Le
Sujet
Chanson
française – Le Sujet – Marco Valdo M.I. – 2020
Dialogue
Maïeutique
L’autre
soir, Lucien l’âne mon ami, je suis allé – on m’avait invité
– au café-citoyen. Ce n’était pas le Procope de la grande
époque, mais il s’en inspirait un peu.
Marco Valdo M.I. mon ami, souviens-toi, j’y
étais avec toi comme c’est souvent le cas. Et donc, un café-citoyen, pour ce que j’en ai vu, est
un endroit où on cause, mais de façon, en quelque sorte,
citoyenne. Et ça change tout.
Ah
bon !, s’exclame Marco Valdo M.I., ça change tout ?
Oui,
ça change tout, répond Lucien l’âne, car c’est une
conversation de café, mais organisée, lâchement disciplinée et
sérieuse ; on y cause de sujets graves et même, gravement :
de sujets citoyens. Cela dit, comme j’ai pu le constater, les gens
ne s’interpellent pas du nom de citoyen Machin, citoyenne Machine.
Il n’y était heureusement pas plus question d’une autre
appellation du genre : frère Truc, Sœur Bidule, ou autre ;
on s’en tenait sagement au prénom.
Je
vois, j’entends, je pressens, Lucien l’âne mon ami, que tu as
suivi cette expérience d’un œil d’âne entomologiste. Mais
n’importe ; de mon côté, j’en ai fait une chanson dont je
te livre la primeur. Une chanson à la Mani Matter, ce Suisse
au-dessus de tout soupçon vu qu’il est l’auteur de « Si
hei dr Wilhälm Täll ufgfüert », écrite
et chantée par lui en Schwyzertüütsch
– en
Alémanique
– et
même plus exactement, en Bärndüdsch
– en
bernois,
chanson dont
j’avais fait deux versions françaises sous le titre « On a
joué Guillaume Tell ».
Oh,
je me souviens, dit Lucien l’âne, de cette chanson et elle me
rappelle toujours, irrésistiblement Il
figlio
di Guglielmo Tell, chanson en comasque – la
langue du pays de Côme, en français : « Le
fils de Guillaume Tell », de l’aussi talentueux Davide Van De
Sfroos, que tu as eu le
mérite d’amener en français. Mais, je t’en prie, ne nous
égarons pas dans les montagnes.
En
effet, dit Marco
Valdo
M.I., nous étions au café-citoyen et après en rentrant chez moi –
comme le chante Mani Matter, encore lui et toujours en Bärndüdsch
– en
bernois, dans Dynamit,
j’y ai repensé à cette soirée.
«
Einisch
ir Nacht won i spät no bi gloffe
D'Bundesterrasse z'düruf gäge hei
D'Bundesterrasse z'düruf gäge hei
...
Une
nuit, je rentre tard chez moi,
Je traverse la Terrasse Fédérale... »
Je traverse la Terrasse Fédérale... »
Et
pour m’éclaircir les idées, j’ai mis quelques mots sur le
papier (si tu veux, je te le montrerai) et j’en ai fait ceci. Je
sais, je sais, ce sont des petits mots, mais ce sont les miens et
très exceptionnellement,
ils parlent de moi et plus exactement, de
n’importe quel moi pris, comme l'est mon moi, dans les tourments de la
Guerre de Cent Mille Ans, ballotté dans les vagues folles de cet
océan. Un moi qui essaye de ne pas connaître le sort du petit
bateau de pêche que chantait Georges Brassens, un petit bateau dont
je t’avais déjà parlé quand on dialoguait d’El
barco de papel,
que
j’ai traduis par "Le Bateau de Papier". Bref, j’étais tout
retourné d’avoir pour un soir expérimenté l’être du citoyen.
Et
alors ?, dit Lucien l’âne.
Et
alors, Lucien l’âne mon ami, cette expérience m’a servi de
leçon ; j’ai compris
que je ne suis
pas du tout citoyen, que les caucus m’effrayent et que la vie en
bande me désole et m’ennuie. Je te l’avoue, je suis cavernicole,
je me sens ermite et j’éprouve un fort penchant pour les cénobites
tranquilles. Maintenant, deux
mots de la chanson elle-même. Son secret de construction qui
tient au fait inéluctable que « Je est le sujet », même
si on a prétendu que « Je est un autre » – ce qui ne
l’empêche d’ailleurs pas d’être sujet, mais là c’est une
autre affaire. À partir de cette simple affirmation : « Je
suis sujet », a commencé la chanson. Comprends bien, Lucien
l’âne mon ami, que le sujet est celui qui vit, qui fait, qui agit,
qui est le fondement de sa vie. C’est la chanson de chacun, révélé
à lui-même, car au début comme à la fin, la vie est par le sujet.
