dimanche 2 février 2020

Le Banquet

Le Banquet


Chanson française – Le Banquet – Marco Valdo M.I. – 2020

ARLEQUIN AMOUREUX – 39

Opéra-récit historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola « Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez Flammarion à Paris en 1979.



Le Banquet des Singes

David Teniers II, 1690




Dialogue Maïeutique


Quel titre, Marco Valdo M.I. mon ami ! J’en suis tout étourdi et on ne m’ôtera pas de ma cervelle d’âne que ce n’est pas un titre insignifiant. Imagine : « Le Banquet », rien de moins ; tu ne te mouches pas du pied. Qui d’autr que toi aurait osé invoquer ainsi les mânes de Socrate, Agathon, Pausanias, Aristophane, Eryximaque, Aristodème, Phèdre et Alcibiade et par ricochet, ou pour rester dans le ton, par reflet sur le mur du fond, Platon lui-même, sans plus se soucier d’ailleurs de la coïncidence.

Bon Lucien l’âne mon ami, il n’en est rien. Si j’ai intitulé ma chanson « Le Banquet », c’est qu’en vérité, c’en est un, même si les participants n’ont pas la même allure que les illustres Grecs. D’autant que de ce qui est du banquet proprement dit et de son déroulement, on ne s’en inquiètera que tangentiellement au personnage centra de Matthias, car dans cette saga de l’Arlequin amoureux (voilà qui nous rapproche des conciliabules grecs), le héros, tout déserteur, vagabond et misérable qu’il est, n’en reste pas moins le deus ex machina de l’histoire. C’est lui qui agite parmi ses marionnettes, en son théâtre du monde en réduction qu’est cette odyssée, pas moins de quatre Empereurs en fonction et l’inénarrable Docteur Faust, qu’on vit encore en Russie aux prises avec un Petit Père des Peuples, il n’y a pas si longtemps.

Tu t’égares, Marco Valdo M.I. mon ami, laisse-moi te le dire. Admettons que ce soit un Banquet de province impériale, austro-hongroise, tchèque, et pour tout résumer, habsbourgeoise ; sur ce, tournons la page et passons au reste.

Non, non, je ne voudrais pas aller plus avant sans te parler un peu, Lucien l’âne mon ami, d’un tableau qui me semble lui aussi illustrer et commenter – sans un mot de trop – ce banquet de Litomyšl, où va se donner en spectacle notre déserteur aux prises avec les Autorités.

Un tableau, dis-tu, certes, mais lequel ? Dis-moi s’en, Marco Valdo M.I. au moins assez pour que je le situe parmi tous ceux qui valent d’être regardés.

Oh, Lucien l’âne mon ami, il n’y a pas grand-chose à en dire, si ce n’est que – comme tu le verras – c’est un banquet de singes et que cette appellation aurait bien plu à Matthias Sereno et à sa petite troupe. C’est également l’occasion de faire resurgir ce peintre qu’on dirait maintenant « belge », un peintre du XVIIe siècle - né à Anvers en 1610 et mort à Bruxelles en 1690, qui en dehors de ce que j’appellerais la « peinture obligée », produisit de très curieux tableaux.



Ah !, dit Lucien l’âne, je connais ça ; ce sont évidemment les tableaux les plus intéressants. Ceci dit, revenons-en au banquet, dont on n’a encore rien dit.

Donc, même si ce banquet n’est pas un banquet platonicien orthodoxe, je te dirai, Lucien l’âne mon ami, que c’est cependant un grand moment, une sorte de reflet de la Guerre de Cent Mille Ans, celle-là où les riches mènent une guerre sainte, une guérilla sournoise contre les pauvres, où pour les puissants, il s’agit seulement d’établir d’abord et de conforter et d’étendre ensuite la domination et en corollaire, la distance sociale. Indispensable la distance sociale : « On n’a pas élevé les cochons ensemble », en effet, suggère Lucien l’âne ; « On ne mélange pas les torchons avec les serviettes », qu’ils disent. « Séparons le bon grain de l’ivraie ». Sinon, sinon, comment distinguerait-on les riches des pauvres et comment les amateurs de richesse et d’apparence : à vrai dire, de tape-à-l’œil, pourraient-ils simuler leur ambition en se parant des symboles de la richesse et de la possession ? Que feraient-ils sans le costume, la robe, la bagnole, la piscine, le smartefone et autres babioles ? Avec quoi pourrait-on faire croire que l’on vaut plus que son voisin ? Et aussi, jouir de le voir rabaissé ? Le principe de base, c’est qu’il y a un haut et un bas et que pour bien faire, il faut qu’ils ne se confondent pas.

J’ai toujours vu aussi loin que je m’en souvienne – dans l’espace et dans le temps, dit Lucien l’âne, que ceux du haut n’appréciaient guère d’être importunés par la simple présence des pauvres, de ceux du bas.

Ainsi en va-t-il dans la chanson, reprend Marco Valdo M.I., où la rencontre – pourtant explicitement commandée et forcément souhaitée dans un moment d’égarement par le Tout Puissant François – entre l’Empereur et le saltimbanque sera vivement écourtée. L’un renvoyant l’autre :

« Sa Grâce apostolique s’en débarrasse ;
Au banquet, il renvoie le paillasse. »

Et pour terminer, j’imagine que ne t’échappera pas l’allusion historique à Marie-Antoinette :

« Et le banquet rit : « Tu as faim ? Mange le foin ! »

Oh, dit Lucien l’âne, elle était connue sous le nom de Madame la Brioche et plus tard, la Reine sans tête. Je m’en souviens, c’était quelques années avant ce banquet. Elle était la tante de cet Empereur grognon. Concluons en tissant le linceul de ce vieux monde stationnaire, qui s’en va à reculons « Comme s’en vont les écrevisses,
À reculons, à reculons. », trébuchant, essoufflé
et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Le château resplendit tel un astre ;
Las et lourd, l’Empereur a peu mangé ;
La bonne société banquette et se bâfre.
À la bibliothèque, l’Illustre s’est retiré.

Bercé par la douceur du malaga
Le Habsbourg embrumé rêvasse
Et malgré le café et les noix,
Un ennui impérial le terrasse.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Les sujets sont des êtres dérangeants
Qui vont grouillant, rampant, bêlant.
Tout lavé dans sa chemise blanche empruntée,
Sous sa fourrure de mouton blanche et peignée,

Dans le couloir, le bouffon mandé attend
Devant la porte, depuis un bon moment.
Pour réveiller, le souverain qui dort,
Matthias bêle, bêle, bêle très fort.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Sa Grâce apostolique s’en débarrasse ;
Au banquet, il renvoie le paillasse.
Le comte demande : Que sais-tu faire ?
Matthias se demande : Que vais-je faire ?

Le Comte dit : « Tu as faim ? : une brassée de foin. »
Et judicieusement les coups du pied comtal
Étrillent soigneusement le pauvre animal.
Et le banquet rit : « Tu as faim ? Mange le foin ! »

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

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