lundi 30 mars 2020

La Compote d’hommes

La Compote d’Hommes

Chanson française – La Compote d’Hommes – Marco Valdo M.I. – 2020

ARLEQUIN AMOUREUX – 49

Opéra-récit historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola « Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez Flammarion à Paris en 1979.






Dialogue Maïeutique


Je sais, je sais, évidemment que je sais, mon ami Lucien l’âne, que tu vas trouver ce titre bizarre et que tu vas faire mine de te torturer les méninges pour me faire marcher ; mais ça ne marche pas et je te laisserai sur ta faim. Pas longtemps naturellement, puisque l’explication de cette « compote d’hommes » se trouve au début de la chanson. Disons quand même que c’est une façon imagée, ce qui peut se dire aussi poétique, métaphorique, de décrire le magma de sangs, d’os, de poils et de chairs qui couvre le champ de bataille. J’aurais en bonne justice l’appeler « compote d’hommes et de chevaux ». Mais enfin, comme pour le pâté d’alouette (recette : une alouette, un cheval), on ne compte pas le cheval.

En somme, dit Lucien l’âne, il s’agit en quelque sorte d’une compote de pommes couleur tomate. J’imagine fort bien ça, car j’ai déjà vu bien des batailles dans ma vie du fait notamment qu’on m’a souvent réquisitionné – contre mon gré et mis à la corvée militaire jusqu’à ce que – évidemment – moi aussi, je foute le camp. Je sais aussi et pour la même raison que dans les grandes batailles, il y a deux mouvements concomitants celui de ceux (dans chacun des camps) qui ont envie de se battre – ils vont vers l’avant et celui de ceux qui n’ont pas (du tout) envie de se battre – ils vont partout où les mène le vent.

Oui, reprend Marco Valdo M.I., c’est d’ailleurs noté dans la chanson :

« Le soldat meurt-il par-devant ou par-derrière ?
Telle est la question du prince militaire. »

Il y a un par-devant et par-derrière et on peut l’envisager dans l’autre sens : Par derrière et par devant, comme le chantait Marie Josée Neuville (1956). Mais dans le cas de cette chanson, le sens est un peu décalé, car il s’agit de savoir si le soldat sera tué « par-devant » d’un tir de l’adversaire ou « par-derrière » d’une balle disciplinaire. Et il fallait bien attribuer la question à un prince, car – comme toujours dans la Guerre de Cent Mille Ans – le soldat n’a pas le loisir de se poser pareil dilemme hamletien.

Drôles de manières quand même, Marco Valdo M.I., que de tuer les soldats de sa propre armée ; mais là aussi, la chose s’est faite et plus souvent qu’on pourrait le penser. De toute façon, ces échauffourées sont horriblement confuses.

Tu ne pourrais mieux dire ? Lucien l’âne mon ami, car comme à Marengo, les armées de la Cacanie et leurs alliés vont tenir la victoire « Victoria ! » et entonner :

« Victoria, c’est toi, l’amante la plus belle
Écoutez-la ma ritournelle. »

Oh, dit Lucien l’âne, une parodie à la manière et anticipant textuellement – avec plus d’un siècle d’avance – Boby Lapointe et son « Andréa, c’est toi » (1975). Et puis, ensuite ?

Ensuite, reprend Marco Valdo M.I, voici que reparaît ce bon vieux Koutouzov, le même dont je parlais dans « Le Sommeil de Koutouzov », sur ce même champ de bataille, mais un peu après quand il s’est réveillé, s’est fait porter sur son cheval…

Comment ça, il s’est fait porter sur son cheval ?, s’étonne Lucien l’âne.

Oui, porter sur son cheval, littéralement, dit Marco Valdo M.I., car Koutouzov n’était plus très jeune et en plus, il était fort gros de sorte qu’il ne pouvait monter sur son cheval tout seul et qu’il fallait l’y hisser. Donc, porté sur son cheval, tel un Lucky Luke, il s’éloigne solitaire au pas de son cheval.

Bonne idée, dit Lucien l’âne, j’ai toujours rêvé de ça dans ces moments-là : tourner le dos et m’en aller tranquille de mon pas d’âne. À propos justement, que fait notre Arlequin, alias Matthias, alias Matěj, et je ne sais plus trop quoi d’autre ?

