’après
la traduction italienne de Riccardo Gullotta
d’une
chanson turque
–
Kadınlarımız
– Şanar
Yurdatapan
– 2016
Poème : Nâzım Hikmet
Musique : Şanar Yurdatapan
Interprétée par : Melike Demirağ
Album : 79 Yılında
Poème : Nâzım Hikmet
Musique : Şanar Yurdatapan
Interprétée par : Melike Demirağ
Album : 79 Yılında
FEMME D'ANATOLIE Ali Demir 1974 |
ŞANAR
YURDATAPAN
Şanar
Yurdatapan est un auteur compositeur et porte-parole de l’Initiative
pour la Liberté d’Expression en Turquie – un organisme sans
but lucratif, sans comité exécutif et sans aucune structure
juridique qui se définit lui-même comme étant un « un
mouvement de désobéissance civile qui enfreint les règles
anti-démocratiques ».
Né
à Susurluk en 1941, Yurdatapan est devenu actif en politique dans
les années 1960, quand il
rejoint le
Parti travailliste turc. Dans les années 1970, il est devenu célèbre
pour ses compositions de musique pop. En 1980, Yurdatapan et son
(ex)-femme Melike Demirağ étaient
contraints à l’exil pour
plus de 11 ans. En 1982, il enregistre
« Songs
of Freedom from Turkey : Behind Prison Bars »
(New
York : Folkways Records, [1982] ℗1982)
– Chansons
de la Turquie pour la liberté :
derrière les barreaux de la prison » contenant
les chansons : Elleriniz
= Your hands – Tes
Mains ;
Kadinlarimiz = Our women – Nos
Femmes ; Bu
memleket bizim = This land is ours – Ce
pays est à nous ;
Pervane ile isik = The moth and the light – La
mouche et la lampe
-- Saz -- Hasret = Longing – Désir ;
Kurban
= Beloved – Aimé ;
Ninni = Lullaby – Berceuse ;--
Savas türküsü = War song – Chanson
de guerre ;
Elele = Hand in hand – Main
dans la main.
En
1995, le célèbre romancier Yaşar Kemal fut
inculpé pour
un article paru dans le journal Der
Spiegel
sur l’oppression de la population kurde en Turquie. Cette situation
poussa
Yurdatapan et d’autres militants à
monter une forme unique de désobéissance civile. Plus de 1000
intellectuels, dont Kemal, ont apposé leurs noms en tant qu’éditeurs
d’un livre contenant des textes interdits. Ils ont informé de leur
« crime »
le procureur général de l’État.
Un
dossier collectif a été ouvert contre
185 d’entre eux.
En
2003, Yurdatapan, qui s’identifie comme athée, et Abdurrahman
Dilipak, un
théologien
de l’Islam, ont publié ensemble « Opposites:
Side by Side »
(Des opposés : côte à côte). Divisé en deux parties, ce
livre
donne aux deux auteurs l’opportunité de discuter de sujets
controversés comme le genre, la foi, les droits humains et le
fondamentalisme.
L’approche
novatrice de Yurdatapan pour
la défense de la liberté d’expression ne s’arrête pas là. En
2014, lui et ses collègues ont fondé le
Musée des crimes de la pensée, un projet
de campagne numérique qui documente les violations de la libre
expression en Turquie. L’espace numérique permet aux visiteurs de
naviguer dans les couloirs comme un touriste dans un musée réel.
Ils peuvent voir le bureau du Procureur général de l’État,
marcher à l’intérieur d’une représentation réaliste d’une
salle d’audience de la Turquie et en apprendre davantage sur la
façon dont la loi turque a été conçue en vue d’étouffer la
liberté de la presse.
En
2017, Yurdatapan
a
été condamné avec sursis à 15 mois pour avoir été « éditeur
d’un
jour »
du quotidien kurde Özgür
Gündem.
En avril 2018, les accusations de « propagande
terroriste »
portées
contre lui ont été abandonnées.
Depuis
fin de 2019, Yurdatapan présente “What’s
Goin’ On?”,
une émission vidéo mensuelle pour le compte d’Initiative for
Freedom of Expression – Turquie, dans laquelle des journalistes et
des militants discutent de l’évolution récente de la situation
des droits humains en Turquie.
NAZIM
HIKMET
Nazim
Hikmet
est connu pour ses poèmes d’amour, mais il a écrit des
chefs-d’œuvre épiques traduits tardivement, originaux dans leur
forme et leur contenu. Son
Épopée de
la Guerre d’Indépendance (Kurtuluş
Savaşı Destanı)
a été publiée en
1965. Suivie
de Paysages humains de mon pays natal (Memleketimden
İnsan Manzaraları),
l’histoire de la société turque entre 1920-1940. À cause de
l’interdiction qui frappait l’auteur, elle fut publiée après sa
mort en 1968. L’ouvrage
se développe en 5 livres. Le
premier livre décrit les histoires de vie de gens ordinaires dans le
train d’Istanbul à Ankara. Le second décrit les passagers d’un
train de
luxe
sur le même trajet : ce sont des bourgeois, des commerçants, des
politiciens, des fonctionnaires. Dans le
troisième, les gens
sont dans des
chambres à
l’hôpital et à
la
prison. Dans le quatrième, il décrit les militants en
exil
en Union soviétique et en France. Dans le cinquième, il décrit la
guerre et le climat répressif de la société turque.