Sans lui, elle n’existe pas. C’est donc à lui, au sujet de ne
jamais se soumettre, car
pour lui, se soumettre, ce serait cesser d’exister.
D’aucuns ajoutent,
mais ils parlent de la
seule pensée, qu’il
convient de ne se soumettre ni
à un dogme, ni à un parti, ni à une passion, ni à un intérêt,
ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n’est
aux faits eux-mêmes, parce que, pour elle (la
pensée), se soumettre,
ce serait cesser d’être, reprenant à vrai dire une phrase d’Henri
Poincaré. Donc, il convient de ne jamais se soumettre sous peine de passer de
sujet-acteur du verbe à sujet de quelqu’un, sujet de quelque chose
et de perdre sa liberté et son unicité, ce petit rien qui fait la
vie.
Oh,
dit Lucien l’âne, arrête tout de suite, tu philosophes et ce
n’est pas le lieu, ni le temps.
Comme
toujours !, dit Marco Valdo M.I.
Alors,
conclut Lucien l’âne,
tissons le linceul de ce
vieux monde citoyen, démocratique, massifiant et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
L’autre
soir, au café-citoyen,
On
m’a dit que j’étais, c’est magnifique,
Un
citoyen parmi d’autres citoyens,
Un
citoyen de la grande République
De
tous les humains
Et
que c’est chose démocratique.
Rentré
chez moi, j’ai repensé
À
ce merveilleux destin de l’être humain :
Être
un citoyen.
Alors,
je me suis dit : à la vérité,
Moi,
je suis un sujet,
Sans
doute, aussi un humain ;
Un
peu citoyen, mais un sujet :
Cela,
j’en suis certain.
Je
suis même le sujet.
Un
humain un peu distrait.
Citoyen
de nulle part et de rien,
Un
citoyen incertain.
L’autre
soir, au café citoyen,
On
m’a dit que j’étais, c’est magnifique,
Un
citoyen parmi d’autres citoyens,
Un
citoyen de la grande République
De
tous les humains
Et
que c’est chose démocratique.
Quand
je dis : je suis,
Je
suis celui que je dis qui est,
Je
est le sujet.
Quand
tu me dis, tu es ;
Je
suis celui que tu dis qui est ;
Tu
est le sujet.
Je
suis encore le sujet
Quand,
parlant de moi, il dit : il est ;
Je
suis toujours encore le sujet.
Je
suis celui qu’il dit qui est ;
Il
est le sujet.
Là,
je suis toujours le sujet
L’autre
soir, au café citoyen,
On
m’a dit que j’étais, c’est magnifique,
Un
citoyen parmi d’autres citoyens,
Un
citoyen de la grande République
De
tous les humains
Et
que c’est chose démocratique.
Tout
bien considéré, je suis le sujet
De
tous les verbes, à tous les temps :
Au
présent, au parfait et à l’imparfait
Et
au futur et j’en suis fort content.
Je
suis le sujet, mais discret,
Presque
carrément secret.
Je
suis le sujet du verbe, moi,
Mais
pas le sujet d’un roi,
Moins
encore le fils d’une nation,
Le
fidèle d’une religion,
Le
membre d’une communauté,
Le
frère d’une confraternité.
L’autre
soir, au café citoyen,
On
m’a dit que j’étais, c’est magnifique,
Un
citoyen parmi d’autres citoyens,
Un
citoyen de la grande République
De
tous les humains
Et
que c’est chose démocratique.
Être
sujet est un curieux destin
Ma
seule raison d’exister est d’être sujet,
J’en
ai fait mon dessein,
Ma
requête, mon affirmation :
Juste
sujet, pas sujet d’intérêt,
Juste
sujet de mon imagination,
Je
suis en somme qu’un homme
Ni
sujet d’attention, ni sujet de conversation,
Et
tel sur le pommier, la pomme,
De
mon balcon, je regarde le temps passer ;
Je
suis celui qui est né,
Qui
est, qui sera et qui aura été.
L’autre
soir, au café citoyen,
On
m’a dit que j’étais, c’est magnifique,
Un
citoyen parmi d’autres citoyens,
Un
citoyen de la grande République
De
tous les humains
Et
que c’est chose démocratique.
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