Ben, répond Marco Valdo M.I., lui aussi, il prend la tangente et se carapate en faisant vite en se cachant, ni par-devant, ni par-derrière, mais par une trouée latérale et dès qu’il le peut, il se débarrasse de ses armes, de l’uniforme et tout ça, puis, il se réfugie sous une meule et s’endort. Ce qui met fin à l’épisode.

Une heureuse fin, dit Lucien l’âne. Alors tissons le linceul de ce vieux monde chaotique, suant, saignant, sanguinolent, soufflant, suppliant, surfant et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Sous les lambris, Metternich rêve la paix.
Le soldat meurt-il par-devant ou par-derrière ?
Telle est la question du prince militaire.
Sous le soleil exactement, ils attaquaient.

Un soleil immense, écarlate
De sa griffe d’or montre comme
L’abject ouvrage, couleur tomate,
Fait la gluante compote d’hommes.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Victoire en vue ! Le général-major de Cacanie
Salue, triomphant, le tsar de Russie.
Victoria, c’est toi, l’amante la plus belle
Écoutez-la ma ritournelle.

La débâcle est sûre, le désastre est certain.
Sur son cheval monté, Koutouzov s’en reva déjà
À l’envers des combats, vers la retraite au pas.
Austerlitz s’achève en eau de boudin.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Par rangs entiers dégringolent les soldats.
Expert, le fantassin Matej ne reste pas ;
Il noie sa pétoire, jette son barda
Et conclut : « Finissez sans moi !

Je me tire ailleurs, chère Cacanie ;
Bien le bonsoir, très chère Patrie. »
Enfin assez loin, il ralentit.
Sous une meule, il s’enfouit.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

samedi 28 mars 2020

ODE À CORONA



ODE À CORONA


Version française – ODE À CORONA – Marco Valdo M. I. – 2020
Chanson italienneLo avrai, camerata CoronavirusAnonimo Toscano del XXI secolo27-03-2020







Il s’agit d’une adaptation de la célèbre épigramme de Piero Calamandrei. Peut-être a-t-elle été aussi écrite avec mes pas sur la petite place qui lui est dédiée au centre de Florence. Elle est plus longue que l’originale, et peut-être aurait-elle dû être encore plus longue. Il y a beaucoup plus de pierres pour ériger le monument au camarade Corona que celles énumérées ici. [AT-XXI]


Dialogue Maïeutique

« Est-il en notre temps
Rien de plus odieux,
De plus désespérant
Que de ne pas croire en Dieu ? »,

se demandait Tonton Georges « le mécréant », dit Marco Valdo M.I.
En effet, dit Lucien l’âne en rigolant. Dieu est très utile, on voit très bien ça en ce moment où les prières et les patients montent au ciel et où rien ne redescend.

Toi aussi, tu es un mécréant, mon ami Lucien l’âne. Donc, comme j’ai dit, Georges Brassens était un mécréant, car même mort, même dans la fosse commune du temps, comme il chantait dans Le Testament, il continue à seriner aux oreilles des vivants et des ânes, qui les ont longues. Et si j’ai évoqué cette question de la croyance, c’est qu’il y a à présent une réponse.

Laquelle ?, demande Lucien l’âne un peu interloqué.

C’est qu’il ne faut pas croire, répond Marco Valdo M.I., il faut penser. Je veux dire qu’il ne faut pas croire en Corona, ni en sa dangerosité, ni à sa perversion. Corona, contrairement à Dieu, n’est pas un ectoplasme, c’est un être réel, un peu spécial, mais réel et ce qu’il fait ou défait ou détruit est tout aussi réel et constatable, ô combien et au travers de tout cela, on peut constater la réalité de son existence et les effets de ses actions et de ses actes sur la vie humaine. Corona, le Camarade Corona, comme l’appelle ma version française, de cette chanson de l’Athée du XXIe Siècle, intitulée « Lo avrai, camerata Coronavirus », qui est elle-même une parodie de la lapidaire de Piero Calamandrei : « Lo avrai camerata Kesselring », dont j’avais fait il y a presque 15 ans, la version française sous le titre d’« ODE À KESSELRING ». C’est d’ailleurs pourquoi celle-ci s’intitule « ODE À CORONA ».

Hou là, Marco Valdo M.I. mon ami, nous voilà ramenés près de 15 ans en arrière et le titre est même élucidé avant que je le demande. Alors, ce qui m’intéresse à présent, c’est ce que dit la chanson.