LA
CHANSON : KADINLARIMIZ
« Kadınlarımız
/ L’Histoire
de nos femmes » est
un hymne aux femmes passé sous silence, à l’exception des érudits
de la littérature turque du XXe siècle. Il
le serait resté s’il
n’avait pas été transposé en musique par cette figure singulière
de musicien, intellectuel et activiste de Şanar Yurdatapan qui,
malgré son âge et son passé, a
continué à
perturber le régime autocratique turc.
L’introduction
qui ne fait pas partie de la chanson permet de mieux situer la
chanson. Il s’agit d’un bref dialogue entre le serveur Mustafa,
le maître et le chef de la voiture-restaurant de l’Anatolia
Express. Mustafa est chargé de lire les exploits de la guerre
d’indépendance turque.
On
voit, on accompagne, on salue avec inquiétude ce cortège de pauvres
paysannes sur des
chars à bœufs
avec des enfants
qui dorment au clair de lune. Elles
marchent par une chaude nuit d’août. Elles
portent des
vivres et des munitions
aux soldats turcs, épuisés par des années de guerre, de la 1ère
guerre mondiale contre les Anglais et à la
suite, contre les Alliés, pas
rassasiés d’avoir
pris possession des territoires ottomans du
Moyen-Orient. Hikmet en quelques lignes inoubliables retrace le
visage et la vie de ce peuple de femmes qui ont renoncé à tout sauf
à leur dignité,
même au prix de leur vie.
Il
était 12h10 dans le wagon-restaurant de l’Anatolia Express.
Trois
personnes étaient restées dans
la voiture :
Le
serveur Mustafa, le maître d’hôtel et le chef Mahmut Asher.
Ils s’assirent à la première table,
Ils s’assirent à la première table,
Où
le dignitaire s’était assis une heure avant.
Les
nappes blanches avaient disparu
Et
les lampes rouges
avaient été éteintes ;
Maintenant,
seuls restaient de vieux abat-jour.
Ça
sentait le bar
abandonné.
Et
le serveur Mustafa
Lut
son épopée :
« AOÛT
1922 »
Et
« L’HISTOIRE
DE NOS FEMMES »
Et
« LES
ORDRES DU 6 AOÛT … »
A
demandé le chef Mahmut Asher :
« Est-ce
là que nous avons arrêté ? »
« Oui.
Nous avons lu en dernier l’histoire de Mustafa Suphi et de ses compagnons,
Nous avons lu en dernier l’histoire de Mustafa Suphi et de ses compagnons,
Et
cette section est la suivante ».
« Très
bien, alors, lis. »
« Je
suis en train de lire :
L’HISTOIRE
DE NOS FEMMES
Les
chars à bœufs roulaient sous la lune.
Les
chars à bœufs roulaient d’Akşehir à Afyon.
La
plaine était si vaste
Et
les montagnes si loin dans l’espace,
Qu’il
semblait qu’ils n’atteindraient jamais
Leur
destination.
Les
chars à bœufs avançaient sur des roues en chêne massif,
Les
premières roues qui ont jamais tourné
Sous
la lune.
Les
bœufs appartenaient à un monde
En
miniature,
Enfantin
et nain
Sous
la lune,
Et
la lumière jouait sur leurs cornes abîmées et maladives
Et
la terre coulait
Sous
leurs pieds,
Terre
Et
encore terre.
La
nuit était lumineuse et chaude,
Et
dans leurs lits de bois sur des chars à bœufs
Les
obus bleu foncé
gisent nus.
Et
les femmes
Cachaient
leurs regards à l’une l’autre
Tandis
qu’elles regardaient les bœufs morts
Et
les ornières des
convois passés…
Et
les femmes,
Nos
femmes
Avec
leurs merveilleuses mains bénies,
Leurs
petits esprits pointus et leurs grands yeux,
Nos
mères, nos amoureuses, nos épouses,
Qui
meurent sans avoir jamais vécu,
Qui
mangent à nos tables
Après
les bœufs,
Que
nous raptons et emmenons dans les collines
Et
nous allons en prison pour cela,
Qui
récoltent des céréales, coupent le tabac, coupent le bois et
troquent sur les
marchés,
Que
nous exploitons pour nos charrues,
Qui,
avec leurs cloches et leurs pesants flancs ondulés
Se
soumettent à nous dans les bergeries
Au
scintillement des couteaux plantés dans le sol.
Les
femmes,
Nos
femmes,
Cheminaient
à présent sous la lune
derrière
les chars à bœufs et les munitions
Avec
la même facilité
Et
l’habituelle fatigue des femmes
Traînant
des gerbes aux oreilles ambrées jusqu’à l’aire.
Et
leurs enfants au cou émacié
Dormaient
sur l’acier des obus de 155
Et
les chars à bœufs avançaient sous la lune…
D’Akşehir
vers Afyon.
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