D’abord, tu l’auras sans doute compris, Lucien l’âne mon ami, ce Camarade Corona n’est autre que le virus qui occupe à présent à peu près toutes les conversations et qui fait l’objet de bien des hantises, des fantasmes et des obsessions. Je précise tout de suite que ce n’est pas sans raison au vu des dégâts qu’il commet à son propre insu, car, vois-tu, la chose est paradoxale, il répand la mort sans intention de la donner ; il est responsable, mais pas coupable, dirait un juriste. En fait, face aux effets de son passage, qu’ils soient bons, mauvais, désastreux, terriblement létaux, le Camarade Corona est comme le chameau : il s’en fout. D’ailleurs, que pourrait-il faire d’autre ? Il y a là comme une erreur à vouloir le personnifier, ça obligerait à lui donner une intention, un but, une téléologie ; on sombrerait dans l’absurdité ; mais il s’agit d’une chanson et comme nombre de chansons, elle est prétexte à dire autre chose. Qui plus est, c’est une parodie. Je te laisse donc découvrir ce que raconte cette ode.

Soit, dit Lucien l’âne, elle doit avoir sa raison d’être, sa logique particulière et je vais m’empresser de voir de quoi il s’agit. Maintenant, tissons le linceul de ce vieux monde vérolé, infecté, infesté, contagieux et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Tu l’auras,
Camarade Corona,
Le monument que tu exiges de nous Italiens,
Et que tu exiges de tous les peuples du monde,
Tu l’auras, tu le sais bien,
Mais avec quelle pierre on le construira,
Cest à nous de le décider.

Pas avec la pierre financière
Qui se sert de toi pour cette hécatombe ;
Pas avec la pierre de la douleur
Des villes et des villages déserts ;
Pas avec la pierre des médecins et des travailleurs,
Condamnés à mort pour un profit sans limites ;
Pas avec la pierre de la solitude,
De l’isolement et du désespoir
Que chacun pour soi, nous vivons
En ce printemps noir,
Infecté de suspicion, de rétention,
Et de mort
Sans pouvoir fuir encore.
Pas avec la pierre inhumaine
Du calcul économique ;
Pas avec la gêne
Des comptes domestiques ;
Pas avec la pierre palliative, ce décor
Fondé sur des dieux plus morts que la Mort ;
Pas avec la pierre des prières,
Pas avec la pierre des processions ;
Pas avec les drones et les armes
De la répression
Qui nous frappe tous ;
Pas avec nos larmes
À nous tous.

Ton monument ! Tu l’auras,
Camarade Corona
Et ce monument sera
Fait avec la pierre de notre silence
D’une immense puissance,
Un silence qui hurle,
Fait de l’union et la dignité
De femmes et d’hommes libres
Qui ont débusqué la haine
Et décidé d’éliminer
La honte et la terreur du monde.

Tu l’auras
Camarade Corona
Ton monument,
Fait de la pierre des migrants,
Des prisonniers, des vieux seuls et sans foyer.
Tu l’auras
Camarade Corona,
Ce monument fait de la pierre
Taillée dans les budgets resserrés
Des malades et des soins de santé,
Tu l’auras fait de la pierre des dépenses militaires
Tu l’auras fait de la pierre dure du constat
Qu’en ce monde, il n’y a
Ni Italiens ni étrangers,
Que seule existe une humanité,
Gens écrasés et exterminés
Au nom du sacro-saint Marché.
Toi, camarade Corona,
Dont la rumeur dit comme ça
Que tu es né dans un marché.

Tu l’auras fait de la pierre
Du saccage naturel en cours ;
Tu l’auras fait de la pierre
Du pouvoir qui, plus que toujours,
Maintenant encore,
Aveugle et obéissant instrument de mort,
Est un virus bien plus mortel que toi
Et les SS d’autrefois.

Si tu voulais un jour revenir sur ces routes,
Tu nous trouverais à nos postes,
Morts et vivants avec le même engagement,
Pas un peuple, mais de simples gens,
Toute une humanité autour
De ce monument qui s’appelle
Aujourd’hui et pour toujours :
RÉSISTANCE !

vendredi 27 mars 2020

MES YEUX VOILÉS


MES YEUX VOILÉS


Version française – MES YEUX VOILÉS – Marco Valdo M.I. – 2020

d’après les versions italienne et anglaise des Chansons contre la Guerre
d’une chanson grecque – Τα βουρκωμένα μάτια μου (Ta Vourkoména Mátia Mou)Eleni Karaindrou / Ελένη Καραΐνδρου – 1986
Film : Ο Μελισσοκόμος / L’Apiculteur - Θόδωρος Αγγελόπουλος [ Theodōros Angelopoulos ]
Paroles
 : Λευτέρης Παπαδόπουλος [ Lefteris Papadopoulos]
Musique
 : Eleni Karaindrou / Ελένη Καραΐνδρου
Interpr
ète : Yorgos Dalaras / Γιώργος Νταλάρας









Dialogue Maïeutique


Ce soir, il fait déjà bien sombre, Lucien l’âne mon ami, et je manque d’inspiration et vois-tu, je me demande pourquoi.


Oh, dit Lucien l’âne, peut-être est-ce le soleil ou peut-être est-ce ce vent glacial ou peut-être, cet après-midi, ce ciel si calme, cette toile bleue sans aucun nuage, sans aucune trace d’aéronef.


Soit, reprend Marco Valdo M.I., peut-être as-tu raison. Peut-être est-ce mes yeux fatigués ? Ou le coucher du soleil qui assombrit la fin du jour ?


Peut-être, dit Lucien l’âne, est-ce le hibou qui ulule ou la chouette qui vient de déployer ses ailes ? Peut-être est-ce la chauve-souris, petite pipistrelle, qui tournoie au-dessus du lilas et du houx du jardin ? Peut-être est-ce le chat noir qui chasse les oiseaux ?


Ou, Lucien l’âne mon ami, peut-être est-ce Jésus qui tarde à rentrer ? Peut-être est-ce l’ambiance délétère de ces temps infects ? Peut-être est-ce mon humeur de ce soir mélancolique ? Peut-être est-ce la fatigue d’une longue promenade, simplement ? Peut-être est-ce le sommeil qui voile mes yeux ? Peut-être est-ce mon oreille distraite qui écoute le vent ? Peut-être est-ce la perruche criarde qui s’en va à tire d’aile ? Oh, Lucien l’âne mon ami, peut-être est-ce que sais-je, que sais-je, que sais-je encore ? Rien ou si peu, naturellement. Rien ou si peu, peut-être est-ce là la définition même de la vie ?


Va-t’en savoir, Marco Valdo M.I. mon ami. Mais, en vérité, on ne peut continuer ainsi plus longuement, car il nous faut tisser le linceul de ce vieux monde déliquescent, soufflant, ahanant, pestant et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane









C’est peut-être la fumée,
C’est peut-être le vent,
Qui a mes yeux voilés,
Qui a fait ce gel ambiant.



Peut-être est-ce la fumée,
Qui assombrit la journée,
Et non toi, ma toute belle,
Qui as déplié tes ailes.



Peut-être est-ce la fumée,
Peut-être est-ce le vent,
Peut-être cette soirée,
Qui s’en va mélancoliquement ?



Cela dépend du feu ; peut-être,
De la neige ; peut-être,
Des bois dévastés,
Et des oiseaux chassés.



Peut-être est-ce l'incendie
Qui encercle ma vie,
Et non toi, ma toute belle,
Partie à tire d’ailes.



Peut-être est-ce la fumée,
Peut-être est-ce le vent,
Peut-être cette soirée,
Qui s’en va mélancoliquement ?

jeudi 26 mars 2020

La Mort du Cabot

 
La Mort du Cabot

 
Chanson française – La Mort du Cabot – Marco Valdo M.I. – 2020

ARLEQUIN AMOUREUX – 48

Opéra-récit historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola « Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez Flammarion à Paris en 1979.





Dialogue Maïeutique

À force, mon ami Lucien l’âne, de suivre ses aventures, on s’aperçoit que la vie du déserteur n’est pas de tout repos. Comme le suggérait le précédent épisode, c’est véritablement une odyssée, même si parfois l’affaire vire à l’Iliade.

Tu dis bien, Marco Valdo M.I. mon ami, c’est une odyssée : Matthias, Mateus, alias Arlequin, s’était, au soir de la bataille, du champ couvert de morts, éclipsé du monde des guerriers pour tenter de rentrer chez lui par le plus court chemin. C’était à Marengo, c’était en 1800. Il ne prévit pas tout ce qui viendrait contrarier sa louable intention et le retarder de tant d’années. Il se voyait rentrer en son Ithaque bohémienne, salué par le vieux chien de la ferme parentale. La vie lui a démontré qu’elle est plus complexe qu’il l’imaginait.

Et elle le reste, Lucien l’âne mon ami, et pense seulement à ses braves sportifs qui allaient tout droit à leurs exploits et qui en sont présentement privés ; c’est-y pas malheureux, ça ?

Oh, dit Lucien l’âne, s’il n’y avait que ces gens-là dont le destin héroïque est contrarié, mais il y a tous les autres pékins qui ont leur vie habituelle carrément bouleversée : ce qui devait se faire, ne se fait pas ; ce qui était prévu comme la Guerre de Troie, celle de Giraudoux, n’aura pas lieu. Tous baignent dans l’incertitude – du moins, ceux qui survivent. Enfin, ce qui est quand même rassurant, c’est que ces derniers sont énormément plus nombreux ; mais on s’égare, revenons à la guerre et à notre troupe de déserteurs de Bohême.

De Bohême, reprend Marco Valdo M.I., justement, de Bohême, le pays de Chveik et celui de Smiřicky, celui de l’Escadron blindé et du miracle en Bohême. La Bohême est un grand pays de légendes paramilitaires ; les Tchèques pratiquent une certaine distanciation par rapport aux armées. Il me paraît d’ailleurs certain que notre Arlequin est un lointain ancêtre du soldat Chveik, lui aussi déserteur émérite, ainsi qu’il est conté dans La chanson de Chveik le soldat.

« J’ai jeté mon beau fusil,
J’ai jeté tous mes habits,
J’ai quitté la Cacanie
Et je recommence ma vie.

Surtout, ne me reconnaissez pas,
J’étais Chveik le soldat ;
Et surtout, oubliez-moi,
J’étais Chveik le soldat. 
»

Marco Valdo M.I. mon ami, j’adore ces aperçus que tu nous offres sur les héros militaires tchèques, mais ça ne me dit pas ce qu’il y a dans la chanson.

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, tu te trompes vivement, car c’est précisément un épisode digne de ces héros historiques de la Bohême qu’elle raconte. La bande des conscrits pacifistes qui entoure Matěj arrive à se planquer dans une grange et à vivre un certain temps en troquant les neuf chevaux de l’escorte contre de la nourriture et du vin. Quand elle a épuisé ses munitions, elle reprend la route et se fait reprendre et incorporer à nouveau dans un autre régiment – on les rhabille d’un autre uniforme et on les arme. Manque de chance pour nos braves, c’est la veille d’une bataille. Au matin, enfin armés, on les envoie de force à l’attaque. Matthias liquide le caporal qui le suit comme une ombre et le pousse vers l’ennemi.

Ainsi le cabotin a eu raison du cabot, dit Lucien l’âne en riant.

Oui, complète Marco Valdo M.I., le déserteur renaît sur ce champ de bataille, célèbre par son soleil.
Ah, dit Lucien l’âne en souriant, ne serait-ce pas le soleil d’Austerlitz qui éclairera la bataille qui commence ?

Oui, Lucien l’âne mon ami, c’est bien à Austerlitz que notre Arlequin amoureux joue la répétition de Marengo. Comme on n’en est qu’au prologue, il te faudra patienter pour la suite.

Attendons alors, dit Lucien l’âne, et tissons le linceul de ce vieux monde routinier, répétitif, guerroyant, drôle et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Même quand il n’a plus de régiment,
Pour vivre, le soldat le plus simple doit manger.
La bande des conscrits s’attelle consciencieusement
À ne pas mourir, à fuir, à louvoyer, à marauder, à piller.

L’adjudant-chef est parti, très tôt
Du mauvais côté, se faire fusiller par l’ennemi.
Alors, l’unité échange les neuf chevaux
Contre du cochon et du vin de pays.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

La troupe vit dans sa grange,
Se nourrit du troc équin,
Un régime de lard et pain,
Une vie digne des anges.

Fin du cheval, du lard, du pain.
Repris, équipés de neuf, armés.
Direction le champ où va se jouer
Au soleil du lendemain, le destin.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Le son du canon les tire du sommeil,
La douce matinée s’étire vers le soleil.
Matthias s’éclipse, il est ramené au camp.
Le caporal l’empoigne : Vorwärts ! En avant !

L’animal suspicieux ne lâche pas sa trace,
Matthias a dans le dos cette bête de race.
Matěj, la pétoire à la main, fait face
Et d’un coup, du vilain cabot se débarrasse.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.